• Aucun résultat trouvé

Démarche générale pour limiter la douleur en élevage

5. Les solutions pour limiter la douleur chez les animaux d’élevage

5.1. Démarche générale pour limiter la douleur en élevage

Le Chapitre 4 a pointé à la fois la réalité, mais aussi la complexité de la question de la douleur des animaux d’élevage, qui se pose à différents niveaux : zootechniques, sanitaires et culturels.

Le bien-être des animaux d’élevage dans les systèmes d’exploitation intensifs s’appuie sur cinq droits fondamentaux, rédigés par les experts du comité Brambell en 1965. L’un de ces droits mentionne explicitement l’absence de douleurs, blessures et maladies, par des soins vétérinaires préventifs, des diagnostics rapides et des traitements adéquats, comme une des conditions nécessaires au bien-être des animaux.

5.1.1. Les principes

L’utilisation des animaux de laboratoire aux fins de la recherche scientifique a fait l’objet d’une importante réflexion visant à limiter et à justifier au mieux le recours aux expérimentations in vivo. Cette réflexion a abouti à une méthodologie de recherche des solutions exemplaire pour l’objectif de cette expertise : structurer la prise en compte et la réduction de la douleur chez les animaux d’élevage. Depuis les années soixante, les considérations représentées par les "3 R" : Replace (Remplacer), Reduce (Réduire), Refine (Raffiner), se sont imposées progressivement et régulent désormais fortement l’utilisation d’animaux en recherche expérimentale. Sur la base de cette analogie, nous nous proposons de rechercher des alternatives afin de supprimer les sources de douleur dans l’objectif d’éviter la douleur. La seconde étape consiste à substituer les sources de douleur de façon à en limiter l’intensité et l’impact. Il s’agit ici le plus souvent de rechercher la meilleure technique pour minimiser la douleur. Enfin, si la douleur est toujours présente, il doit être envisagé de la soulager en la traitant à l’aide des techniques pharmacologiques, telles que l’analgésie ou bien en utilisant des anesthésiques locaux. L’analogie avec la méthode des "3R", visant à limiter l’utilisation des animaux d’expérimentation, conduit ainsi l’expertise à suivre une méthodologie similaire pour envisager des moyens de limiter les sources de douleur chez les animaux d’élevage basée sur les "3S" : Supprimer, Substituer ou Soulager la douleur chez les animaux d’élevage (Suppress, Substitute, Soothe pain).

En parallèle de l’application des "3R", le contrôle sur l’utilisation des animaux de laboratoire s’est réalisé grâce à la mise en place de comités d’éthique locaux, chargés de surveiller et de juger le respect de l’intégrité des animaux de laboratoire lors de leur utilisation. Cela semble une piste plus difficile à mettre en œuvre, mais il semble évident qu’un observatoire des pratiques d’élevage permettrait de mieux comprendre et contrôler les sources de douleur liées aux processus de production de denrées alimentaires d’origine animale.

Globalement, les solutions présentes dans la littérature pour améliorer une procédure reconnue comme douloureuse peuvent être déclinées en cinq options : (1) en l’absence de justification et de solutions alternatives, chercher à interrompre l’utilisation de la procédure (Supprimer la source de douleur), (2) si possible élever des animaux qui ne nécessitent plus le recours à ces procédures (Supprimer), (3) substituer la procédure par une autre technique, moins douloureuse (Substituer), (4) améliorer la procédure afin d’en limiter le caractère douloureux (Substituer), et (5) traiter la douleur (Soulager). La solution ultime, qui est celle de la disparition de l’élevage et de l’arrêt de la consommation de denrées alimentaires d’origine animale comme la viande (végétarisme) ou même les œufs et le lait (végétalisme), ne se situe pas dans le cadre de cette expertise. Ce chapitre se focalise donc sur les situations d’élevage et leurs possibles améliorations, en rapport direct avec les sources de douleur identifiées dans le chapitre précédent.

5.1.2. Les moyens d'action

Plusieurs leviers d’action sont disponibles pour limiter la douleur des animaux d’élevage :

(1) une action sur les animaux : modification des schémas de sélection génétique par ajout de nouveaux critères, en association avec un contrôle des performances ;

(2) des actions sur les filières d’élevage : modification des méthodes d’élevage et/ou des conditions d’élevages, évolution des réglementations, formation des éleveurs, incitation à appliquer certains cahiers des charges plus respectueux de pratiques moins douloureuses, gestion différente des problèmes…

(3) des actions concernant les traitements médicaux de la douleur (anesthésie, analgésie).

Action sur les animaux : l’amélioration génétique

Les animaux d’élevage ont été sélectionnés depuis plus de 40 ans sur des critères essentiellement orientés vers une augmentation de la productivité de l’élevage, en association avec certains critères de qualité, comme la teneur en viande maigre des carcasses. Ce type de sélection a probablement favorisé l’apparition de comportements de peur, d’agressivité des comportements déviants, ou encore la réduction des capacités d’adaptation aux contraintes de l’environnement (par exemple la résistance à la chaleur), le développement de troubles locomoteurs, les difficultés de mise bas (chez les bovins), la baisse de survie des nouveau-nés au profit d’une meilleure fertilité (porcs) ou une sensibilité accrue aux maladies. Depuis la fin des années quatre-vingt dix, des critères de robustesse (ou caractères ‘fonctionnels’) ont été pris en compte dans les schémas de sélection. C’est le cas par exemple de la qualité des aplombs (volailles et porcs), de la facilité de vêlage (bovins) et la survie des nouveau-nés (porcs), du nombre de cellules somatiques dans le lait (vaches laitières). Cette stratégie a montré son efficacité pour réduire certaines sources de douleur (diminution des boiteries, survie des nouveau- nés, diminution des infections) et mérite d’être poursuivie, voire étendue à d’autres caractères plus complexes (résistance générale au stress, troubles des comportements). Il convient toutefois de rappeler que le délai nécessaire pour que les impacts de telles stratégies soient visibles dépend de plusieurs facteurs : l’héritabilité du caractère, la pression de sélection exercée ou les schémas de sélection mis en œuvre, ainsi que l’intervalle entre générations. Les résultats ne sont donc réellement perceptibles qu’après plusieurs années.

Enfin, la plupart des situations douloureuses ayant une origine multifactorielle, incluant des effets du logement et de la conduite des animaux, la sélection génétique ne suffit pas, à elle seule, pour faire disparaître les problèmes.

Action sur les conditions d'élevage

Dans l’état actuel et en fonction des contextes, des marges de manoeuvre existent pour limiter ou éviter certaines sources de douleur issues des conditions d’élevage. Il s’agit principalement d’aménager les équipements, les techniques ou les pratiques en place dans les élevages et les abattoirs. Les tentatives d’amélioration du bien-être des animaux d’élevage sont centrées sur trois objectifs, souvent corrélés entre eux, qui sont : (1) la santé physique et la satisfaction des besoins physiologiques des animaux, (2) la minimisation des situations négatives (douleur, peur, anxiété), et (3) la possibilité pour les animaux d’exprimer leurs comportements naturels. Les systèmes d’élevage tentent de concilier l’amélioration de la rentabilité de la production d’une part, et la protection des consommateurs vis-à-vis des risques sanitaires d’autre part (par exemple, via l’absence de résidus médicamenteux ou de maladies transmissibles). Ainsi, les solutions proposées pour éviter ou limiter la douleur dans le contexte spécifique d’une filière d’élevage doivent tenir compte des contraintes réglementaires, économiques, sanitaires et culturelles pour l’éleveur, sanitaires pour le consommateur, mais aussi médicales et comportementales pour l’animal.

Traitement de la douleur

Le traitement de la douleur consiste en l’administration de médicaments qui agissent sur la capacité à ressentir la douleur (anesthésiques généraux, par administration intraveineuse, intramusculaire ou par inhalation) ou sur les mécanismes physiologiques de la douleur (antalgiques ou analgésiques). Les anesthésiques induisent une perte de conscience, bloquent la mémoire et l’aspect désagréable d’un stimulus nociceptif, bien que des modifications des indicateurs physiologiques restent présentes. Les antalgiques ou analgésiques, administrés oralement ou en intramusculaire, diminuent la sensibilité générale de l’individu à la douleur - analgésie. Il existe également des traitements analgésiques non allopathiques (homéopathie, naturopathie) ou bien non pharmacologiques

(ostéopathie, acupuncture, techniques de contention physique comme le tord-nez chez le cheval ou bien l’hypnose de position chez les ovins). Toutefois les données scientifiques concernant leur efficacité et leur praticabilité pour réduire spécifiquement la douleur ne sont pas suffisantes pour en préconiser l’utilisation à grande échelle, bien que ces alternatives soient particulièrement attractives dans les contextes d’élevage car elles limitent les traitements allopathiques coûteux et sources de résidus.