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Sortir d'une vision rigide de l'institution : un processus évolutif et relationnel relationnel

des modes de socialisation professionnelle ?

1.3. Sortir d'une vision rigide de l'institution : un processus évolutif et relationnel relationnel

Vouloir s'intéresser au fonctionnement des institutions conduit irrémédiablement à se focaliser sur le processus de socialisation qui s'y déroule. Car si le contenu de cette socialisation peut changer, les mécanismes selon lesquels elle agit restent invariablement semblables au fil du temps et de l'espace. Comme l'affirme Bernard Lahire, « les cadres de la socialisation se

transforment, et les individus socialisés dans ces cadres aussi, mais la socialisation, elle, ne s'arrête ni ne disparaît : on continue à apprendre à marcher, parler, écrire, manger, écouter de la musique, etc., en acquérant des manières spécifiques aux milieux et institutions qu'on est amené, le plus souvent indépendamment de notre volonté, à fréquenter. » (Lahire, 2013). En

première instance, l'institution peut donc être comprise comme un cadre de socialisation qui contribue à façonner les manières d'agir, de faire et de penser des individus qui s'y trouvent, selon les valeurs et les normes dominantes du milieu dans lequel elle sévit. Il est important de comprendre que ce cadre structure et se structure autour de normes et de valeurs qui évoluent en permanence. De ce fait, une institution ne peut être amenée à disparaître ou à décliner car sa structure peut se transformer afin de correspondre davantage à de nouveaux enjeux pouvant apparaître au sein du champ social dans lequel elle intervient. Aussi, l'institution ne doit pas être conçue comme un « monstre froid » établi une fois pour toutes et incapable d'évoluer structurellement, mais davantage comme un organisme vivant qui est en capacité de s'adapter aux changements de son environnement social.

On peut alors se poser la question de savoir ce qui maintient l'institution en vie ; la réponse tient selon nous dans l'existence d'une dynamique relationnelle qui assure la permanence de l'institution dans le temps et l'espace en organisant la configuration des rapports entre la structure et les acteurs sociaux qui y évoluent. Pour reprendre les termes de Jacques Lagroye, cette dynamique permet de donner un sens collectif aux pratiques individuelles qui se déroulent au sein de l'institution (Lagroye, 2011). Pour cela, l'institution est animée par un double mouvement : un premier mouvement où elle constitue les acteurs selon les normes, les usages et les savoirs qu'elle leur prescrit. Un second mouvement où elle est constituée par la manière dont les acteurs se saisissent des normes, des usages et des savoirs qui leur sont prescrits par l'institution. Autrement dit, l'action institutionnelle constitue les individus en même temps qu'elle est constituée par l'action que ces derniers exercent sur elle. La notion de culture apparaît ainsi particulièrement pertinente pour rendre compte de la vitalité

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institutionnelle car elle illustre bien la dynamique paradoxale de l'institution qui peut être décrite comme un « groupement objectivé dans des savoirs, savoir-faire, normes et usages, et

tout à la fois subjectivé et incorporé par les acteurs qui y prennent part. » (Lagroye, 2011).

L'institution se caractérise ainsi par son aspect évolutif et constamment en devenir puisque son existence ne repose pas sur des prescriptions objectives immuables et contraignantes, mais qu'elle dépend également des interprétations subjectives qui en sont faîtes par les acteurs sociaux. En d'autres termes, une institution est fondée sur une articulation permanente entre un capital objectivé par l'institution et mis à disposition des individus qui s'y trouvent (rôles, représentations sociales, ressources pratiques, etc.) d'une part, et un capital incorporé qui correspond à l'usage que les individus font des rôles, représentation et ressources qui leur sont prescrits en fonction de leurs trajectoires individuelles d'autre part. Comme le fait remarquer Freymond, l'institutionnalisme sociologique rejette « l'idée selon laquelle les institutions

exercent des effets immédiats et uniformes sur les acteurs (par exemple, en termes de contraintes et d'opportunités) au profit d'une analyse des usages des rôles institutionnels comme produits d'un jeu dialectique entre les prescriptions objectivées dans l'institution et les dispositions intériorisées des acteurs. » (Freymond, 2011). La vie des institutions est donc

assurée par cette dialectique qui fait se rencontrer un cadre institutionnel composé de normes explicites issues d'une socialisation formelle mise en œuvre par le biais de prescriptions objectives d'un côté, et des acteurs qui activent ou laissent en veille les dispositions intériorisées au sein de ce cadre selon leur interprétation subjective des situations sociales qui se posent à eux.

A la lumière de cette analyse, la conception de l'institution comme un dispositif symbolique et pratique qui institue de manière unilatérale des sujets passifs n'apparaît pas comme une définition satisfaisante de l'action institutionnelle. En effet, nous avons vu que l'institution n'est pas un cadre rigide fixé définitivement, mais qu'il est amené à évoluer dans le temps et l'espace ; en cela, l'institution est vivante et elle constitue les individus qui y prennent part autant qu'elle est constituée par eux. Dès lors, son action ne peut être comprise que de façon partielle en considérant un seul des deux termes de l'équation institutionnelle. Nous avons mis en évidence que l'institution peut être assimilée à un cadre objectif prescripteur de normes, de rôles et de représentations sociales, et que son action est prise dans une logique dialectique qui la fait se confronter au travail subjectif des acteurs qui s'approprient ses prescriptions en fonction de dispositions qui leur sont propres. Aussi, si l'institution peut être définie comme une structure normative qui organise les pratiques et les représentations sociales des individus

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qu'elle désire socialiser, on ne peut comprendre son action et son caractère dynamique et évolutif sans prendre en considération la manière dont cette socialisation est reçue. Au final, la définition de l'institution peut être élargie et complétée ainsi : il s'agit d'un dispositif objectif qui se donne pour but d'organiser pratiquement et symboliquement les interactions sociales qui s'y déroulent par le biais de prescriptions formalisées et contraignantes, mais en ne maîtrisant pour autant pas totalement les interprétations et les appropriations qui peuvent en être faîtes par les individus qui y prennent part. Cette définition ne nie pas l'aspect contraignant de l'institution et reconnaît la possibilité pour les individus d'activer ou de laisser en veille les dispositions intériorisées au cours de la socialisation en fonction de leur trajectoire. En cela, nous ne cherchons pas à nous inscrire dans une approche originale de l'institution dans notre travail, mais bien davantage à nous rapprocher d'une tradition théorique interactionniste qui accorde à l'institution une place importante dans la constitution sociale des individus. Everett C. Hugues insiste notamment sur deux points dans ses travaux concernant les institutions ; lorsqu'il s'intéresse à la manière dont l'institution médicale forme les médecins, il conçoit l'éducation médicale comme un ensemble de processus par lesquels la culture médicale est maintenue en vie au fur et à mesure des générations et du temps, étendue à de nouvelles populations et cumulant de nouveaux savoirs (Hugues, 1955). Hugues pense ainsi que « les institutions tendent à confiner le comportement en un seul point modal en

définissant ce qui est convenable, en sanctionnant les comportements déviants, et en mettant en place des dispositifs destinés à n'offrir aux gens que des possibilités et des services standardisés. Mais si elles restreignent les possibilités de comportement, les institutions ne suppriment pas complètement les déviations » (Hugues, 1996). Aussi, sans remettre en

question le caractère contraignant de l'institution, le sociologue américain admet que l'on ne peut comprendre son action si l'on n'étudie pas les déviations qui peuvent se produire en son sein et, par là-même, la conduire à changer et à se transformer. L'institution est ainsi perçue comme un processus relationnel entre les standards objectifs imposés par la structure institutionnelle et les déviations subjectives qui peuvent s'y développer.

Ce premier point de notre travail avait pour vocation de situer théoriquement notre recherche à partir d'une discussion autour du concept d'institution. Cela nous semble d'autant plus nécessaire que notre thèse vise à comprendre la manière dont une institution forme et transforme une population afin qu'elle adopte les manières d'agir, de penser et de faire correspondantes au groupe professionnel des enseignants. Au cours de cette discussion, nous avons pris nos distances à l'égard d'une interprétation trop rigide de cette notion, qui est selon

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nous à l'origine de l'idée de déclin institutionnel. Nous espérons avoir montré fallait envisager une vision alternative de l'institution, à savoir un processus pouvant varier dans le temps, dans son contenu et dans ses modalités. D'autre part, nous avons mis l'accent sur le caractère relationnel du processus institutionnel qui ne peut être compris uniquement comme une contrainte imposée par une structure normative à l'égard d'individus passifs, mais qui doit prendre en considération la normativité dont peuvent faire preuve ces individus lorsqu'ils se saisissent des injonctions institutionnelles. Nous avons alors déduit de cette analyse que notre recherche rejoignait une perspective interactionniste de l'institution, et c'est donc dans ce cadre théorique que nous allons situer notre travail.

1.4. L’institution comme terrain d’enquête : choix méthodologiques

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