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3. Un modèle cellulaire de la mémoire : plasticité synaptique dans l'hippocampe

3.2. Plasticité à long terme dans les réseaux excitateurs de l'hippocampe

3.2.4. La dépression à long terme (LTD)

La LTP permet une augmentation de la force synaptique persistante. Or, si l'activité cérébrale n'était modulée que par ce mécanisme, il y aurait forcément une saturation rapide des réseaux neuronaux, rendant ceux-ci inefficaces pour encoder de nouvelles informations. De plus, la formation d'une trace mnésique ne peut se faire que s'il y a une modulation relative des poids synaptiques à travers les réseaux afin de créer des assemblées de neurones reliées entre elles. Il doit donc y avoir un mécanisme inverse permettant de diminuer la force synaptique. Ce dernier a été démontré expérimentalement par deux approches. D'abord, une stimulation

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prolongée de basse fréquence (1-3Hz) peut dépotentialiser des synapses préalablement renforcées par LTP, les ramenant à leur état basal (Barrionuevo et al., 1980). Enfin, ce même type de stimulation peut induire une dépression de longue durée (LTD) dépendante des NMDAR sur des synapses naïves dans l'hippocampe (Dudek et Bear, 1992). Cette LTD existe dans de nombreuses structures présentant une transmission excitatrice (Citri et Malenka, 2008). Cependant, une autre forme de LTD, induite par un protocole légèrement différent, coexiste dans les synapses SC-CA1. Elle est dépendante des récepteurs métabotropiques au glutamate (mGluR) (Oliet et al., 1997). Nous ne l'aborderons pas dans ce manuscrit. La LTD dépendante des NMDAR partage de nombreuses caractéristiques avec la LTP. Ainsi, elle est homosynaptique, est inductible par des protocoles de pairage synaptique (considérés plus physiologiques) et se compose aussi de deux phases, précoce et tardive. Ces mécanismes d'induction, d'expression et de maintenance sont donc très similaires à ceux de la LTP.

Figure 14. Mécanismes de maintenance de la LTP. L’activation d’une synapse induit des phénomènes locaux et nucléaires afin de pérenniser la potentialisation de la réponse synaptique. A. Mécanismes de traduction dendritique. L’induction de la LTP augmente la concentration intracellulaire en Ca2+ ([Ca2+]i) et active la CaMKII. Cette dernière alimente deux cascades de phosphorylation: la voie ERK/MAPK et la voie des PI3K (phosphatidylinositol-3-kinase). Ces deux voies conduisent à l’activation de mTOR (mammalian target of rapamycin), qui initie des mécanismes de traduction locale via le facteur C/EBP afin de néo-synthétiser les facteurs indispensables au maintien de la LTP. B. Mécanismes de transcription nucléaire. L’activation d’ERK donne lieu à sa translocation vers le noyau du neurone, et à l’activation du facteur de transcription CREB. Celui-ci induit la transcription des gènes d’expression précoce c-fos et zif268. Ces facteurs de transcription régulent à leur tour des gènes d’expression tardive dont le produit est adressé spécifiquement à la synapse activée (D'après Ravassard, 2009).

51 La stimulation de basse fréquence induit une libération lente mais continue de glutamate qui va engendrer une dépolarisation post-synaptique en dessous du seuil de génération des PA. Celle-ci permettra tout de même l'activation des NMDAR et donc l'entrée lente et continue de Ca2+ dans l'épine dendritique (Kemp et Bashir, 2001). Ainsi, l’induction de la LTD, comme celle de la LTP, est dépendante de l’augmentation des concentrations de Ca2+ intracellulaire (Fig. 12). Toutefois, l'amplitude de cette augmentation permettrait l'apparition différentielle des deux formes de plasticité à long terme. Ainsi, une concentration faible, de l'ordre du nanomolaire, suffirait à l'induction de la LTD tandis que celle de la LTP nécessiterait une élévation au delà d'un certain seuil, de l'ordre du micromolaire (Citri et Malenka, 2008). La manipulation de cette concentration calcique intracellulaire permet ainsi de provoquer une transition entre la LTP et la LTD (Harney et al., 2006). Ces conditions particulières permettraient alors l'activation, non pas de la CaMKII, comme dans la LTP, mais d'une protéine phosphatase, la calcineurine (PP2B). Son activation entraîne celle de toute une cascade de phosphatases, dont la PP1, qui diminue alors l'activité des kinases que nous avons décrites précédemment (Kirkwood et Bear, 1994a ; Morishita et al., 2001). La déphosphorylation de la CaMKII par cette cascade de phosphatases conduit à celle de la stargazine et donc à la dissociation du complexe stargazine-AMPA de la PSD95 impliqué dans l'adressage des AMPAR à la membrane post-synaptique (Tomita et al., 2005). Ceci pourrait être un des mécanismes à l’origine de l'internalisation des AMPAR (Beattie et al., 2000). Cette diminution du nombre d'AMPAR à la membrane synaptique diminue alors la réponse synaptique (Fig. 13). Il est donc important de noter que les mécanismes moléculaires régissant LTP et LTP sont très proches mais complètement opposés. Ainsi, l'inhibition génétique de la calcineurine altère l'induction de la LTD mais augmente l'amplitude de la LTP dans l'hippocampe (Malleret et al., 2001 ; Zeng et al., 2001). Il y a donc une régulation bidirectionnelle de la plasticité synaptique ce qui représente un mécanisme majeur de métaplasticité.

Mais quel est le rôle de la LTD dans les processus de mémorisation dépendant de l'hippocampe ? Pendant longtemps, on lui a prêté un rôle auxiliaire dans les fonctions d’oubli (Tsumoto, 1993) et d’augmentation du ratio signal sur bruit (Dayan et Willshaw, 1991). Ces postulats se basaient sur la conception de la LTD comme une image miroir de la LTP. Ainsi, si la LTP permet l'encodage des souvenirs en augmentant l'efficacité de certaines synapses, alors on a pensé que la LTD devrait favoriser l’oubli de ces souvenirs en permettant de diminuer l'efficacité de ces synapses. De la même manière, la LTD pourrait augmenter le

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rapport signal sur bruit en déprimant les synapses non impliquées dans un apprentissage tandis que les connexions entre les neurones de la trace mnésique seraient augmentées par LTP. Ces conceptions ont été fortement remises en cause par des études suggérant que la LTD jouerait un rôle dans l'établissement des traces mnésiques. Ainsi, l'apprentissage d'un nouvel environnement entraîne une facilitation de l'induction in vivo de LTD dans l'hippocampe de rat (Manahan-Vaughan et Braunewell, 1999). De plus, la performance des animaux dans une tâche de mémoire de travail spatiale a été corrélée à l'amplitude de la LTD induite in vitro (Nakao et al., 2002). Pour rendre compte de ces résultats, deux idées ont été avancées. D'abord, la LTD permettrait le stockage d’informations dans l'hippocampe différentes de celles codées par la LTP (Kemp et Manahan-Vaughan, 2007). Ainsi, la LTD est facilitée dans CA1 lors de l'exploration d'un environnement riche où plusieurs objets sont disposés alors que la LTP est facilitée lors de l'exploration d'un environnement vide (Manahan-Vaughan et Braunewell, 1999). Dans CA1, la LTP rendrait alors compte des informations spatiales tandis que la LTD permettrait l'association entre objet et contexte. Une seconde hypothèse suppose que la LTD fragilise les traces mnésiques anciennes pour les empêcher d’interférer avec l'encodage de nouvelles informations essentielles au comportement (Nicholls et al., 2008). Ainsi, chez des souris déficientes pour la calcineurine, l'altération de la LTD hippocampique est associée à une altération des performances dans une tâche de mémoire de travail (Zeng et al., 2001). Nicholls et coll. ont trouvé le même phénotype chez des souris déficientes pour une autre phosphatase, la PP2A (Nicholls et al., 2008). En plus, d’un déficit en mémoire de travail, ces souris présentaient un déficit de flexibilité comportementale. En effet, lors d’une tâche de transfert en water maze (durant laquelle on demande à l’animal d’apprendre à localiser un nouvel emplacement de plateforme), ces souris persistaient à retourner au premier emplacement appris de la plateforme. Ce déficit d’oubli d’informations préalablement acquises mais non pertinentes fut observé dans une tâche de mémoire de travail. Ces résultats semblent donc indiquer que la LTD fragiliserait bien les traces mnésiques anciennes pour les empêcher d’interférer avec l'encodage de nouvelles informations essentielles au comportement (Nicholls et al., 2008).