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Chapitre 3 : Au monde en guerre se superpose un corps en guerre

3.2. Souffrir pour écrire ou écrire pour souffrir?

Dans Le souffle et Le froid, l’écriture exprime une incarnation corporelle, un rapport à la santé, au corps propre et fantasmatique. Par elle, Bernhard tente de recréer son corps

déficient, de combler les lacunes. Elle devient une seconde peau154, un processus de régulation par lequel l’écrivain résiste aux perturbations et conserve un état d’équilibre. La maladie, siège de l’adversité, s’imprègne au texte et devient un matériau à partir duquel il se façonne. Toutefois, ces deux récits ne sont pas les seuls ouvrages de Bernhard en lesquels l’enjeu corporel se manifeste. Je songe à Béton, où le narrateur ne parvient pas à accéder à l’écriture, ni même à écrire une seule ligne. Il est constamment empêché. Le narrateur idéalise un projet littéraire qui ne voit jamais le jour en raison d’un corps déficient, d’un cerveau incapable de se poser et de se libérer de ses affects pour entreprendre la tâche. Je songe également à Perturbation, lorsque le narrateur rapporte les propos de son père médecin à l’effet que : « A travers la maladie du corps, se faisait jour, par voie de conséquence, la maladie de l’esprit155. »

C’est dans cette optique que je me suis intéressée à la psychosomatique littéraire, puisqu’elle permet d’étudier de quelle manière l’écrivain reproduit les aspects les plus importants de son corps dans les deux récits susmentionnés et quelles vertus peuvent être associées à cette pratique. Bien que ce champ d’études soit relativement récent, ses différentes avenues regorgent de possibilités. Je me réfèrerai principalement aux notions développées par Jacques Lacan, mais aucune définition de la psychosomatique n’a été admise unanimement, si ce n’est qu’elle considère les relations entre le corps et l’esprit. Chez le psychanalyste, tout se passe comme si quelque chose « était écrit dans le corps, quelque chose qui est donné comme énigme156 » et que pourrait révéler un processus créatif ou l’apparition, par exemple, d’un dérèglement physique. Le corps serait une matrice investie par l’imagination sous forme de différentes pulsions.

Considérant que tout acte de création implique un rapport au corps réel et au corps fantasmé, la psychosomatique littéraire est la manière dont ce corps est présenté dans l’écriture. C’est par celui-ci que passe l’œuvre. Par le biais du langage, l’écrivain élabore une prothèse du Moi. Mettant régulièrement en scène un corps souffrant, un corps infirme, l’écriture de Thomas Bernhard devient le symptôme de ses propres fractures. Si par

154 Voir à ce sujet Anzieu, D. (1995). Le moi-peau, Paris, Dunod.

155 Bernhard, T. (1989). Perturbation, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », p. 89.

156 Lacan, J. (1975). « Conférence à Genève sur le symptôme », Bloc note de la psychanalyse (5), p. 19. Cité par D. Castanet (2004). « Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptômes », L’en-je lacanien, 2(3), p. 116.

psychique on entend « les rapports du sujet à son milieu157 » et que la dimension somatique concerne le corps, il va sans dire que la psychosomatique littéraire présente fréquemment des corps malmenés, reflet direct des expériences traumatisantes vécues par l’écrivain. Même les rapports qu’entretient Bernhard à la politique et à l’État semblent avoir quelque chose avec l’« histoire de son propre corps, comme [s’ils] n’étaient pas le “résultat d’une réflexion pensante” mais d’“une physis” et de son histoire158 ».

Par exemple, convier le crachat dans Le froid revêt non seulement une dimension hygiénique et représente une tentative d’extraire des profondeurs un déchet qui lui permettrait de se contempler du point de vue de la pureté – se laver des souillures du monde159 –, mais c’est également l’occasion de faire surgir le bruissement du somatique160 :

Des jours entiers, j’avais tenté de cracher quelque chose dans le crachoir, je ne réussissais pas, ma gorge était déjà entièrement écorchée par mes tentatives désespérées de pouvoir cracher, elle ne tarda pas à être douloureuse comme sous l’effet d’un terrible refroidissement mais je ne produisais pas la plus petite quantité d’expectoration […] Le labo attendait mon crachat […] j’avais la volonté de produire du crachat, rien que cette volonté, et je m’essayais dans l’art de cracher […] (LF, p. 14)

Le crachat revêt une seconde dimension intimement liée au sentiment de mépris, composante caractéristique de l’œuvre bernhardienne. Je dirais presque qu’il crache sur le lecteur littéralement à force de répéter les mots crachat, crachoir, cracher; il reçoit les postillons en plein visage. Si les nombreuses répétitions démontrent l’échec du langage à saisir le flux du réel, il n’est pas moins vrai que la tragédie de l’écrivain est rigoureusement décrite. Le récit démontre toute l’incapacité du narrateur à se saisir de son corps et met en relation un discours d’accueil – par le truchement de la littérature – et un discours de rejet de ce même accueil. En effet, il ne semble pas trouver les mots pour décrire son incapacité à cracher, il se répète constamment et en vient à la conclusion que sur ce point, « [il n’avait] aucune chance » (LF, p. 21). Le médecin-chef – figure honnie par le narrateur – personnifie d’ailleurs lui aussi cette dimension psychosomatique littéraire. Ce n’est pas un hasard si celui

157 Leader, D. (2009). « Psychanalyse et psychosomatique », Savoirs et clinique, (10), p. 95. 158 Höller, H. (1994). Op. cit., p. 23.

159 Voir à ce sujet Kristeva, J. (1980). « De la saleté à la souillure », dans Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection, Paris, Seuil, coll. « Tel quel », p. 69-105.

160 Au sujet du bruissement du somatique, voir Harel, S. (s.d.). « L’écrivain autophage », Post-scriptum, (18.1), <https://post-scriptum.org/18-1-01-lecrivain-autophage/>, consulté le 5 avril 2020.

par qui passe la guérison ne s’entretient avec « messieurs ses collègues » que « dans un murmure » (LF, p. 23). La difficulté de guérir devient emblématique de la difficulté d’écrire, mais demeure le seul et unique but envisagé par le narrateur. Dans Perturbation, un des personnages, le jeune Turc, se révèle également impuissant par rapport aux codes d’une langue qu’il ne connait pas : « Ils n’avaient pas pu lui faire comprendre pourquoi ils tuaient les oiseaux à cette heure matinale. Ils ne le comprenaient pas parce qu’ils ne savent pas un traitre mot de turc, il ne les comprenait pas parce qu’il ne sait que quelques mots allemands161». Dans ce passage, l’adolescent assiste au meurtre sordide de plusieurs oiseaux sans comprendre ce qui se passe. Ne comprenant pas l’allemand, il ne peut ni s’exprimer, ni recevoir de l’information, ce qui l’écarte de la situation à laquelle il assiste cependant comme témoin direct. Les œuvres bernhardiennes mettent constamment en scène des situations dans lesquelles le langage rejette le personnage. Il doit percer le secret, « c’est la logique de l’encre poussée à sa vraie limite de chose vraie162 ».

L’écriture comme le corps sont morcelés, la matrice du moi est constamment attaquée (gorge douloureuse, écorchée, à vif, reflétée dans le texte par une écriture qui se déploie comme une envolée de copeaux métalliques). À supposer qu’écrire n’a comme finalité que de rendre compte de l’inéluctabilité du processus mortel à l’œuvre, la mise en mots constitue néanmoins la seule manière de comprendre ce que la maladie a consigné en lui; la littérature devient comme une prothèse du moi.

Le corps du narrateur, mais aussi de ses personnages dans ses œuvres fictionnelles, est le terreau idéal pour toutes sortes de « maladies mortelles », de « maladies internes » et l’épuise encore plus en raison du fait qu’il n’arrive pas à générer les anticorps nécessaires. La spirale tourne sans fin et la maladie devient finalement une condition nécessaire pour écrire et dont il ne peut ni ne veut plus se défaire. Ainsi, la déchéance du corps est intimement liée à un lieu inédit de la pensée qui ne pourrait être accessible autrement163. Elle est essentielle pour accéder au vrai moi, le Moi idéal. S’il recouvre la santé, sera-t-il encore capable d’écrire? Son état sera-t-il encore digne de mention? La maladie permet de sur-vivre à soi-même, de vivre après la mort de celui ou celle que l’on était avant; dans le cas de

161 Bernhard, T. (1989). Op. cit., p. 89.

162 Trahan, M. (2017). La raison des fleurs, Montréal, Quartanier, (s.p.). 163 Voir à ce sujet la section 2.2 du deuxième chapitre.

Bernhard, la maladie est même le summum de la santé et fait de la solitude qui l’accompagne un accomplissement permettant de rendre compte de soi avec exactitude. Dans Amras, la maladie élève la personne souffrante à un stade de perfection inégalée : « La peau sans défauts de Walter, malade, embarrassé, luisait de son plus bel éclat [...]164 » C’est précisément la maladie qui donne à la chair un aspect éclatant, ironiquement, vivant.

Que Bernhard décide de son destin, et personne d’autre, démontre que son écriture n’est pas truffée de vœux pieux, mais de promesses.; la littérature comme antidote au poison de l’existence. Si par la parole performative l’écrivain semble toujours refuser la défaite qui autrement paraîtrait s’imposer à lui naturellement, il est conscient des limites de cette méthode : « Le langage est inutilisable quand il s’agit de dire la vérité, de communiquer quelque chose, il ne laisse que l’approche à celui qui écrit […] le langage ne reproduit qu’une authenticité falsifiée. » (LF, p. 83) Les survivants de la Shoa abondent également fréquemment dans le même sens, arguant que le langage est insuffisant, qu’ils se situeront toujours au-dessus ou en deçà de lui; au milieu, jamais. Trouver les bons mots constitue un défi perdu d’avance. En outre, l’échec de l’entreprise est révélé à la fin du Froid lorsque le narrateur quitte le sanatorium inopinément : « Il fallait que je disparaisse pour ne pas être broyé définitivement, donc pour toujours, dans ce moulin médical pervers qui moud du malheur. Va-t’en loin des médecins, fiche le camp de Grafenhof! » (LF, p. 134) Bien qu’il croie être guéri, tel n’est pas le cas : son départ subit du sanatorium lui causera une embolie. Cette fuite, qui résulte d’un désir de liberté, l’emprisonnera davantage et son corps sera encore plus brutalisé lorsqu’il devra retourner voir son pneumologue en raison du dégonflement de son pneumopéritoine : « Le médecin et son assistante me mirent la tête en bas et me donnèrent des gifles. » (LF, p. 136) Sans surprise, c’est cette méthode brutale – qui renverse le corps, et elle n’est pas sans rappeler l’esthétique littéraire bernhardienne consistant à inverser toute chose, à aller dans le sens opposé – qui lui « sauva la vie » (LF, p. 136).

L’entreprise de Thomas Bernhard fait penser à la plante sensitive, une plante qui se replie sur elle-même dès qu’on la touche. Entre les murs de l’hôpital et de l’école, le contact avec autrui est perçu comme une attaque qui justifie instantanément un recul. Pierre de Bonneville avance l’idée que Bernhard « soignait sa maladie physique par une sorte de maladie psychique, l’écriture165 ». Dans le cas présent, il est probable que le récit d’hospitalisation ait eu une fonction vitale, car l’œuvre semble reconstituer l’espace étrange du corps. Le matériau littéraire inscrit une cérébralité, un travail de la pensée au cœur d’un organisme qui peine à vivre.

165 de Bonneville, P. (2016). Op. cit., p. 19.

Conclusion

Comme l’écrivait André Pieyre de Mandiargues à propos de Paul Éluard en préface de Capitale de la douleur, Bernhard parle ici « aux hommes le langage de tous les hommes et leur [parle] cependant un langage tout neuf166 ». Réorienter les souvenirs, les modifier en les organisant dans une langue personnelle et originale, tel est le théâtre auquel l’écrivain autrichien convie le lecteur. Et pourtant, rien n’est spectaculaire. La dureté de la prose empêche « toute émotion immédiate, à laquelle il serait trop simple, pour le lecteur, de s’arrêter167 ». Ni héros ni victime, Bernhard livre l’histoire de son enfance et de son adolescence au contexte social et politique qui était alors celui d’un monde s’écroulant sous le poids de la Seconde Guerre mondiale.

Dans ce mémoire, j’ai voulu étudier comment l’écriture, et particulièrement le récit de soi, permet à celui qui se prête à l’exercice non pas de se réparer, mais de se ré-articuler autour d’un matériau qui le façonne et qu’il a appris à maîtriser. Si les limites sont certes nombreuses et que l’effet thérapeutique engendré est davantage un moyen qu’une fin, ce genre littéraire permet à l’auteur de consolider une subjectivité portée par un Je irréductible, mais néanmoins paradoxale. Bernhard adopte bien plus la posture du témoin de son époque que de sa personne propre. Derrière le Je de l’écrivain se lit un Nous. C’est au moyen de son rapport au lecteur que Bernhard semble finalement s’adresser à lui-même, et que le rôle de témoin prend une autre dimension. Pour le dire autrement, Bernhard témoigne pour son époque, alors que le lecteur témoigne pour Bernhard. La page est un lieu de réappropriation, un lieu d’enquête. À la fois archéologue et fossile, l’écrivain re-découvre les corps qu’il transporte au fur et à mesure qu’il lève le voile sur les évènements qui les ont figés dans un passé qui se prolonge dans l’avenir. Bien que le lecteur ne soit pas celui à qui s’adresse Bernhard, son importance demeure essentielle. Sinon, a quoi cela servirait-il de publier de

166 Éluard, P. (1966). Capital de la douleur, Paris, Gallimard, p. 7. 167 Perec, G. cité par M. Bornand (2004). Op. cit., p. 29.

tels écrits? L’écrivain n’est soudainement plus seul avec ses traumatismes, ils sont reconnus. Ils existent à l’intérieur de ceux qui se portent garants de l’histoire qu’ils acceptent de lire; « le lecteur se substitue [à] l’auteur sur les traces de ses souvenirs168 ». Le texte est une porte d’entrée qui débouche sur un lieu éternel, contrairement aux endroits où le narrateur a passé sa jeunesse, qui « avai[ent] toujours été qualifé[s] de résidence[s] provisoire[s] » (UE, p. 70). La lecture entraîne des effets qui absorbent celui qui lit le récit et tisse un lien. En déposant son passé à l’intérieur de la psyché du lecteur, Bernhard travaille la fragilité, la vulnérabilité; c’est par la douleur que se crée l’empathie. En détournant son pouvoir destructeur vers le monde extérieur par le biais de la littérature, je ne peux attendre que de l’hostilité de la part de Bernhard. Il doit accepter tacitement la relation de codépendance qui s’ensuit naturellement et qui est celle qui lie tout écrivain à son lectorat. Sans lecteur, le projet d’un tel récit (à moins que ce ne soit le récit d’un tel projet) ne peut qu’échouer. Bernhard doit écrire jusqu’au bout et je dois lire jusqu’au bout, ce qui n’est pas gagné d’avance considérant la dimension brutale de l’œuvre.

Les écrits de Judith Butler, d’Anne Brun et de Simon Harel sur la subjectivité et la reconnaissance, ceux de Marie Bornand sur la mémoire et la transmission, ainsi que les travaux de Dominique Viard sur le récit d’enfance sont fondateurs du travail que j’ai effectué. Ils m’ont été d’une grande utilité pour faire dialoguer les récits autobiographiques de Thomas Bernhard avec la recherche portant sur le récit de soi. À leur suite, je me suis attardée aux enjeux psychanalytiques et sociologiques soulevés par ces récits. Les travaux de Donald Winnicott, de Serge Tisseron et d’Alice Miller sur l’enfance m’ont permis d’étudier comment le matériau littéraire enrichit les théories existantes au sujet des hontes singulières et du trauma, mais aussi comment ces hontes et ces traumas enrichissent la littérature en proposant une narration résolument ancrée dans un passé sans cesse réactualisé. La langue primitive de l’enfance, non aboutie, continue de se répercuter contre les parois de la vie intérieure du sujet qui est devenu adulte sans vieillir au même rythme que les années, lesquelles se sont succédé machinalement. De plus, le fait que Bernhard ait une vision non seulement claire, mais arrêtée, de la pédagogie et du système d’enseignement décuple l’intérêt que je porte à cette période de sa vie. En effet, j’ai parfois l’impression de lire un essai sur ce thème et non un

168 Bornand, M. (2004). Op. cit., p. 74.

récit : « Quant au système d’enseignement, il faut qu’il soit fondamentalement changé, il ne suffit pas de se contenter de changer sans cesse quelque chose ici et là, tout dans notre système d’enseignement mérite d’être changé si nous ne voulons pas que la terre ne soit plus peuplée que par des humains dénaturés, anéantis et détruits par une nature dénaturée » (O, p. 147) ou encore : « ce que le nouvel être humain prend en lui et prend pour vrai dans ces premiers jours, ces premières semaines, premiers mois et années, constituent son être pour la totalité de sa vie future […] » (O, p. 95) Cette phrase, qui revient à de nombreuses reprises sous une forme différente, fait directement écho aux théories développées par Miller, Montessori, Winnicott, etc. Ces derniers ne prétendent pas que l’enfant est nécessairement détruit durant ses premières années de vie, mais bien que les évènements vécus durant cette période constituent le socle sur lequel se développe la personnalité de l’adulte de demain.

Ce travail m’a permis de présenter chacun des récits de manière à les faire communiquer entre eux ; il a aussi été l’occasion de porter une attention particulière à l’ordre choisi par Bernhard. L’origine, premier récit du lot, ancre le début de la vie de l’écrivain dans la guerre alors qu’il a douze ans. Faire commencer son histoire à cet âge lui permet de déjà se présenter comme un sujet pensant, et donc agissant, ce qui aurait été impossible si le cycle avait débuté avec Un enfant. La volonté de n’être pas passif devant les évènements est palpable. À douze ans, le narrateur est déjà doté d’une faculté de penser, et a donc une certaine prise sur son existence, contrairement à l’époque de la petite enfance, dévoilée à la toute fin. En tenant pour acquis que le lecteur lise les récits en ordre chronologique de parution, ce n’est qu’une fois rendu au dernier titre qu’il a le droit de pénétrer l’univers de l’enfance du narrateur. Une période marquée par les difficultés de la vie quotidienne, mais aussi parsemée d’éclats de joie et de moments de bonheur pur. Sans doute les seuls. Bien que le narrateur paraisse comblé dans La cave, se sentant plus utile que jamais en tant que commis au magasin de comestibles de Podlaha, il a pleinement conscience de sa condition et de celle des siens, ce qui n’est pas le cas dans Un enfant. Dans La cave, aucune innocence, aucune insouciance ne parsème le récit. C’est le récit le plus dur. Le regard qu’il pose sur sa famille est impitoyable, Et cette transparence heurte quiconque le lit. Nul ne peut revenir du moment où il voit l’endroit d’où il vient. Ce n’est pas en courant dans les prés pour aller à la rencontre de son grand-père qu’il ressent une certaine légèreté, au contraire. C’est en quittant le

domicile familial : « A la maison je n’avais jamais l’occasion de rire […] Vraisemblablement j’étais toujours de si bonne humeur dans le sous-sol parce que je savais à quoi j’échappais tous les jours au petit matin […] », écrit-il (LC, p. 81-82). De fait, Bernhard est conséquent sur toute la ligne, puisqu’il trouve sa joie en allant dans le « sens opposé » à ceux qui la lui procurait jadis.

Par ailleurs, c’est dans Le froid, un de ses deux récits d’hospitalisation, qu’il revient sur l’absence de son père. Cela peut paraître curieux. En effet, pourquoi n’aborde-t-il pas la question de son père absent dans Un enfant puisque c’est à cette époque qu’il se réfère pour en parler dans Le froid? Sans doute parce que l’enfant d’alors n’était pas outillé pour réfléchir

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