• Aucun résultat trouvé

3. Comment évaluer la douleur chez les animaux d’élevage ?

3.3. Critères comportementaux de la douleur

Les comportements, chez l’animal comme chez l’homme sans communication verbale ou écrite, peuvent être des critères de douleur précieux pour identifier et localiser la douleur (Tableau 2). Cependant, comme les autres critères, ils présentent des limites. La première concerne leur variabilité entre espèces animales et selon les contextes. Un autre facteur d’incertitude est que l’interprétation de ces comportements par les observateurs, éleveurs et vétérinaires, diffère en fonction de leur connaissance du comportement de l’espèce concernée, des individus et de leur propre perception de la douleur. Par ailleurs, certains comportements comme l’apathie, l’isolement ou le manque d’appétit peuvent aussi être rencontrés dans des situations de stress ou d’inconfort sans composante nociceptive. De plus, les réponses comportementales à la même stimulation nociceptive varient au cours du temps et en fonction de l’individu dans une espèce et une race données. Elles peuvent être modulées par des mécanismes d’analgésie endogène qui se mettent en place notamment en réponse à la douleur elle-même. Elles peuvent être également modifiées par des états physiologiques particuliers, comme la gestation et la mise bas chez les mammifères ou la ponte chez les oiseaux. Il faut donc rester vigilant dans l’interprétation des comportements, même si certains sont très évocateurs de la douleur.

Malgré les limites évoquées précédemment, l’observation des comportements (vocalisations, activités et postures, expressions faciales) est l’une des techniques les plus fréquemment utilisées, aussi bien par les scientifiques que par les vétérinaires praticiens, pour mettre en évidence la douleur animale. En effet, cette méthode a des atouts considérables car elle est en général non invasive et assez sensible. Pour éviter les problèmes d’interprétation et valider les critères utilisés, des précautions méthodologiques sont importantes. Le premier travail consiste à définir un éthogramme qui permet de caractériser le répertoire comportemental de l’espèce et de définir les conditions d’apparition de chacune des activités retenues selon les causes de leur apparition, de leur fonction et de leurs évolutions ontogénétique et phylogénétique. On distingue : les comportements automatiques qui permettent à l’animal d’échapper au stimulus nociceptif (retrait réflexe d’un membre…) ; les comportements qui lui permettent d’éviter de stimuler la zone douloureuse (repos, posture antalgique telle que la boiterie…) ; les comportements destinés à signaler aux congénères l’existence d’une douleur et à les inciter, soit à éviter de stimuler la zone douloureuse soit, au contraire, à lécher cette zone afin de soulager la douleur (ces comportements permettent probablement de masquer les signaux nociceptifs par d’autres signaux sensoriels) ; les comportements qui facilitent l’apprentissage et, par là, permettent à l’animal d’éviter ultérieurement la stimulation nociceptive. Un contrôle pour s’assurer que le critère utilisé révèle bien une douleur, et non un stress engendré par les interactions avec l’opérateur, consiste à effectuer des observations sur des animaux soumis à une procédure douloureuse, avec ou sans anesthésique et analgésique. Chez les bovins et les ovins, la douleur engendrée par de nombreuses interventions a été analysée en suivant cette méthode et la plupart des critères choisis ont été validés en les croisant entre eux et en comparant les réponses à celles d’animaux ayant subi ou non l’intervention et ayant reçu ou non un traitement pharmacologique contre la douleur. Cette validation a été réalisée partiellement chez les porcins et chez les oiseaux pour certaines situations douloureuses, et quasiment pas chez les poissons soumis à des stimuli nociceptifs.

Chez les ruminants et le porc

Les comportements à observer sont bien décrits pour un certain nombre d’interventions douloureuses (la coupe de la queue, la castration et l’écornage) en fonction des phases du processus et des techniques mises en œuvre

(cf. Chapitre 4 pour la description détaillée de ces procédures). Par ailleurs, certaines études ont comparé différents critères comportementaux pour la sensibilité (capacité à identifier une situation douloureuse) et la reproductibilité des mesures. Des comparaisons avec des critères physiologiques ont également été réalisées pour estimer leur sensibilité.

Les vocalisations sont très souvent utilisées comme des indicateurs de la douleur chez les mammifères. Plusieurs types d’analyse existent. On peut simplement compter le nombre de vocalisations, mesurer leur durée ou leur intensité. Il est aussi possible d’analyser ces vocalisations par une analyse spectrale. Des expériences chez le porc ont ainsi montré un accroissement du nombre et de l’intensité des vocalisations ainsi que des modifications des caractéristiques spectrales lors de la castration. Toutes ces altérations peuvent être réduites ou supprimées par une anesthésie locale.

Les comportements réflexes de retrait sont fréquemment observés chez les animaux en cas de stimulation nociceptive. Ils sont utilisés chez les bovins ou les ovins pour mesurer la réponse à des stimulations nociceptives contrôlées. Il s’agit, par exemple, de mesurer au bout de combien de temps les animaux bougent la patte ou donnent un coup de pied quand une zone limitée du pied, de l’épaule ou de l’arrière train est soumise à un stimulus douloureux. Des lasers chauffant des parties spécifiques du pied ont ainsi été utilisés pour caractériser, en fonction du contexte, la réaction des bovins à la douleur.

Les comportements de défense pendant une intervention douloureuse sont également très fréquents. Ce sont par exemple des mouvements des pattes et du corps pendant la castration ou l’épointage des dents de jeunes porcelets, des sauts ou des coups de pieds pendant le marquage des animaux au fer rouge ou à l’azote liquide chez les bovins. Lors du marquage, les animaux exercent également des pressions sur leur cage de contention beaucoup plus fortes qu’en cas de simulation. Des comportements de défense (coups de pied, par exemple) peuvent également être observés lors de la palpation d’une zone douloureuse.

Il existe un certain nombre d’autres comportements qui concernent directement la zone douloureuse et qui sont donc relativement faciles à interpréter. Il s’agit par exemple de léchages ou de grattages qui permettent probablement de masquer les signaux nociceptifs (cf. ci-dessus). A côté de ces comportements de "stimulation" de la zone douloureuse, il existe des comportements d’évitement ainsi que des postures antalgiques. L’exemple classique est la boiterie. Des lésions au niveau du pied entraînent fréquemment une suppression de l’appui et un score de boiterie élevé chez les bovins. Des grilles existent qui permettent de quantifier l’intensité de la boiterie (Tableau 3). Le score obtenu est relié directement à la douleur, comme le montre sa réduction lorsque l’animal est placé sous traitement analgésique. Au lieu de réaliser une observation visuelle de l’animal, il est possible d’apprécier la boiterie en mesurant le poids que l’animal met sur chaque pied grâce à des capteurs, comme cela a été fait par exemple chez les bovins.

Des altérations générales du comportement, comme une réduction de la prise alimentaire, une moindre mobilité, un état d’agitation ou, au contraire, de prostration, des modifications dans le comportement vis-à-vis de l’homme, sont souvent décrites après une intervention douloureuse ou lors de douleurs chroniques comme celles associées aux boiteries.

Tableau 3. Grille de notation des boiteries des vaches laitières (d'après Thomsen et al. 20083) Allure

irrégulière mouvements Lordose en Lordose au repos Foulées courtes Hochement de tête

Membre atteint évident Refus de porter du poids 1 Pas de boiterie Non Non Non Non Non Non Non

2 Allure irrégulière Oui Oui Non (Oui)a Non Non Non 3 Boiterie légère Oui (Oui)a Oui Oui Non Non Non 4 Boiterie marquée Oui Oui Oui Oui Oui Oui Non 5 Boiterie sévère Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui

a L’allure irrégulière et les foulées courtes peuvent être difficiles à identifier

3 Thomsen P.T., Munksgaard L., Togersen F.A. (2008). Evaluation of a lameness scoring system for dairy cows. Journal of Dairy

Chez les oiseaux

Comme chez les mammifères, des réactions de fuite ou de retrait sont observées lorsqu’une zone douloureuse est stimulée. Les comportements de défense pendant une intervention douloureuse sont également très fréquents.

Les vocalisations peuvent, comme chez les mammifères, être utilisées pour révéler l’existence d’une douleur. La "plainte", observée en cas de picage par d’autres animaux, est cependant décrite comme modérément bruyante, plus faible que les cris de détresse émis lors de la capture. Toutefois, on ne dispose pas, chez les oiseaux, d’outils de mesure élaborés comme ceux utilisés chez le porc pour caractériser les vocalisations émises au moment de la castration. Les oiseaux répriment certains mouvements spontanés ou adoptent des postures particulières pour éviter de stimuler les zones douloureuses. Ainsi, chez le poulet et le dindon, un épointage tardif du bec entraîne une réduction des coups de bec. Cette ablation partielle peut réduire temporairement la prise alimentaire mais également la prise de boisson et le toilettage. Comme chez les mammifères, on observe parfois des boiteries qui permettent à l’animal d’éviter de stimuler une zone douloureuse de l’appareil locomoteur. Les poulets présentant une boiterie passent moins de temps à marcher, ils se nourrissent moins fréquemment et sont plus souvent couchés quand ils mangent que des animaux sains. Le temps passé couché ou sur une seule patte diminue lorsqu’un traitement antalgique est appliqué, avec des effets qui dépendent de la dose utilisée.

Il semble que les volailles ne pouvant échapper à des stimulations douloureuses cessent de montrer des réactions de défense et d’évitement. Les poules victimes de picage, par exemple, finissent par adopter une posture couchée avec la tête rentrée.

Chez les poissons

Très peu d’études ont analysé les relations entre comportement et nociception chez les poissons. Dans les études existantes, les réactions comportementales ne sont pas mesurées de façon systématique et standardisée. Cependant, les résultats indiquent que certaines poissons sont capables d’apprendre à éviter un stimulus nociceptif. D’autres travaux réalisés chez la truite, soumise à un stimulus nociceptif (injection sous-cutanée d’acide acétique), montrent un comportement d’évitement, un arrêt de la prise d’aliment et d’autres modifications du comportement, telles que des frottements de la zone injectée et des balancements du corps. Ces modifications peuvent durer plusieurs heures et sont réduites lorsqu’un traitement analgésique (morphine dans les expériences réalisées) est administré. Elles sont donc bien liées aux effets de l’injection acide.

A l’abattage

Les interactions agressives (porcs, bovins), les comportements de chevauchement (taurillons), les glissades et les chutes (toutes espèces) peuvent être cause de douleur et sont relevés dans un certain nombre d’études. Des indicateurs comportementaux (postures d’affalement, réaction réflexes d’évitement, par exemple) peuvent également être utilisés pour évaluer l’état de conscience. Toutefois, aujourd’hui, on manque d’informations sur les indicateurs comportementaux d’’absence de conscience et de douleurs pendant les périodes de transport, d’attente et de conduite dans les abattoirs. Des études sont nécessaires pour tester la fiabilité des indicateurs existants et pour en identifier d’autres.

Conclusion

Les critères comportementaux sont des critères sensibles pour détecter la douleur et peuvent être utilisés sur le terrain, en élevage ou à l’abattoir. Ils nécessitent cependant d’importantes précautions méthodologiques et leur interprétation doit tenir compte des conditions d’observation, de l’espèce considérée, du stade physiologique et de l’historique de l’animal. Les observateurs doivent être suffisamment formés pour reconnaître et interpréter les comportements indicateurs de douleurs.