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1. Les réseaux neurobiologiques de la mémoire

1.6. La consolidation mnésique

Cette idée est assez ancienne puisqu'elle puise ses racines dans les travaux de Müller et Pilzecker qui définissent la consolidation comme la période pendant laquelle des interférences (de nouveaux apprentissages par exemple) peuvent perturber le rappel d'une mémoire déclarative (Lechner et al., 1999). Aujourd’hui, la consolidation mnésique fait référence à un ensemble de processus à travers lesquels une trace mnésique nouvellement encodée passe d'un état labile, c'est-à-dire fragile et sensible aux interférences, à un état résistant et permanent (Dudai, 2004 ; Frankland et Bontempi, 2005 ; McGaugh, 2000 ; Wang et Morris, 2010). Cependant, ces mécanismes de consolidation ainsi que leurs substrats neuronaux sont toujours sujet à controverse et changeraient au cours du temps. Il a en effet été postulé qu'il y aurait, durant l'apprentissage et immédiatement après celui-ci, un ensemble de changements moléculaires au niveau synaptique reflétant la formation et la consolidation de la trace mnésique. Cet ensemble de changements est regroupé sous le terme de consolidation cellulaire ou synaptique (Dudai, 2004 ; McGaugh, 2000 ; Morris, 2006 ; Rogerson et al., 2014 ; Wang et Morris, 2010). Cette dernière serait accompagnée d'une réorganisation graduelle sur le long terme des traces mnésiques à travers le réseau de régions cérébrales impliquées dans la mémorisation. On parle alors de consolidation systémique (Dudai, 2004 ; Frankland et Bontempi, 2005 ; Wang et Morris, 2010). Deux théories principales ont été avancées pour expliciter le rôle de ces deux types de consolidations : la théorie standard de la consolidation (Frankland et Bontempi, 2005) et la théorie des traces multiples (Nadel et Moscovitch, 1997).

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1.6.1. Consolidation synaptique et consolidation systémique

L'injection, chez le rat, d'inhibiteurs de synthèse protéique de 3 à 6 heures après un apprentissage empêche sa rétention, suggérant que des changements précoce à l'échelle moléculaire sont requis pour la stabilisation des traces mnésiques (Squire et Barondes, 1972). On parle alors de consolidation synaptique ou cellulaire. Morris a ensuite postulé que cette consolidation synaptique reflétait l'expression (indépendante de la synthèse protéique) et le maintien (dépendant de la synthèse protéique) de phénomènes moléculaires de plasticité synaptique à long terme, initiés par l'apprentissage (Morris, 2006). La potentialisation à long terme (LTP pour long-term potentiation) correspond à une augmentation persistante de la transmission synaptique excitatrice observée expérimentalement suite à l'application d'une stimulation de haute fréquence (Bliss et Lømo, 1973) qui mimerait la stimulation répétée des réseaux neuronaux engendrée lors d'un apprentissage. Cet accroissement de l'efficacité synaptique dans une assemblée de neurones donnée permettrait la constitution de la trace mnésique. De nombreux travaux chez le rongeur ont montré que le blocage de l'induction, l'expression ou du maintien de la LTP dans l'hippocampe, entraîne une altération de la consolidation de tâches de mémoire spatiale (Takeuchi et al., 2014). Notamment, une étude de souris mutantes chez lesquelles la plasticité à long terme est spécifiquement bloquée dans les cellules pyramidales de CA1, a montré un déficit d'apprentissage de ces souris dans une tâche spatiale réalisée dans un labyrinthe aquatique (Morris Water Maze) conjugué à une perturbation de la formation et stabilisation des "champs spatiaux" associés aux cellules de lieux (Wilson et Tonegawa, 1997). Cela suggère que la plasticité synaptique à long terme dans l'hippocampe, et particulièrement dans CA1 (nous en détaillerons les mécanismes plus loin), est essentielle à la consolidation synaptique des mémoires épisodiques (Huerta et al., 2000 ; Laroche et al., 2000 ; Takeuchi et al., 2014). Cependant des études de patients amnésiques comme le patient HM, ont montré assez tôt que la consolidation sur le long terme de ces mémoires ne dépendait pas uniquement de l'hippocampe. En effet, chez ce dernier, il existait ce qu'on appelle un gradient d'amnésie rétrograde, autrement dit il ne se souvenait pas d'événements récents survenus peu avant sa lésion, mais gardait encore en mémoire des souvenirs de son enfance (Scoville et Milner, 1957). Cette observation suggère que le LTM, lésé chez ce patient, aurait un rôle limité dans le stockage et la récupération des mémoires déclaratives. Il y aurait donc une redistribution des traces mnésiques au cours du temps au sein d'un réseau de structures cérébrales impliquées dans la mémoire, c'est ce qu'on appelle la consolidation systémique. De très nombreuses études lésionnelles du LTM et particulièrement

23 de l'hippocampe, chez le rongeur, ont reproduit, ou non, ce gradient d'amnésie rétrograde (Pour revue : Frankland et Bontempi, 2005) et ont mené à l'élaboration de deux modèles de consolidation mnésique intégrant les processus de consolidation synaptique et systémique : la théorie standard de la consolidation et la théorie des traces multiples.

1.6.2. La théorie standard de la consolidation

La théorie standard de la consolidation (Frankland et Bontempi, 2005 ; McClelland et al., 1995 ; Squire et Alvarez, 1995) s'inspire des travaux du théoricien David Marr (Marr, 1970, 1971) et stipule que l'hippocampe assure un stockage temporaire de l'information tout en permettant la transformation de celle-ci en une forme plus robuste qui sera transférée vers le néocortex (Fig. 6). Initialement, l'information à consolider serait encodée au niveau des zones corticales engagées dans la perception des différents aspects sensoriels (visuel, auditifs… etc.) liés à cette information. L'hippocampe permettrait ensuite son intégration via la formation rapide d'une trace mnésique cohérente (consolidation synaptique). Il y aurait ainsi formation d'un réseau hippocampo-cortical dont les réactivations successives permettrait le renforcement voire la création de nouvelles connections cortico-corticales correspond à la trace mnésique à stocker à long terme. Au fur à mesure du temps, cette dernière s'intégrerait progressivement dans les réseaux corticaux préexistants pour finalement devenir indépendante de l'hippocampe. Cette théorie a été confirmée chez l'animal grâce des techniques d'imagerie cérébrale fonctionnelles et de suivi de gènes d'expression précoce qui constituent des marqueurs indirects d'activité neuronale (Bontempi et al., 1999 ; Frankland et Figure 6. Théorie standard de la consolidation. L’encodage de l’information se produit initialement dans les aires corticales spécialisées et associées. L’information distribuée dans ces différents modules est ensuite intégrée par l’hippocampe pour aboutir rapidement à une trace mnésique cohérente. Les réactivations successives des connexions hippocampo-corticales conduisent au renforcement progressif des connexions cortico-corticales. Ceci permet aux souvenirs récents de devenir indépendants de l’hippocampe en s’intégrant graduellement aux souvenirs préexistants dans le néocortex (D'après Frankland et Bontempi, 2005).