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CHAPITRE 4 : DÉFINITION DU PROBLÈME CHEZ LES MINEURES

4.4 Sommaire du chapitre

L’objectif de ce chapitre était de comprendre la perception des divers acteurs sur le problème central posé par les jeunes filles traduites devant la Cour des jeunes délinquants de Montréal entre 1912 et 1949. L’analyse statistique des infractions permet tout d’abord de discerner que les garçons et les filles sont poursuivis pour des motifs différents. Les filles se distinguent par leur surreprésentation en matière d’infractions

spécifiques aux mineurs telles que l’incorrigibilité, d’infractions à caractère sexuel, de désertion ou du besoin de protection. Les garçons sont, quant à eux, davantage poursuivis pour des infractions punissables par le Code criminel. Ces considérations tiennent malgré les quelques différences observées durant les diverses périodes d’analyse.

En ce qui concerne le plaignant, l’analyse statistique démontre que les membres de la famille sont plus souvent les plaignants dans les causes des filles, que dans celles des garçons. La victime ou sont représentant est plus souvent le plaignant pour les garçons. Les agents publics ont une importance autant dans les affaires des filles que dans les affaires des garçons. Cela nous indique d’une certaine manière le rôle joué par certains acteurs au sein de la cour, plus spécifiquement, le rôle joué dans la décision d’initier des procédures.

L’analyse documentaire permet également de constater que les acteurs dont le point de vue est présent dans les dossiers ne ciblent pas toujours les mêmes comportements ou caractéristiques comme étant le problème central. Les agents de probation font souvent état de comportements sexuels des jeunes filles parmi ce qu’ils voient comme leurs problèmes principaux. Ces comportements sexuels prennent plusieurs formes, allant de la masturbation aux relations sexuelles complètes et fréquentes avec des hommes différents. Les agents notent également certaines autres considérations comme étant importantes, telles que la désertion du foyer dans l’infraction de désertion, le concubinage de la mère dans l’infraction à caractère sexuel et la fréquentation de restaurants et cinémas dans l’infraction de vagabondage.

Du point de vue des médecins, les problèmes évoqués ont trait à la promiscuité sexuelle et aussi de à l’état de santé en général. Par contre, les médecins ne possèdent pas beaucoup de renseignements sur la vie des jeunes filles et doivent généralement se contenter de poser des questions concernant la santé, la virginité et l’intelligence des jeunes filles,

basant donc leur définition de ce qui pose problème sur les informations dont ils disposent et qui tiennent à leur mandat.

Pour les parents des jeunes filles, l’accent est plutôt mis sur le fait que celles-ci sortent trop souvent le soir, rentrent trop tard, ne travaillent pas et sont grossières envers eux. La perception des parents a donc tendance à différer de celle des agents de probation quant à l’identification des problèmes. Notons toutefois que les comportements ciblés par les parents laissent supposer que les préoccupations de ces derniers ne se limitent pas uniquement au fait que leurs filles sortent tard le soir mais bien aux comportements qu’elles ont pendant leurs sorties. Au cours de leurs sorties tardives, les jeunes filles peuvent fréquenter des salles de danse, de théâtre ou des cafés et rencontrer des gens marginaux, consommateurs ou blasphémateurs ou encore, elles peuvent commettre des délits. Il est réaliste d’émettre l’hypothèse que d’une manière implicite, les parents sont parfois inquiets par rapport aux comportements sexuels de leur fille et que c’est en partie pour cette raison qu’ils mettent l’accent sur les sorties tardives de leurs filles. À cet égard, les préoccupations des parents rejoignent celles des agents de probation.

Du point de vue des jeunes filles, le problème se situe plutôt au niveau des relations familiales difficiles ou tendues et tient parfois au fait qu’elles soient maltraitées, battues ou agressées. Elles présentent parfois leur sexualité comme faisant partie du problème mais n’y accordent généralement pas la même importance que d’autres acteurs, ou encore tentent de justifier leur comportement.

Les religieuses chez qui des jeunes filles sont placées voient aussi le problème différemment des autres acteurs. Considérant qu’elles entrent en contact avec ces jeunes filles dans un milieu différent du foyer familial, soit dans un milieu de placement tel qu’une école de réforme, le problème est perçu différemment. Puisque ces religieuses ont le mandat de gérer l’établissement de placement, l’accent est mis davantage sur ce qui peut

distraire les jeunes filles dans un groupe et sur ce qui peut nuire à leur réforme dans ce contexte, incluant le fait que certaines jeunes filles peuvent faire scandale devant leurs compagnes. La faible intelligence et certains comportements de ces jeunes filles, tels que l’insubordination, sont également une préoccupation importante des religieuses à leur endroit. Pour l’employeur, le vol est le principal problème causé par ces jeunes filles.

Le problème identifié par les différents acteurs varie en fonction des préoccupations des acteurs; ces différences ne se trouvent pas, par contre, dans toutes les catégories. Ainsi, pour l’infraction de troubler la paix, les points de vue de peu d’acteurs sont présents dans les dossiers et l’infraction consiste essentiellement à troubler la paix des voisins. Pour l’infraction de protection, les différents acteurs tendent davantage vers un consensus quant au problème central. Les divers acteurs présents dans cette catégorie d’infraction s’entendent pour dire que le problème provient davantage des familles des jeunes filles que d’elles-mêmes. Ainsi, la négligence des parents, leur immoralité, l’abus de boisson d’un parent, la vie en concubinage sont soulevés comme des préoccupations importantes par tous les acteurs dans cette catégorie. Dans les autres catégories, telles que nous l’avons vu, l’opinion des différents acteurs a plutôt tendance à varier en fonction de leurs préoccupations ou de leur rôle, malgré le fait que certaines considérations soient partagées.

Une conclusion des plus importante de ce chapitre est que l’on remarque que les préoccupations exprimées par les acteurs dans leur définition des problèmes dépassent considérablement les seuls motifs allégués dans les plaintes pour englober diverses considérations reliées à la situation des jeunes filles (milieu familial, milieu social, fréquentation scolaire, emploi, etc.), à leurs traits personnels ainsi qu’a diverses dimensions de leur comportement qui ne sont pas de l’ordre de l’infraction dont la jeune fille est déclarée coupable. On ne s’intéresse pas à la seule infraction : on se préoccupe de la jeune fille, de sa personne, de sa

situation, des conditions des lesquelles elle vit. On cherche à comprendre l’ensemble de sa situation pour en dégager une solution qui réponde à cet ensemble plutôt que de sanctionner la commission d’une infraction. Bref, l’analyse que tous les acteurs des problèmes posés par les jeunes filles relève du modèle protectionnel qui vise à intervenir sur la situation d’ensemble d’un mineur plutôt que du modèle de l’école classique qui vise à attacher une punition à une infraction.

Mais comment cela se répercute-t-il sur les décisions rendues par la cour? C’est là l’objet du prochain chapitre.

CHAPITRE 5 : DÉCISIONS DE LA