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3. Comment évaluer la douleur chez les animaux d’élevage ?

3.2. Critères physiologiques

Un stimulus douloureux provoque une activation des structures du système nerveux impliquées directement dans la perception de la douleur et dans sa traduction émotionnelle. Cette activation déclenche également celle de l’axe cortico-surrénalien et du système nerveux orthosympathique. Elle a des répercussions multiples sur l’organisme (par exemple : accélérations des fréquences cardiaques et respiratoires, augmentation de la température, etc.) et sur les comportements (Tableau 2). Cependant, les mêmes manifestations physiologiques peuvent être induites par la seule manipulation des animaux ou par des perturbations de l’environnement (bruit, activité…), sans qu’il y ait douleur. Les mesures relatives à l’activation de ces systèmes doivent donc être réalisées dans des conditions parfaitement maîtrisées de façon à ne pas confondre les effets dus à la douleur et reproduction (écoulements vulvaires...), de la mortalité et du taux de renouvellement. Des protocoles de mesures ont été définis ainsi qu’une méthode d’agrégation des critères.

les effets dus à des stress d’origine environnementale ou provoqués par la mesure elle-même (par exemple le stress dû à la contention de l’animal et à la piqûre lors d’une prise de sang). De plus, ces mesures physiologiques doivent être complétées par des observations comportementales ou cliniques pour les interpréter correctement.

Chez les ruminants et le porc

De nombreuses études rapportent une augmentation du cortisol plasmatique après une intervention douloureuse chez le porc (castration), le veau (castration, écornage) et l’agneau (castration, coupe de queue). L’utilisation d’une anesthésie locale ou épidurale permet de réduire l’amplitude et la durée du pic de cortisol qui suit l’intervention, ce qui montre bien le rôle de la douleur dans cette activation de l’axe corticotrope. Plusieurs expériences ont également montré que l’utilisation d’un anti-inflammatoire non-stéroïdien (antalgique) permet de réduire l’augmentation du cortisol plasmatique après la castration (par exemple chez le veau) ou après la coupe de queue (par exemple chez l’agneau).

La mesure de la concentration de l’ACTH (Adreno CorticoTropic Hormone) dans le plasma permet également d’évaluer l’activation de l’axe corticotrope, même si elle a été utilisée beaucoup moins fréquemment que celle du cortisol. L’ACTH augmente de façon très rapide et intense après la castration des porcs. Sa mesure est plus sensible que celle du cortisol à la suite d’interventions douloureuses, mais elle est aussi plus dépendante de l’effet d’un stress lié à la manipulation des animaux ou à l’environnement.

Pour évaluer la réponse du système orthosympathique dans les minutes ou les heures qui suivent une intervention sur les animaux, il est possible de mesurer directement les concentrations des catécholamines, adrénaline et noradrénaline, dans le sang. Il est également possible de mesurer les concentrations des catécholamines ou de leurs métabolites dans l’urine pour suivre l’évolution sur plusieurs heures ou jours. De très nombreuses autres mesures permettent d’évaluer de façon indirecte l’activation du système orthosympathique car ce système a des répercussions multiples sur l’organisme. Ce sont, par exemple, les mesures du rythme respiratoire, du rythme cardiaque et de sa variabilité, du diamètre de la pupille de l’œil, de la résistivité de la peau, de la pression artérielle, de la température du corps ou de l’œil et des concentrations plasmatiques de très nombreux métabolites énergétiques (glucose, lactate et acides gras libres). Il est à noter que certaines de ces modifications, par exemple la variabilité du rythme cardiaque, résultent en fait de la modification de la balance entre le tonus du système orthosympathique et celui du système parasympathique. D’une façon générale, le système orthosympathique est très sensible à l’action des stimulations nociceptives et les délais de réponse sont très courts, mais ce système est aussi très sensible à la manipulation des animaux et aux perturbations de l’environnement. Plus encore que pour l’axe corticotrope, il convient donc d’être très prudent dans l’interprétation des résultats. Cependant, il existe des travaux qui montrent clairement des variations après la castration et/ou l’écornage. Ce sont, par exemple, l’augmentation des concentrations plasmatiques des catécholamines ou du lactate, l’augmentation du rythme cardiaque ou la diminution transitoire de la température de l’œil. De plus, dans certaines expériences, la réalisation d’une anesthésie locale a permis de réduire, voire de supprimer, les modifications observées.

A ces marqueurs de l’activation de l’axe corticotrope et du système nerveux autonome, on peut adjoindre des marqueurs de l’activation des structures du système nerveux impliquées soit dans la détection et la perception de la douleur, soit dans le contrôle de la douleur. Il s’agit, par exemple, de l’expression de gènes d’activation précoce tels que le gène c-fos dans la corne dorsale de la moelle épinière après la castration chez le porc. En réponse à la douleur, l'organisme sécrète des opioïdes endogènes, tels que des endorphines et enképhalines. Ils peuvent donc être également utilisés comme indicateurs de la douleur, comme cela a été fait chez le cheval. Enfin, l’activité électrique du cerveau peut être modifiée sous l’effet de stimuli nociceptifs. Cette activité est analysée à partir d’enregistrements graphiques (électroencéphalogramme) des variations du potentiel électrique qui se produisent au niveau de l’écorce cérébrale et qui sont détectées grâce à des électrodes placées sur le crâne. Les activités électriques du cerveau sont classées selon leurs fréquences en quatre types : delta (< 4 Hz), thêta (4-7 Hz), alpha (8-13 Hz) et bêta (>13 Hz). Les ondes alpha et bêta sont caractéristiques de l’état de veille et celles de type delta du sommeil chez les hommes adultes. Ces dernières deviennent plus abondantes sous l’effet d’agents pharmacologiques anesthésiants. En utilisant cette technique, il a été possible de montrer chez des porcelets anesthésiés à l’halothane (ce gaz anesthésiant n’a pas de propriété antalgique) que les ondes alpha et thêta sont moins abondantes dans les minutes qui suivent la castration chirurgicale et que cet effet disparaît en grande partie lorsque les animaux reçoivent au préalable une anesthésie locale à la lidocaïne. Des modifications similaires ont été observées après l’écornage des veaux.

De la même manière que l’approche lésionnelle peut révéler les sources de douleur, la mesure des protéines de la phase aiguë de l'inflammation constitue un indicateur indirect de douleur en révélant une inflammation tissulaire, car l’on sait que l’inflammation est généralement source de douleur. Ainsi la mesure des concentrations sériques de certaines protéines (haptoglobine, fibrinogène, céruloplasmine, serum amyloïde A) peut être très utile pour détecter une inflammation infra-clinique.

Chez les oiseaux

Les variables physiologiques utilisées comme critères indirects pour évaluer la douleur, sont principalement les modifications cardiovasculaires, la mesure des taux de corticostérone circulante, et les modifications de l'activité cérébrale analysée sur électroencéphalogramme.

L’exposition à un stimulus nociceptif aigu entraîne le plus souvent une accélération de la fréquence cardiaque. Aucun travail sur la variabilité de la fréquence cardiaque lors d’un épisode douloureux n’est publié chez les volailles. La pression artérielle est augmentée sous l’effet de l’activation orthosympathique. Ce paramètre a cependant été peu mesuré chez les oiseaux du fait de la difficulté technique à réaliser cette mesure sans stress de contention. La modification des électroencéphalogrammes n’apparaît pas comme un critère pertinent pour le moment, car les études disponibles montrent des modifications similaires chez les oiseaux qui ont peur (immobilité tonique lors d’une situation effrayante) ou qui sont soumis à un stimulus nociceptif (arrachage des plumes).

Chez les poissons

La plupart des études disponibles concernent les réponses physiologiques des poissons d’élevage exposés à des situations de stress (critères endocriniens comme les corticostéroïdes ou indirects de type rythme respiratoire ou cardio-vasculaire…), mais aucune ne porte précisément sur les conséquences de l’application d’un stimulus nociceptif. On sait que l’application d’un stimulus nociceptif modifie le rythme des battements de l’opercule des poissons, ce qui constitue un indicateur indirect de ventilation des branchies et donc de l’augmentation du rythme respiratoire. Des études complémentaires, notamment sur la réponse de l’axe corticotrope à un stimulus nociceptif, seraient donc très utiles.

A l’abattage

La plupart des études sur l’efficacité de l’étourdissement et/ou de la saignée font appel à des mesures indicatrices de l’état de conscience ou de la capacité du cerveau à percevoir des stimuli venant de l’environnement. Elles se fondent sur l’analyse des électroencéphalogrammes (EEG) pour évaluer l'activité du cerveau ou repérer les réponses cérébrales à des stimuli sensoriels, ainsi que sur le contrôle du maintien de différents axes réflexes ou de fonctions vitales chez l’animal.

L'analyse de l'EEG porte sur la nature et l'intensité des activités électriques rythmiques du cerveau. La présence d’ondes delta, caractéristiques du sommeil chez l’homme, suggère un niveau de conscience réduit. Un EEG plat ou presque caractérise un état d’anesthésie profonde et in fine la mort cérébrale. Les potentiels évoqués (PE) correspondent à des modifications transitoires de l’EEG lorsque l’animal est soumis à des stimuli auditifs, visuels ou somato-sensoriels. Pour identifier l’état de conscience des animaux à l’abattoir, certains auteurs se réfèrent à la présence d’ondes delta, d’autres à une activité cérébrale fortement réduite de manière durable, d’autres encore à l’abolition des potentiels évoqués et certains combinent plusieurs critères. Les différents critères peuvent conduire, dans certains cas, à des conclusions différentes. Ceci est en partie lié au contexte très difficile des mesures en abattoir : les tracés d’EEG peuvent présenter des artefacts à cause de la difficulté à maintenir les électrodes en position et/ou de l’existence d’interférences électriques. Par ailleurs, il faut souligner que si l’abolition des PE indique bien une perte de la capacité du cerveau à intégrer des stimuli sensoriels, leur présence signifie simplement la préservation des voies sensorielles concernées, mais pas forcément la perception et la conscience des stimuli.

La qualité de l’étourdissement peut aussi être évaluée par d’autres méthodes qui sont basées sur la mesure de la pression artérielle, sur l’observation des postures (effondrement ou non) et de différents réflexes (réflexes oculo- palpébraux ou respiratoires, réactions physiques à une stimulation douloureuse et réflexe de redressement de la tête ou du corps). Cependant, les réflexes oculaires et respiratoires dépendent de l’activité du tronc cérébral qui peut perdurer malgré un état inconscient. Par conséquent, l’absence de réflexes indique que le fonctionnement

du tronc cérébral est profondément perturbé et que l’animal est inconscient, mais leur présence ne veut pas forcément dire que l’animal est conscient.

Conclusion

Les critères physiologiques permettent de détecter la présence de douleur chez de nombreux animaux. Ils sont souvent invasifs, reposent généralement sur des méthodologies complexes et peuvent être difficiles à interpréter dans la mesure où des situations de stress, sans composante nociceptive, conduisent souvent à des modifications similaires. Ils nécessitent donc des conditions expérimentales qui les rendent difficiles à utiliser sur le terrain, en élevage ou à l’abattoir. Ils restent néanmoins très utiles, notamment chez les mammifères, pour identifier les sources de douleur et mettre au point et valider des protocoles de traitement de la douleur ou des grilles d’évaluation.