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1. Introduction

1.4. La bactérie Escherichia coli

1.4.4. La souche d’Escherichia coli LF82

Parmi les différentes souches associées à la maladie de Crohn, la souche d’E. coli LF82 a tout particulièrement été étudiée et est considérée comme la souche de référence. Le génome de cette souche séquencé en 2010 montre qu’elle appartient au groupe phylogénétique B2 et qu’elle a sans doute évolué par acquisition de gènes de Salmonella ou de Yersinia à partir d’une souche ExPEC (Miquel, Peyretaillade et al. 2010).

Outre sa capacité à adhérer aux cellules épithéliales intestinales (Darfeuille-Michaud, Neut et al. 1998), cette souche est capable d’envahir l’épithélium (Boudeau, Glasser et al. 1999). De façon intéressante, le mécanisme d’internalisation de LF82 dans les cellules épithéliales se revèle bien différent des autres souches d’E. coli et s’apparente plus à celui de certaines Salmonelles ou Shigelles voire des souches de Listeria. En effet, le contact entre LF82 et la cellule épithéliale induit la formation d’extensions des microvillosités permettant ainsi d’entourer la bactérie puis de l’internaliser (figure 65). On retrouve ce processus chez les Salmonelles ou les Shigelles. La bactérie se retrouve ainsi des vacuoles d’endocytose qu’elle peut par la suite lyser pour se retrouver libre dans le cytoplasme. C’est donc un processus actif qui permet à LF82 d’envahir les cellules épithéliales.

Figure 65 : Cliché de microscopie électronique à transmission de cellules épithéliales Hep-2 infectées par la souche LF82. A gauche, bactérie englobée par l’extension d’une microvillosité issue de la cellule infectée (x 21600). A droite, la membrane de la vacuole en cours de lyse par la souche LF82, illustrant sa capacité à s’échapper des vacuoles d’endocytose (x 28800). D’après (Boudeau, Glasser et al. 1999).

Par la suite, la même équipe de recherche a pu montrer, en réalisant un crible génétique, que plusieurs gènes étaient impliqués dans le processus d’adhésion et d’internalisation dans les cellules épithéliales. Les gènes qui ressortent de ce crible codent pour les pili de type I, les flagelles et des

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115 lipoprotéines de surface. Des mutants des gènes fimI et fimF codant des constituants des pili conservent leur capacité d’adhésion aux cellules épithéliales mais perdent celle d’induire l’internalisation. L’expression de l’opéron fim de LF82 chez E. coli K12 ne confère pas à cette dernière la capacité d’invasion des cellules épithéliales suggérant que les pili ne sont cependant pas la seule structure impliquée dans ce processus (Boudeau, Barnich et al. 2001). En 2003, il a en effet été montré que les flagelles jouaient aussi un rôle dans la virulence de LF82. La délétion du gène fliC codant la flagelline (protéine structurale majoritaire du flagelle), bloque le processus d’invasion de LF82 et réduit sa capacité à adhérer aux cellules épithéliales intestines (Barnich, Boudeau et al. 2003). Deux lipoprotéines, NlpI et YfgL, sont également importantes dans le processus de virulence de LF82. Un mutant de la protéine de surface NlpI réduit fortement la capacité d’adhésion et d’invasion de LF82 (Barnich, Bringer et al. 2004). Ce mutant est non motile et exprime très peu de pili de type I pourtant NlpI ne semble pas agir directement sur l’opéron fim ou le régulateur des flagelles FlhDC. Au regard de l’effet pléiotropique du mutant nlpI, il se pourrait qu’il soit relié à un système de régulation plus large de type système à deux composants. En effet, chez E. coli K12 la lipoprotéine NlpE est requise pour induire l’adhésion à des surfaces hydrophobes via le système à deux composants CpxA-CpxR. On peut imaginer qu’un mécanisme semblable ait lieu chez LF82.

La seconde lipoprotéine importante dans la virulence est YfgL. Cette protéine est normalement impliquée dans la synthèse et la dégradation du peptidoglycane. La délétion du gène yfgL a pour conséquence une diminution très forte (34 fois moins) des capacités d’adhésion et d’invasion de LF82 (Rolhion, Barnich et al. 2005). Dans le mutant d’yfgL il est également observé une diminution des vésicules de membrane externe (OMV). Ces vésicules sont formées par bourgeonnement de la membrane externe chez les bactéries à Gram négatif (Kuehn and Kesty 2005). Il a été suggéré que ces vésicules soient impliquées dans les communications entre bactéries de la même espèce ou inter-espèces et plus récemment dans les interactions hôtes-pathogènes en délivrant par exemple des facteurs de virulence (toxines, adhésines, protéases…). Les OMV pourraient également jouer un rôle de protection chez les bactéries non pathogènes afin de se débarrasser de composés toxiques ou des phages. Dans le cas de LF82, il semblerait que la délétion d’yfgL diminue la production de peptidoglycane limitant in fine la production des OMV.

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LF82, comme les autres AIEC associées à la maladie de Crohn, possède par ailleurs la capacité de survivre et se répliquer dans les macrophages. Les macrophages sont les cellules immunitaires capables d’éliminer les agents pathogènes de l’organisme par phagocytose. Une fois « l’intrus » capturé dans la phagosome (vésicule intracellulaire) ce dernier va fusionner avec le lysosome, une vésicule dont le pH est très acide (entre 3.5 et 5) et contenant de nombreuses enzymes et radicaux libres de l’oxygène. Dans cet environnement peu favorable la plupart des bactéries sont tuées mais ce n’est pas le cas de LF82. Une étude montre que le nombre de bactéries LF82 retrouvées dans les macrophages humain est 2 fois supérieur à 4h qu’à 1h après infection (Glasser, Boudeau et al. 2001). Dans ce même test, avec une souche d’E. coli K12, entre 1h et 4h la moitié des bactéries ont été tuées. D’autres tests avec des lignées de macrophages murins J774-A1 montrent que LF82 est capable de résister à l’activité bactéricide des macrophages pendant au moins 5 jours. Par ailleurs, un pic à 48h post-infection est observé où les bactéries sont jusqu’à 72 fois plus nombreuses qu’une heure après infection. LF82 induit la formation d’une large vacuole dans laquelle elle va persister et se répliquer. Contrairement à ce qui se passe dans les cellules épithéliales LF82 ne semble pas lyser la vacuole car aucune bactérie n’est retrouvée dans le cytoplasme des macrophages. Par ailleurs, LF82 n’induit pas la mort cellulaire des macrophages infectés comme font d’autres pathogènes intracellulaires tels que les Salmonelles ou les Shigelles. En revanche, les macrophages infectés sécrètent des taux élevés de TNF-α (Glasser, Boudeau et al. 2001). Cette cytokine, importante dans la médiation de l’inflammation aiguë, est normalement produite par des macrophages infectés en réponse au lipopolysaccharide (LPS) des bactéries à Gram négatif. La sécrétion de TNF-α permet notamment le recrutement d’autres macrophages au site de l’infection. Il est intéressant de rapprocher cette information de l’observation de granulomes associés aux lésions de la maladie de Crohn. Les granulomes associés à cette pathologie sont des agrégats formés de bactéries (on retrouve E. coli dans 80% des granulomes de la maladie de Crohn), de macrophages, de lymphocytes et de cellules géantes multinucléées (Ryan, Kelly et al. 2004). On peut noter que la présence de ces granulomes est une des caractéristiques histologiques étudiées dans le processus de diagnostic de la maladie de Crohn. Différentes études ont pu montrer que le TNF-α augmentait la formation des granulomes. Par ailleurs, in vitro LF82 induit l’agrégation de macrophages humains infectés puis le recrutement de lymphocytes circulants et de cellules géantes multinucléées formant une structure ressemblant fortement aux granulomes associés à la maladie de Crohn (Meconi, Vercellone et al. 2007). On peut donc penser que LF82,

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117 en stimulant la production de TNF-α par les macrophages, conduirait à la formation des granulomes. De plus, il a été montré que la forte sécrétion de TNF- α était nécessaire pour que la réplication de LF82 dans les macrophages soit maximale (Bringer, Billard et al. 2012).

Un autre rôle du TNF-α a été suggéré dans une étude en 2007 (Barnich, Carvalho et al. 2007). En effet, il a été montré que LF82 adhèrerait préférentiellement à la bordure des entérocytes iléaux (un des quatre type de cellules retrouvé dans l’épithélium intestinal) des patients atteints de la maladie de Crohn et plus précisément au niveau du récepteur CEACAM6 (CarcinoEmbryonic Antigen-related Cell Adhesion Molecule 6), surexprimé chez ce type de patient. Les auteurs précisent que la stimulation des cellules épithéliales par du TNF-α et des cytokines pro- inflammatoires (INF-γ) aboutit à la surexpression de ce récepteur de même que l’infection de ces même cellules par une AIEC. Ainsi les AIEC telles que LF82 pourraient stimuler la production de TNF-α, induisant la surproduction du récepteur à la surface des cellules épithéliales et donc favorisant leur colonisation (figure 66).

Figure 66 : Modèle de colonisation des cellules épithéliales par une bactérie de type AIEC telle que LF82. Les bactéries de type AIEC pourraient via leurs pili de type I se fixer au récepteur CEACAM6 ce qui leur permettrait d’adhérer et d’envahir l’épithélium intestinal. Une fois cette barrière passée, elles pourraient être internalisées au sein des macrophages qui en retour sécréteraient du TNF-α. Le rôle de cette molécule serait non seulement de recruter d’autres macrophages et lymphocytes (formation des granulomes) mais aussi de stimuler l’expression du récepteur CEACAM6 facilitant ainsi l’entrée de nouvelles AIEC. Issue de (Abraham and Cho 2007).

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De façon intéressante, une fois dans les phagolysosomes, LF82 n’interfère pas avec la maturation des macrophages et est donc capable de résister à l’acidité et à l’activité hydrolytique de la cathepsine D active dans ce compartiment (Bringer, Glasser et al. 2006). Au contraire l’acidité semble être un signal important pour la régulation des gènes de virulence nécessaires à la survie et la multiplication de LF82 au sein des macrophages. En effet, la neutralisation du pH des phagolysosomes contenant des bactéries de type LF82 par des agents tels que la chloroquine ou du chlorure d’ammonium inhibe leur réplication.

Une multitude de gènes sont impliqués dans la réponse des bactéries au stress généré par le processus infectieux mais je me suis particulièrement intéressée au rôle du système à deux composants EnvZ-OmpR dans la pathogenèse de LF82. Une forte osmolarité améliore de façon significative l’adhésion entre LF82 et des cellules épithéliales intestinales (Rolhion, Carvalho et al. 2007). L’analyse du profil des porines OmpA, OmpC et OmpF dans ces conditions révèle une augmentation du niveau d’OmpC et une diminution du niveau d’OmpF. Les auteurs ont donc logiquement pensé que cela pouvait impliquer le système EnvZ-OmpR. Comme attendu, la délétion d’ompR dans une souche LF82 diminue très fortement ses capacités à adhérer et envahir les cellules épithéliales (figure 67A).

Figure 67 : Effet de la délétion d’ompR sur les capacités d’adhésion et d’invasion de LF82. L’adhésion et l’invasion de souches sauvages (wt) ou délétées pour OmpR (ΔompR) transformées par le plasmide surproduisant OmpR (+ompR) [A], OmpC (+ompC) [B], OmpF (+ompF) [B] ou le vecteur vide (pBAD24) [A]. Issue de (Rolhion, Carvalho et al. 2007).

Les auteurs de cette publication précisent que c’est la porine OmpC qui est directement impliquée dans l’adhésion et l’invasion. En effet, à faible osmolarité ou dans une souche délétée pour ompC, ces capacités sont fortement diminuées. Ils précisent également que la délétion d’ompC n’affecte

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119 pas la formation des pili de type I et des flagelles requis pour l’adhésion et l’invasion. En revanche, dans un mutant d’ompR, la surexpression d’ompC ou d’ompF restore l’adhésion et l’invasion de cellules épithéliales (figure 67B).

Les auteurs proposent également un modèle dans lequel la forte osmolarité du tractus intestinal va induire EnvZ-OmpR conduisant à l’augmentation de l’expression d’ompC. Dans ce cas, l’accumulation d’OmpC dans le périplasme activerait sigma E aboutissant à la surexpression des pili de type I et des flagelles à la surface de la bactérie (figure 68). Ces données montrent donc que les protéines de membrane externe jouent un rôle prépondérant dans la pathogénie de LF82. Il est intéressant de préciser que chez 55% des patients atteints de la maladie de Crohn on retrouve des anticorps dirigés contre la porine OmpC, renforçant l’implication de cette protéine dans la pathogénèse (Landers, Cohavy et al. 2002).

Figure 68 : Rôle potentiel du système à deux composants EnvZ-OmpR et d’OmpC dans la virulence de LF82. Issue de (Rolhion, Carvalho et al. 2007).

On peut néanmoins préciser que la régulation via le système EnvZ-OmpR pourrait être un peu différente de la souche d’E. coli non pathogène K12. En effet, la délétion d’ompR conduit chez LF82 à une forte diminution des flagelles alors que chez K12 la motilité est augmentée dans un mutant d’ompR (figure 69) suggérant une augmentation du nombre de flagelles. De même chez E. coli K12 l’induction de sigma E conduit plutôt à une diminution des pili et flagelles alors qu’il s’agirait d’une augmentation chez LF82.

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Figure 69 : Test de motilité sur agar mou des souches LF82 ou MG1655 (E. coli K12). Plusieurs contextes génétiques sont testés : sauvage (wt), mutant pour ompR (ΔompR) sans/avec surproduction d’ompC. Issue de (Rolhion, Carvalho et al. 2007)

Pour finir on peut imaginer que l’implication du système EnvZ-OmpR soit également liée au fait que ce système réponde au stress acide comme nous l’avons vu chez E. coli K12 ce qui pourrait être aussi le cas chez LF82. De manière globale les systèmes à deux composants sont importants dans la physiologie bactérienne et notamment au cours du processus d’infection comme on peut le voir avec LF82 et EnvZ-OmpR. Aussi comprendre les mécanismes mis en jeu via ces systèmes au cours de l’infection peut nous renseigner sur la virulence des souches pathogènes.

Objectifs de la thèse

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