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Les sources de douleurs avérées et/ou potentielles associées aux pratiques et conduites d’élevage

4. Sources avérées et/ou potentielles de douleur chez les animaux d’élevage

4.2. Les sources de douleurs avérées et/ou potentielles associées aux pratiques et conduites d’élevage

Pour chaque espèce ou groupe d’espèces (volailles, porcs, ruminants), on présentera ici les principales sources de douleurs potentielles auxquelles les animaux peuvent être confrontés. Cela sera fait en lien avec les pratiques d’élevage, les systèmes de production, la phase d’abattage, ainsi qu’avec les impacts de la sélection génétique.

4.2.1. Les sources associées aux soins et à l’identification des animaux

Certaines situations potentielles de douleur existent, comme celles qui concernent les abcès développés par certains animaux lors des injections (fer, vaccins) ou relatives au tatouage des porcelets ou à la pose de boucle à l’oreille permettant l’identification des animaux (porcs, bovins, ovins, caprins) ou au nez pour éviter certains comportements qui peuvent poser problème aux éleveurs (tétée chez le taureau ou les génisses, dégradation des prairies chez les truies en plein air), mais il existe peu de données bibliographiques et les conséquences en termes de douleur semblent peu importantes. Le respect des bonnes pratiques d’injection (fer, vaccins) permet de réduire les risques d’abcès consécutifs aux injections. Afin de diminuer la douleur et les blessures consécutives à certaines pratiques d’identification, des dispositifs d’identification individuelle des animaux, de type puces implantées, sont en cours de développement.

Parmi les autres sources potentielles de douleur, on citera les interventions et pratiques chirurgicales douloureuses qui sont réalisées pour soigner les animaux ayant un problème particulier. Ce sont, par exemple

les césariennes en cas de mise bas difficile (en élevages bovins), les soins apportés aux onglons dans le cadre d’un parage curatif des pieds des ruminants. La détection et la prise en charge de ces douleurs relèvent du domaine médical et de la valence analgésique du traitement à envisager. Elles ne feront donc pas l’objet de la présente expertise.

4.2.2. Les sources associées aux manipulations des animaux par l’Homme

Cas de l’enlèvement des volailles

L’enlèvement et le transport des animaux vers un autre site d’élevage (reproductrices) ou vers le site d’abattage (toutes volailles) nécessitent une capture et engendrent donc un risque important de blessures et de fractures, notamment liées à l’intervention humaine. Ainsi, les poules pondeuses sont très touchées par le problème des fractures en fin d’élevage, en particulier lors de leur retrait des cages. En effet, elles présentent une fragilité osseuse (ostéoporose) qui résulte de la forte sollicitation métabolique liée à la production d’œufs ainsi que de l’élevage en cage. Le taux des fractures observé peut atteindre 25%, mais il est très variable et dépend des systèmes d’élevage (cage versus élevage au sol), des compétences des équipes de ramassage et de la nature des obstacles présents dans le bâtiment. Depuis les années 1980, le ramassage mécanique des poulets de chair et des dindes s’est développé lorsque la configuration des bâtiments le permet. Cette technique permet généralement le ramassage des animaux avec des taux de mortalité moindres que ceux observés dans le cas des opérations manuelles.

Cas du gavage des palmipèdes

Les conséquences de l’acte de gavage et des conditions d’hébergement de certains génotypes de palmipèdes gras (oies landaises (3%) et canards (97%) pour produire du foie gras et des magrets peuvent être sources de douleur. Deux situations potentielles de douleur sont envisagées ici : (1) l’acte de gavage lui-même. Il est pratiqué pendant 11 à 12 jours chez le canard mulard, 15 à 18 jours chez l’oie. Cette pratique est supposée ne pas être douloureuse du fait des caractéristiques anatomiques des parois du tube digestif des oiseaux. Cependant, elle peut dans certaines circonstances engendrer des blessures accidentelles ou favoriser des atteintes pathologiques (candidoses) ; (2) l’hypertrophie du foie, qui correspond à une stéatose5 nutritionnelle

sans nécrose ni dégénérescence cellulaire, est totalement réversible. Les études anatomiques montrent que le foie ne peut être à l’origine de sensations nociceptives directes chez les oiseaux. Le taux moyen cumulé de mortalité et d’élimination des animaux les "plus faibles" est d’environ 2,5% chez le canard gavé, avec une variabilité en fonction des conditions d’hébergement et de production des animaux. Elle peut être plus élevée dans certaines situations extrêmes comme des coups de chaleur. Des analyses complémentaires sur les causes d’élimination et de mortalité seraient nécessaires pour mieux comprendre les effets du gavage sur la physiologie de l’animal. L’existence d’une souffrance d’origine viscérale liée à la quantité et à la vitesse d’injection de l’aliment de gavage n’a pas encore été recherchée.

Cas des poissons

Les protocoles d’élevage couramment utilisés impliquent de réaliser des manipulations fréquentes des poissons. Cela peut correspondre à des phases où les poissons sont triés, changent de bac ou de site d’élevage, subissent un traitement vétérinaire, sont pesés ou sont prélevés pour abattage. Toutes ces opérations impliquent que le poisson soit sorti de son milieu d’élevage pour une durée variable. Les techniques actuellement utilisées se sont largement modernisées et utilisent des systèmes adaptés à une manipulation rapide du poisson, tout en maintenant l’animal dans un environnement aqueux. Pour les tâches précises à réaliser sur un nombre limité d’individus (par exemple lors de l’application d’un traitement, du prélèvement de tissus, de marquage d’individus…), l’utilisation d’anesthésique est quasiment obligatoire pour la réussite de l’opération. Dans des conditions de bonne maîtrise des pratiques d’élevage, il est peu probable que ces phases de manipulation du poisson soient à l’origine de nociceptions importantes.

5 La stéatose correspond à un stockage de lipides dans les cellules d'un organe, par exemple au sein des hépatocytes dans le foie,

on parle alors de stéatose hépatique. Chez les oiseaux et les poissons, la synthèse des lipides a lieu très majoritairement au niveau du foie, alors qu’elle se fait principalement dans le tissu adipeux chez les mammifères.

4.2.3. Les sources associées aux conditions de logement et d’entretien des animaux

Exemples chez les volailles

Les lésions des pattes (pododermatites, kératoses, ou gonflements) sont souvent observées avec des différences de prévalence selon les systèmes d’élevage, mais aussi selon les génotypes et la nature des équipements. Les fréquences de pododermatites chez le poulet et chez la dinde placés en claustration sont importantes. C’est vrai également chez les poulets qui ont accès à des parcours. Les pododermatites sont vraisemblablement peu douloureuses si elles restent superficielles mais à un stade avancé, comme l’ulcération, ces lésions sont souvent infectées et l’émergence de douleurs est probable. Certains types de litières favorisent l’apparition de pododermatites inflammatoires. Ainsi, les litières humides favorisent beaucoup plus les réponses inflammatoires sur les tissus des pattes que les litières sèches. Le taux de pododermatites a été proposé comme indicateur pouvant servir à l’évaluation du bien-être au sein des élevages, et à établir les densités acceptables au sein d’un élevage spécifique (directive européenne sur les poulets de chair). La pertinence de cet indicateur est en cours d’évaluation.

Les atteintes ostéo-articulaires et les problèmes locomoteurs constituent une source potentielle de douleur chez les volailles d’élevage. Ainsi, chez les poulets de chair, on observe une faible activité locomotrice. Ces animaux passent beaucoup de temps couchés, ce qui va de pair avec la croissance élevée qui caractérise les souches de volailles utilisées pour ces productions. La prévalence des anomalies de posture et des boiteries est également élevée. Dès le début des années quatre-vingt dix, un recensement systématique des boiteries en élevage industriel a confirmé l’existence d’une prévalence élevée. Elle montra surtout le lien entre des conditions physiologiques chroniques douloureuses de l’élevage et les adaptations comportementales observées (boiteries, troubles posturaux). Cette confirmation de sensations nociceptives, voire de véritables douleurs, est basée sur plusieurs types d’observation : (1) l’existence de nocicepteurs dans les pattes de poulet, (2) des données anatomiques et anatomo-pathologiques des pattes et de l’articulation du bassin qui montrent plusieurs sources potentielles de douleurs (liées à des déformations osseuses accompagnées de tensions sur les articulations, et à des luxations des tendons ou tendinites simples) et enfin (3) les études de pharmacologie comportementale qui montrent les effets positifs des antalgiques ou anti-inflammatoires sur la posture et la locomotion.

Exemples chez les porcs

Une source importante de douleur en élevage de porcs concerne les problèmes locomoteurs et les boiteries qui en découlent. Ces boiteries sont d’origines multifactorielles, avec notamment des facteurs génétiques mais aussi des facteurs liés aux sols, en particulier lorsqu’ils sont trop durs, au manque d’exercice lorsque l’espace disponible est faible, et enfin au régime alimentaire, lorsqu’il favorise une croissance trop rapide.

Exemples chez les bovins

Parmi les sources de douleur potentielles, certaines peuvent être liées :

- à la restriction de l’espace disponible pour les animaux (soit en stabulation, soit en élevage sur caillebotis) ; - à la qualité de la ventilation et à la densité des animaux : facteurs de risque de survenue de troubles infectieux comme les affections digestives et respiratoires chez le jeune ;

- à la qualité et à l’hygiène de la litière des animaux : premier réservoir d’agents pathogènes pour les infections intra-mammaires par exemple ou pour les affections digestives du veau ;

- au type de sol qui peut engendrer avec des fréquences variables, chez les bovins, des boiteries et des lésions podales ;

- à la qualité de l’alimentation et la nature de sa distribution, qui, si elle est très riche en glucides fermentescibles, peut provoquer des acidoses du rumen avec de nombreuses complications et pathologies associées possibles ; - et enfin, au mode de regroupement des animaux qui peut conduire à des interactions agonistiques, à des combats plus fréquents, et donc à des blessures et contusions, en particulier si le groupe est important.

Exemples chez les poissons

Les poissons en élevage sont susceptibles d’être attaqués par des prédateurs tout au long de leur cycle d’élevage, cette prédation étant à l’origine de pertes significatives. Ainsi, chez les salmonidés élevés en eau douce, les principaux prédateurs sont les oiseaux (héron, cormoran), la loutre ou la martre. En milieu marin, ce

sont plutôt les phoques et les oiseaux qui sont les principaux prédateurs. Les conséquences de ces attaques de prédateurs sont multiples avec des poissons tués, mais aussi parfois simplement blessés et donc sensibles aux infections. Différentes méthodes sont utilisées pour réduire l’action des prédateurs, par exemple l’emploi de filets ou de grillages, l’installation de systèmes acoustiques ou visuels pour effrayer les oiseaux ou les phoques. Enfin, le problème d’érosion des nageoires est un problème majeur décrit chez de nombreuses espèces en élevage, et particulièrement chez les salmonidés au niveau des élevages européens et américains. Le terme d’érosion recouvre en fait une variété d’atteintes tissulaires, allant de la simple fissure de l’épiderme à une nécrose du tissu et même parfois une hémorragie. Les tissus atteints montrent des signes d’inflammation avec hyperplasie de l’épithélium, épaississement et formation de nodules. Comme l’existence de nocicepteurs a été par ailleurs démontrée au niveau des nageoires, il est probable que ces situations sont à l’origine de réponses nociceptives. Cependant, aucune étude n’existe actuellement et des travaux de recherche plus ciblés seraient nécessaires pour confirmer cette hypothèse. La principale cause de l’érosion des nageoires serait les morsures agressives associées à des affrontements entre individus et à l’établissement de hiérarchie de dominance. Cependant, d’autres causes secondaires sont décrites dans la littérature, comme les manipulations des poissons, la présence de substances abrasives à l’intérieur des bacs d’élevage, les coups de soleil, l’exposition à des situations de stress ou à des corticostéroïdes qui pourraient modifier la structure de la peau et sa capacité de régénération.

De façon générale, peu de données sont disponibles sur la prévalence de ces affections (toutes espèces confondues) dans les différents systèmes d’élevage.