Ces résultats illustrent certaines limites de notre système de santé. Ce dernier met-il en oeuvre
tous les moyens pour empêcher une maladie qui peut être évitable par l’application de
mesures appropriées ? Quel est l’impact en terme de coûts et de santé publique ? Quelles
solutions pouvons-nous proposer ?
1) Diffuser plus largement les messages de prévention
L’information du voyageur doit prévaloir. La sensibilisation du voyageur au risque de
paludisme peut être réalisée à travers l’usage de nombreuses sources d’information (médias,
voyagistes, pharmaciens d’officine…) et par l’intermédiaire des consultations préalables au
voyage auprès d’un médecin ; qui doit être à même, en plus des conseils de prévention,
d’informer sur les signes d’alerte pendant le séjour et dans les mois qui suivent le retour qui
doivent amener le patient à consulter [31].
2) Adapter la médication au risque réel du voyage
L’adaptation de la chimioprophylaxie au voyage est difficile pour plusieurs raisons : défaut
d’information des médecins prescripteurs, coûts importants de la plupart des médications qui
conduisent au remplacement d’une prophylaxie adaptée à une prophylaxie inadaptée mais
moins coûteuse, quid des séjours prolongés et des jeunes enfants… Le choix du médicament
antipaludéen doit être une décision réfléchie du prescripteur qui tient compte du profil du
voyageur, du risque de paludisme, et surtout du budget de la famille.
Concernant les séjours prolongés, la proposition de certains médecins de ne pas donner de
traitement prophylactique chez ces enfants qui partent longtemps (car « on sait déjà que le
traitement sera arrêté ») mais de les laisser partir avec seulement un traitement curatif de
réserve, est dangereuse [77]. La prophylaxie antipaludéenne pour des séjours prolongés (>2
mois) est d’autant plus importante à prescrire car le risque de contracter un paludisme
augmente avec la durée du séjour. Chez ces patients, l’administration quotidienne pendant de
longues durées est considérée comme un facteur de risque de mauvaise observance. Il peut
leur être recommandé la prescription de méfloquine puisque son administration hebdomadaire
permettrait une meilleure adhésion. Ces voyageurs nécessitent des conseils spécialisés de
médecine du voyage.
La consultation avant le séjour est longue mais nécessaire, avec comme principales
finalités l’identification des facteurs de risque de non-observance et la délivrance d’une
prescription adéquate, en s’assurant d’une bonne compréhension par la famille.
3) Développer la formation et l’information des médecins de première ligne à la
consultation précédant le voyage : rôle central du médecin généraliste
Les modalités de prévention sont mal connues par les médecins. Des erreurs sont commises
fréquemment à type de prescription de chimioprophylaxie seule sans mesures physiques ou de
manière fréquente de chimioprophylaxie inadaptée à la zone d’endémie (46.5% dans notre
étude). On peut également se poser la question des conseils d’hygiène et de prévention pour
les autres maladies infectieuses.
Une formation en médecine du voyage ainsi que l’accès à des sources d’information
adéquates doivent être privilégiés. Une amélioration de la prévention repose également sur
une collaboration étroite avec les pharmaciens permettant d’éviter des prescriptions de
chimioprophylaxie inappropriées. La constitution de réseaux avec les centres de référence de
prévention (consultations voyageurs) et de soins (services hospitaliers infectieux ou
pédiatriques) serait intéressante [31]. Les centres de protection maternelle et infantile ont
également un rôle important du fait de leur proximité avec ces populations défavorisées qui
consultent peu en médecine libérale. La formation en médecine du voyage des acteurs de
santé de ces centres doit être renforcée.
L’enseignement des mesures de prévention du paludisme doit être un objectif prioritaire
de la formation médicale continue [31]. Il faut savoir s’appuyer sur les
recommandations publiées chaque année dans le BEH de l’InVS [31], par le Haut
Conseil de Santé publique, sur celles émises par des sociétés savantes telles que la
Société de médecine des voyages ou le Groupe de Pédiatrie Tropicale.
Les médecins généralistes sont et doivent être les principaux acteurs de la prévention du
paludisme. Les conseils doivent être adaptés, personnalisés et prodigués dans le cadre d’une
consultation médicale. Ils doivent être à même de réunir tous les éléments qui permettent
d’évaluer le risque réel d’exposition au paludisme au cours du voyage. D’après la révision de
la 12e conférence de consensus sur la prise en charge et la prévention du paludisme
d'importation à P. falciparum, ils représentent le premier recours du voyageur pour des
conseils médicaux pour un voyage en pays tropical [31].
Dans l'étude de Genty et al., le médecin était la première source d'informations sur les risques
sanitaires pour 60 % des 20 000 voyageurs interrogés. Les autres sources d’information, mais
toujours en seconde intention, étaient les guides touristiques (42%), les sites Internet (33%),
l’entourage (27%), le pharmacien (13%), les médias audiovisuels (13%) et la presse écrite
(11%) [78].
Dans l’étude européenne de Van Herck et al. portant sur 609 voyageurs se rendant en zone
d’endémie palustre, 72 % de ceux qui ont recherché une information de santé l'ont fait auprès
d'un médecin généraliste [79]. Cependant, l’étude de Piccoli de 1999 a montré certaines
lacunes des médecins généralistes en matière de prévention. Un tiers d’entre eux
reconnaissaient de pas connaître le nom des produits à recommander [80] . Encore une fois, la
prévention du paludisme en médecine générale doit donc être améliorée.
4) Améliorer la compliance
L’importance de la chimioprophylaxie confirmée dans cette étude renforce la nécessité de
développer les messages de prévention et de sensibiliser les populations qui voyagent vers les
zones d’endémie. Il est nécessaire d’intensifier les recommandations avant le voyage et de
bien expliquer aux familles les modalités du traitement et les risques encourus en cas
d’absence de prophylaxie, notamment pour les populations à risque que représentent les
migrants originaires d’Afrique.
5) Améliorer la galénique des produits
Le jeune âge <5 ans était identifié dans l’étude de Ladhani comme un facteur prédictif
indépendant lié à la gravité [5] mais elle n’a pas été retrouvée dans notre étude : la proportion
d’accès graves chez les enfants <5 ans (23%) était similaire à la proportion d’accès graves de
l’ensemble de notre population (20.5%) (p=NS).
Les moyens pour améliorer la compliance passent par l’adaptation de la galénique aux
nourrissons. Cela représente un enjeu futur des laboratoires pharmaceutiques.
La forme pédiatrique de la Malarone® est utile et efficace. Sa principale contrainte est son
coût en cas de séjour prolongé. Il n’existe cependant pas de suspension buvable.
Il est nécessaire qu’il soit réalisé en France des études complémentaires pharmacologiques et
cliniques selon la galénique et le poids avec les différentes molécules utilisées hors AMM,
notamment pour la méfloquine utilisée pour un poids <15 kg dans d’autres pays.
6) Favoriser un meilleur remboursement des mesures prophylactiques
Le paludisme d’importation demeure un problème de santé publique. L’impact sur la santé
des enfants, les coûts financiers et la question d’un remboursement des mesures préventives
anti-palustres n’ont pas été encore bien étudiés en France.
En 1997, le coût médian global a minima d’un accès palustre simple en France a pu être
chiffré à environ 5 000 € en hospitalisation et à 1 500 € en ambulatoire [15]. Aux Etats-Unis,
d’après l’étude de Hickey et al., l’incidence du paludisme était de 1.2 pour 10 000
admissions. Le coût moyen de la prise en charge a été estimé à 17 519 dollars [18].
Par conséquent, le remboursement même partiel de la chimioprophylaxie devrait être
considéré en France, afin d’améliorer l’accessibilité de ces traitement aux personnes
défavorisées [31].
L’étude suisse coût-bénéfice de Schlagenhauf suggère que le remboursement à 80% du coût
de la chimioprophylaxie la moins onéreuse (méfloquine) serait rentable en terme d’économie
de système de santé [81]. Avec cette stratégie de remboursement à 80%, elle permettrait
l’utilisation plus fréquente d’une chimioprophylaxie antipaludéenne et ainsi une probabilité
significativement plus faible de contracter le paludisme : estimation à 86.5% d’utilisateurs vs
68,7% dans les cas actuels de non remboursement. Les principaux bénéficiaires seraient les
voyageurs retournant dans leur pays d’origine.
Des études de coût-bénéfice visant à évaluer le coût de telles mesures à celui des
hospitalisations pour accès palustre mériteraient d’être menées dans notre pays où 3000 à
4000 cas de paludisme d’importation sont constatés chaque année.
7) Consultation enfant-voyageur
La prévention et la préparation d’un séjour en zone d’endémie sont assurées par les médecins
généralistes, les pédiatres libéraux ou hospitaliers ou exerçant en PMI et les Centres de
conseils aux voyageurs.
La consultation enfant-voyageur a deux objectifs : évaluer la probabilité des risques sanitaires
liés à l’état de santé de l’enfant et à l’environnement ainsi que de fournir aux parents et si
possible aux enfants les moyens préventifs et/ou curatifs de réduire ces risques [67]. Elle
repose sur un examen et un interrogatoire détaillés des antécédents personnels et des lieux de
séjour. Une connaissance actualisée de l’épidémiologie des régions du voyage, des mesures et
nécessaire. Les recommandations comprendront quatre mesures complémentaires : une
sensibilisation au risque, une protection anti-vectorielle, une chimioprophylaxie adaptée à la
région visitée et à l’enfant ; une vigilance à la fièvre, même après le retour de zone d’endémie
afin d’aboutir à une consultation médicale rapide [67].
Les services de santé destinés à la délivrance de conseils aux voyages sont des structures de
références mais sont rarement consultés par les familles se rendant dans leur pays d’origine.
Ces enfants représentent un défi de santé publique puisque environ 90% des patients qui
présentent un paludisme d’importation sont originaires d’un pays d’endémie et sont une
population plus à risque de faire des paludismes graves. Ils méritent donc une attention
particulière car ils ne respectent pas souvent la prophylaxie antipaludéenne et les autres
mesures préventives associées ; ils sont moins demandeurs de conseils avant le voyage [32] et
ils sont plus susceptibles de se présenter tardivement à la consultation pré-voyage [81]. Une
consultation pour enfant voyageur en centre spécialisé est vivement recommandée pour ces
familles, consultation au cours de laquelle les moyens prophylactiques seront expliqués aux
parents ; les vaccinations obligatoires ou conseillées seront réalisées en même temps que
seront prodigués des conseils pour éviter des pathologies exotiques ou infectieuses autre que
le paludisme [32].
Dans le document
UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)
(Page 96-101)