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2. Rôle du sommeil sur la mémoire

2.2. Rôle du sommeil dans les processus de mémorisation

2.2.3. Sommeil paradoxal et mémoire émotionnelle

De nombreux travaux ont montré un effet facilitateur du sommeil et particulièrement du SP, sur la mémoire émotionnelle chez l'homme (ex : Hu et al., 2006 ; Payne et al., 2008 ; Wagner et al., 2001). Ainsi la rétention de texte à contenu émotionnel est renforcée suite à une période de sommeil riche en SP par rapport à une période de sommeil riche en SL. Cet effet bénéfique du SP n'est pas observé pour la rétention de texte neutre (Wagner et al., 2001). Chez les rongeurs, des privations de SP avant ou après une tâche de conditionnement contextuel à la peur dépendante de l'hippocampe, altèrent les performance au rappel (Ravassard et al., sous presse ; Ruskin et al., 2004). Cet effet a été répliqué pour des tâches d'évitement passif et actif (Silva et al., 2004) et de labyrinthe aquatique de Morris (Smith and Rose, 1997) qu'on peut considérer comme émotionnelles du fait de leur nature aversive. Le SP semble donc être un état privilégié pour la consolidation de la mémoire émotionnelle. Il a, en effet, été montré chez l'homme que, lors d'une sieste suivant un apprentissage au contenu émotionnel, les quantités de SP et l'activité thêta corticale sont corrélées positivement à un gain de performances (Nishida et al., 2009). Cela suggère que l'activité neuronale pendant le SP pourrait faciliter la consolidation mnésique de nature émotionnelle.

Comme on l'a vu précédemment, la formation et l'expression de la mémoire émotionnelle s'appuie sur un réseau neurobiologique, le circuit hippocampo-amygdalien. Or ce dernier est activé sélectivement pendant le SP comme le montre des études en neuroimagerie chez l'homme (Maquet, 1999) et des études de gènes d'expression précoce chez le rongeur (Ribeiro et al., 1999, 2002). Ces résultats suggèrent aussi qu'il y a une modulation de l'activité cérébrale au niveau cellulaire pendant le SP. Par ailleurs, suite à une tâche de conditionnement à la peur, il y a une augmentation de la cohérence du thêta entre l’amygdale et l'hippocampe pendant le SP corrélée positivement à l’efficacité de la consolidation mnésique (Popa et al., 2010). Ainsi un apprentissage émotionnel permet la réactivation du circuit hippocampo-amygdalien pendant le SP assurant ainsi un dialogue dynamique qui serait un facteur important dans la réorganisation des réseaux de l’amygdale et de l’hippocampe. De plus, ces résultats suggèrent que le circuit hippocampo-amygdalien dans son ensemble participe activement aux processus de consolidation systémique des mémoires émotionnelles. Cependant si le sommeil aide à la consolidation des information émotionnelles et particulièrement des informations aversives, des observations comportementales simples, telles que l'augmentation de l'irritabilité suite à une privation de sommeil, ont pointé du doigt

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un rôle fondamental du sommeil dans la gestion des émotions chez l'homme (Horne, 1985). Le manque de sommeil semble donc amplifier les émotions à valence négative. La présentation d'une série d'images présentant un gradient émotionnel allant de neutre à extrêmement aversif après privation ou non d'une nuit de sommeil conduit à une augmentation de plus de 60% de l'activité dans l'amygdale chez les sujets privés par rapport aux sujets non-privés (Yoo et al., 2007). La connectivité entre l'amygdale et le mPFC, une région supposée exercer un contrôle descendant, inhibiteur, sur l'amygdale, est diminuée chez les sujets privés tandis que la connectivité entre l'amygdale et les régions engagées dans les fonctions viscérales est augmentée. Dormir permettrait donc de corriger, via les connections mPFC-amygdale, l'attribution d'une tonalité négative à un souvenir afin de gérer le stress potentiellement engendré par l’évocation mentale de ce souvenir. Or, il a été observé chez des patients atteints de dépression ou de stress post-traumatique, deux maladies associées à une mauvaise gestion du stress, des perturbations du cycle de sommeil et du SP en particulier (Davidson et al., 2002 ; New et al., 2007). Les patients souffrant de dépression présentent ainsi des insomnies associées à une déstructuration du sommeil. Il y a ainsi augmentation des quantités de SP en début de nuit et une diminution de la latence d'entrée en SP. Leur manque de sommeil conduirait ainsi à un encodage des évènements aversifs et à une réactivité émotionnelle forte. Ces informations à valence négative seraient alors consolidées lors d'épisodes de SP ultérieurs.

Ces observations chez l'homme, ont conduit Walker et Van Der Helm à proposer la théorie "dormir pour oublier, dormir pour se rappeler" (sleep to forget, sleep to remember, Walker et van der Helm, 2009) (Fig. 10). Elle suppose que le SP, après une expérience émotionnelle aversive, favoriserait le renforcement du contenu (déclaratif) d'une représentation mnésique donnée, le vécu de l'expérience proprement dit, tout en diminuant le tonus émotionnel qui y est associé via la réactivation des structures du circuit hippocampo-amygdalien. Ainsi, le rappel un an plus tard d'un souvenir émotionnel, conduit à une augmentation de l'activité dans l'hippocampe mais pas dans l'amygdale alors que celle-ci était présente lors de l'encodage (Dolcos et al., 2004, 2005). Il y aurait ainsi un découplage progressif entre hippocampe (aspects déclaratif et contextuel du souvenir émotionnel) et amygdale (émotion). Or, pendant la nuit suivant un apprentissage, il y a une diminution de l'activité de l'amygdale pendant le SP. Ce découplage semble donc bien être dépendant du SP (van der Helm et al., 2011). La mémoire de l'évènement émotionnel et de son contexte spatio-temporel serait ainsi conservée au niveau de l'hippocampe tandis que les réactions émotionnelles originellement associées à

39 l’événement diminueraient avec le désengagement de l'amygdale. De plus, l'encodage d'une mémoire épisodique émotionnelle est influencée par des concentrations élevées de neuromodulateurs propres à la réaction physiologique engendrée par l'expérience (stress par exemple), qui faciliterait sa consolidation en la rendant plus robuste qu'une mémoire à contenu neutre (McGaugh, 2004). En l'absence de ces facteurs synergiques, le rappel ultérieur de l'expérience émotionnelle conduirait à un effacement progressif d'une tonalité affective devenue non pertinente tandis que l'information en elle-même continuerait à être consolidée. Les patients atteints de dépression ou de stress post-traumatique présenteraient ainsi une altération de cette fonction protectrice du SP conduisant à une consolidation biaisée des contenus négatifs.

Le SP jouerait donc un rôle facilitateur dans la consolidation des informations de nature émotionnelle et, de facto, dans la modulation de l'activité du circuit hippocampo-amygdalien et plus particulièrement de hippocampe. Cet état de vigilance est caractérisé par un ensemble de neuromodulateurs et d'hormones dont la libération peut influencer la consolidation mnésique en modifiant la force synaptique au sein du réseau hippocampique. Ce dernier représente donc un modèle idéal pour comprendre les mécanismes synaptiques de la régulation de la mémoire par le SP.

Figure 10. Théorie "dormir pour oublier, dormir pour se rappeler". Au cours des épisodes de SP la nuit suivant (et aussi les nuits successives) un apprentissage émotionnel, il y aurait découplage progressif entre l'hippocampe et l'amygdale dû à leur réactivation en l'absence des facteurs synergiques (hormones de stress par ex) présents lors de l'association entre le stimulus émotionnel et le la mémoire de l'évènement à proprement parlé. Cela conduirait d'abord à une consolidation et donc une rétention de l'information saillante émotionnelle puis à une diminution de la charge affective. Cela limiterait, lors du rappel de l'information émotionnelle, la réactivation des émotions éprouvées lors de l'encodage de cette information, empêchant ainsi l'établissement d'un état d'anxiété chronique.

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3. Un modèle cellulaire de la mémoire : plasticité synaptique dans