II- PHYSIOPATHOLOGIE et FORMES CLINIQUES DU PALUDISME DE L’ENFANT
II.5 Accès grave
II.5.1 Définition : critères de l’OMS 2000
Les formes graves du paludisme sont définies par la présence de trophozoïtes de P.falciparum
dans le sang associée à au moins un des critères de gravité de l’OMS révisés en 2000 [31]
[34] (Tableau 1). Certains critères diffèrent de ceux de l’adulte, par leur seuil ou signification
pronostique.
Tableau 1. Critères de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définissant le paludisme
grave chez l’enfant en 2000 [34]
1- Neuropaludisme
Le paludisme cérébral est défini comme un coma vrai et est évalué selon l’OMS par
l’utilisation de l’échelle de Glasgow chez l’enfant qui sait parler (valeur de 3 à 14) ou bien par
l’échelle de Blantyre (valeur de 0 à 5) utilisable à tout âge y compris chez l’enfant ne sachant
pas parler. Chez l’enfant, le coma vrai correspond à un score de Glasgow <10 ou de Blantyre
Coma (score de Glasgow <10 ou score de Blantyre <3)
Troubles de conscience (score de Glasgow <15 et >9 ou score de Blantyre <5 et >2)
Convulsions répétées (>1/24h)
Prostration
Syndrome de détresse respiratoire
Hypoglycémie (<2,2 mmol/l)
Ictère clinique
Acidose métabolique (bicarbonates plasmatiques <15 mmol/l)
Hyperlactatémie (lactates plasmatiques >5 mmol/l)
Anémie grave (Hb <5 g/dl ou Ht <15 %)
Hyperparasitémie (≥4 % chez le sujet non immun, ou ≥20 % chez le sujet immun)
Hémoglobinurie paroxystique
Insuffisance rénale : - diurèse <400 mL/j ou créatininémie >265 μmol/l (adulte)
- diurèse <12 mL/kg/j ou créatininémie élevée pour l’âge (enfant)
Collapsus circulatoire
Hémorragie anormale
<3 (ou 3 avec impossibilité de localiser la douleur). Après convulsion, il n’est retenu que s’il
persiste une heure après une convulsion ou après l’administration de diazépam.
La présence d’une hypertonie de décérébration ou de décortication témoigne d’une atteinte
évoluée, annonciatrice d’un engagement cérébral. Le neuropaludisme est plus fréquent chez
les enfants plus âgés [21][34]. Son pronostic reste sombre avec une létalité comprise entre 15
et 30% malgré la prise en charge [26].
2- Troubles de conscience
Ils sont définis par un score de Glasgow entre 9 et 14 ou un score de Blantyre entre 2 (ou 3
avec localisation de la douleur) et 5 ; sans coma vrai.
3- Prostration
Elle est définie comme l’incapacité pour l’enfant à se tenir assis sans aide ou à se nourrir
pour les nourrissons.
4- Syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA)
Il s’agit généralement chez l’enfant d’une dyspnée d’acidose métabolique d’origine lactique
mais d’autres mécanismes sont possibles : décompensation cardiaque d’une anémie, et plus
rarement œdème pulmonaire, pneumonie associée, encombrement bronchique ou dyspnée
d’origine centrale d’un coma profond.
5- Convulsions multiples
A partir de 2 convulsions dans les 24 heures, quelque soit leur caractère généralisé ou focal.
Ce critère est beaucoup plus fréquent chez l’enfant que chez l’adulte.
6- Collapsus circulatoire
Il est défini par une hypotension artérielle dont les normes diffèrent selon l’âge (TAS <75
mmHg de 1 mois à 5 ans, <83 mmHg de 6 à 12 ans, <90 mmHg de 13 à 18 ans) associée à des
signes périphériques de choc.
7- Anémie grave
Elle est définie par un taux d’hémoglobine <5 g/dl ou d’hématocrite <15%. L’anémie grave
prédomine chez le jeune enfant [34]. La présence de signes de mauvaise tolérance
(prostration, dyspnée, signes d’insuffisance cardiaque, acidose métabolique, troubles de
conscience) fait redouter une évolution fatale et impose une transfusion en extrême urgence.
8- Ictère
Sa définition actuelle est clinique. Il est moins fréquent chez l’enfant que chez l’adulte. Sa
constatation suffit à caractériser la gravité [34]. Un taux de bilirubinémie supérieur à 50
µmol/l est cependant communément pris pour l’ictère biologique [24].
9- Œdème pulmonaire
Rare chez l’enfant, l’œdème pulmonaire répond à une définition radiologique. Son
mécanisme est de type lésionnel, par séquestration d’hématies parasitées et de monocytes,
induite par la production de cytokines et responsable d’une hyperméabilité capillaire
pulmonaire [35]. Son apparition est souvent retardé de quelques jours et fréquemment lié à
une réhydratation excessive [34]. Il se manifeste sous la forme d’un SDRA.
10- Hypoglycémie
Elle se définit par un taux sanguin de glucose <2.2 mmol/l (<0.4 g/l). Il faut la rechercher
systématiquement en cas de troubles de conscience ou de convulsions. Chez l’enfant, elle est
associée à des taux abaissés d’insuline et de C-peptide dus au paludisme [34].
11- Hémorragies anormales
Elles peuvent être cutanées (purpura, ecchymoses au point de ponction) ou muqueuses
(nasales, gingivales, rétiniennes, digestives). Elles sont rares chez l’enfant et sont le plus
12- Hémoglobinurie macroscopique
Seul son caractère macroscopique, avec constatation d’urines rouges porto ou noires, est un
critère de gravité. La bandelette urinaire confirme la présence d’une hémoglobinurie non liée
à une hématurie à l’examen du culot urinaire [34].
13- Acidose métabolique
L’acidose est définie par un taux de bicarbonates <15 mmol/l ou à un excès de base >10
mmol/L. Elle peut s’accompagner ou non d’une acidémie (pH capillaire ou artériel<7.35).
Elle est essentiellement liée à une hyperlactatémie, dont un taux >5 mmol/l constitue
également un bon indicateur de paludisme grave [34].
14- Insuffisance rénale
Elle est définie par une diurèse <12 ml/kg/24h ou par une créatinémie restant élevée par
rapport à l’âge malgré la réhydratation initiale. Elle s’observerait plutôt chez l’enfant plus âgé.
Elle peut résulter de l’hypovolémie fréquemment rencontrée dans les accès graves, ou encore
d’un défaut de filtration glomérulaire par blocage des capillaires provoqué par les hématies
parasitées [34].
15- Hyperparasitémie
La relation entre parasitémie et gravité varie selon le statut immunitaire de l’enfant ; ce
dernier étant fonction de l’âge et du niveau d’exposition à l’infection. Chez les enfants non
immuns, une parasitémie >4% représente un critère de gravité lorsqu’elle est associée à un
autre critère de gravité OMS [34]. En effet, l’hyperparasitémie isolée apparaît de faible valeur
pronostique chez l’enfant en France [34]. D’après l’étude de Mornand et al.,
l’hyperparasitémie définie au seuil de 8% constituait d’avantage un facteur prédictif
d’évolution défavorable chez l’enfant voyageur non immun [36]. En zone de transmission
holo ou hyperendémique, une densité parasitaire supérieure à 10% voire à 20% (selon les
auteurs) est requise pour indiquer un paludisme grave [19][21].
16- Autres facteurs à prendre en compte dans l’évaluation de la gravité
Dans les formes graves de l’enfant, d’autres facteurs notés à l’admission ont été trouvés
prédictifs de décès :
- La déshydratation. L’étude de Schellenberg [37] a montré qu’elle serait associée à un risque
plus élevé de décès chez les nourrissons âgés de moins de 7 mois.
- Les co-infections. Selon l’étude de Berkley, les bactériémies augmenteraient le risque de
décès [38].
- La thrombopénie. L’étude de Gérardin a montré qu’elle est plus fréquente et plus profonde
dans les formes graves [39]. Dans cette étude, une thrombopénie <100 000/mm3 était un
facteur indépendant prédictif du risque de décès et la valeur pronostique de ce seuil a été
démontrée dans le paludisme grave de l’enfant non immun en zone d’hypoendémie.
- L’hyponatrémie ne constitue pas un critère de gravité. Elle pourrait contribuer à l’œdème
cérébral de certains enfants décédés de neuropaludisme. Elle est liée à une déshydratation
hypovolémique ou à un syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique.
- Les vomissements ne constituent pas un signe de gravité mais leur présence nécessite un
traitement parentéral.
- La réalisation d’une transfusion en l’absence de critères de gravité OMS ne constitue pas
isolément un critère de gravité de paludisme grave. Cependant, leurs recours sont à prendre en
compte dans l’analyse de la gravité [36]. Elles sont souvent réalisées devant des signes de
mauvaise tolérance (dyspnée, acidose métabolique) ou une anémie profonde (Hb <7 g/dl).
La pertinence des critères OMS est controversée chez l’enfant voyageur. La rareté des formes
graves pédiatriques d’importation, contrastant avec la morbi-mortalité majeure en zone
d’endémie, fait que peu d’études ont été effectuées chez l’enfant voyageur non immun [5].
II.5.2 Principales formes cliniques des accès graves chez l’enfant
Chez l’enfant immun
En zone d’endémie, l’anémie grave, le neuropaludisme et la détresse respiratoire sont les
formes cliniques de paludisme grave les plus fréquentes [34].
Chez l’enfant non immun
Une étude rétrospective de P. Mornand [36] a analysé les caractéristiques cliniques et
biologiques du paludisme grave d’importation pédiatrique à travers une population de 421
enfants. Les principaux critères cliniques de gravité OMS retrouvés lors de la prise en charge
étaient par ordre de fréquence décroissante : les troubles de conscience (17%), l’ictère
(12.6%) et la prostration (5.5%). En revanche, le neuropaludisme (2%) et la détresse
respiratoire (0.7%) étaient rarement présents.
Cas particulier : le paludisme viscéral évolutif
Ce tableau s’observe en pays d’endémie, chez les enfants encore peu immuns et exposés à des
infections itératives. Mais il peut aussi se voir chez l’enfant voyageur, en cas de
chimioprophylaxie absente ou inadaptée [6]. Il concerne surtout des enfants de 2 à 5 ans.
Cliniquement, il se traduit par un tableau d’altération de l’état général associé à une
splénomégalie sensible, souvent volumineuse ; et des signes cliniques d’anémie. Sur le plan
biologique, l’anémie est souvent profonde (Hb <8g/dl) et associée à une pancytopénie par
hypersplénisme. La parasitémie est faible ou nulle, rendant nécessaire le recours à la PCR et à
la sérologie.
II.5.3 Facteurs de risque du paludisme grave de l’enfant
D’autres facteurs de risque de paludisme grave doivent être pris en compte et étudiés en
dehors des critères OMS précités.
L’étude de Ladhani et al. de 2007 mentionnait qu’un jeune âge <5 ans, le retard diagnostique
et l’absence d’immunisation sont susceptibles d’être des facteurs de risque de paludisme
grave [5]. Le retard diagnostique >1 jour était également identifié dans l’étude de Dubos mais
il était notifié comme seul facteur de risque indépendant lié à la gravité [40].
Dans l’étude de Danis et al., les formes graves avaient en commun une contamination en
Afrique, un statut non immun et une chimioprophylaxie absente ou inadaptée [15].
Dans l’étude de Mornand, les facteurs indépendants prédictifs de survenue d’une forme grave
du paludisme étaient également le jeune âge, un séjour effectué dans un pays sahélien, ainsi
que l’absence de chimioprophylaxie pendant le séjour [36].
Les différences constatées selon le statut immun, l’âge, les zones de transmission et le
respect de la chimioprophylaxie montrent bien l’intérêt de l’évaluation des critères de
gravité en fonction des différents contextes épidémiologiques et cliniques.
Dans le document
UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)
(Page 31-38)