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CHAPITRE 5 : DÉCISIONS DE LA COUR

5.4 La réaction des acteurs

5.4.4 Les autres infractions

Dans cette section sont regroupés les points de vue de différents acteurs intervenant dans des affaires de désertion, d’infractions à caractère sexuel et de vagabondage, étant donné la ressemblance des points de vue et leur faible volume. L’infraction d’avoir troublé la paix est exclue de cette analyse, vu le manque de recommandations de la part des acteurs.

Les agents de probation ont tendance à recommander davantage le placement que la probation, bien que celle-ci soit conseillée dans plusieurs causes. Ainsi, le placement peut être vu comme indiqué dans l’intérêt d’une mineure ou dans le but de corriger ses idées malsaines comme dans la cause de Camille50, une jeune fille de 14 ans appréhendée pour fugue et immoralité. Elle avait cessé de fréquenter l’école depuis un an et travaillait dans des maisons privées depuis. Lorsqu’elle a déserté de la maison, elle a eu des relations sexuelles avec quelques hommes pour de l’argent. Elle était déflorée mais n’avait pas de maladie vénérienne. Elle a été appréhendée avec sa sœur quelques mois plus tard, flânant la nuit. Elles fréquentaient les restaurants, sortaient en voiture avec des garçons et menaient une vie jugée répréhensible. L’agent de probation affirme qu’elles étaient « trop mal parties dans la vie, qu’il leur faudrait un séjour au Bon Pasteur [école de réforme pour filles] assez long pour changer leurs idées malsaines car, à la maison, elles

continueraient leur même petit train de vie de paresseuses et de filles perdues ». La probation est suggérée dans certaines affaires mais à certaines conditions pour la jeune fille et parfois même, à certaines conditions imposées aux parents.

Les parents des jeunes filles désirent fréquemment le placement de leurs filles. Encore une fois, le placement peut s’effectuer dans une institution ou chez un membre de la famille élargie. Le placement en institution, habituellement à l’école de réforme, est davantage privilégié et ce, dans l’intérêt des jeunes filles : les parents estiment qu’il permettra à celles-ci de bénéficier d’interventions qui les aideront à corriger leur comportement et à devenir des femmes équilibrées et responsables. Certains parents désirent malgré tout le retour de leur fille à la maison et sont prêts à effectuer des changements dans leur comportement afin qu’elle soit autorisé à revenir. Ainsi, une jeune fille de 14 ans a été arrêtée pour avoir été trouvée dans une maison de débauche, tenue par sa mère51. Étant la plus jeune de la famille, elle vivait dans cet endroit avec sa mère pendant que les autres enfants de la famille vivaient dans une autre maison. Sa mère a affirmé que sa fille n’avait pas été souillée et qu’elle-même voulait cesser sa double tenue de maison, vivre avec ses enfants et bien tenir sa maison. La jeune fille est retournée chez elle. Le placement des enfants demeure cependant la recommandation la plus fréquente de la part des parents pour les infractions de désertion, le vagabondage et les infractions à caractère sexuel.

Les religieuses, dans cette catégorie combinée d’infractions, recommandent, selon la cause, la probation ou le maintien en institution. La probation est souvent suggérée dans des situations particulières telles que la maladie d’une personne de la famille nécessitant des soins urgents de la part de la jeune fille, une maladie de cette dernière qui doit être soignée à l’hôpital, ou encore le changement de milieu jugé nécessaire pour le bien de la jeune fille comme c’est le cas dans la cause de

Johanne52. Celle-ci est une jeune fille de 12 ans amenée devant la cour pour conduite immorale. Elle avait fait l’objet de plaintes antérieures pour protection et conduite immorale. Les religieuses affirment que Johanne n’a jamais voulu se plier à la discipline de l’école, qu’elle était une cause de désordre, se conduisait d’une manière immorale et « entraînait » ses compagnes. Malgré cela, les religieuses considèrent que Johanne a passé beaucoup de temps en détention et a très peu connu la vie familiale, et que si ses parents consentent à exercer une surveillance vigilante, un changement de milieu lui serait propice. Le maintien en détention est toutefois conseillé par les religieuses lorsque les jeunes filles n’ont pas fait suffisamment de progrès ou que les conditions familiales ne sont pas favorables.

Bien que la probation occupe une certaine place dans les recommandations des acteurs de cette catégorie, le placement demeure fréquemment suggéré par les divers intervenants. Une explication de cette situation est que cette catégorie comprend un ensemble de comportements reliés à la conduite sexuelle des jeunes filles. Plusieurs acteurs dans les causes de désertion, de vagabondage et de conduite à caractère sexuel font un lien entre leurs recommandations de placement et la conduite sexuelle des jeunes filles. Ce lien est parfois énoncé clairement, comme dans l’affaire de Annie53, arrêtée pour désertion du toit familial et conduite immorale. Elle avait deux antécédents de désertion qui remontaient à quelques mois. La mère affirme qu’Annie reste à l’extérieur tard le soir, qu’elle côtoie des hommes et qu’une fois que sa fille est sortie, elle n’arrive plus à la trouver. Annie a une maladie vénérienne et la mère demande un placement afin que sa fille puisse être traitée. L’agent de probation affirme qu’Annie devrait être placée en institution car c’est son seul espoir pour elle-même comme pour le bien de la société, car elle a une maladie vénérienne. Un placement de quatre ans viserait à lui

52 Dossier de la Cour des jeunes délinquants de Montréal numéro 939 de l’année 1945. La cause

identifiée comme antécédente a été utilisée pour ce cas.

53 Dossier de la Cour des jeunes délinquants de Montréal numéro 8857 de l’année 1922. La cause

inculper bons comportements et discipline. Le but de la demande de placement relève du contrôle de la sexualité de la jeune fille. Ce même contrôle peut à l’inverse provoquer la fin d’un placement dans le cadre duquel on ne veut pas que la jeune fille soit source de corruption pour d’autres mineurs. On en voit un exemple dans une affaire comme celle de Julie qui a été retournée chez ses parents parce qu’elle discutait de ses idées sur la sexualité, les hommes, les maladies vénériennes, donnait des informations aux autres enfants et planifiait des rencontres avec des hommes54.

Le lien est parfois plus indirect : les acteurs, souvent les parents, disent s’inquiéter quand ils ne savent pas où se trouve leur fille, du fait qu’elle sorte tard le soir, qu’elle fréquente les restaurants ou les salles de danses et boive de l’alcool. Le lien n’est pas clairement établi mais il peut- être sous-jacente à [implicitement suggéré dans] ces préoccupations. Odem (1995) affirme à ce propos que les officiers de la cour voyaient ces actes comme des comportements dangereux pouvant mener à la délinquance sexuelle des jeunes filles. Elle affirme aussi que les placements les plus fréquents pour les filles étaient souvent dus aux officiers de la cour car ils promouvaient l’institutionnalisation pour les délinquantes sexuelles (Odem, 1995). Ainsi, le fait de recommander le placement pouvait avoir comme objectif le contrôle de la sexualité des jeunes filles.

Nous avons exploré les mesures souhaitées par les différents acteurs pour les diverses catégories d’infractions dans cette section. Il devient maintenant intéressant d’examiner d’un peu plus près le rôle de chacun de ces acteurs et son importance dans les prises de décision.