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2.5 Modélisation cinématique

2.5.5 Solution adoptée face aux artefacts liés aux mouvements de peau

La cinématique des segments est enregistrée par des marqueurs collés à même la peau. L’objectif est de décrire le mouvement d’un segment solide et donc généralement assimilé aux segments osseux recouverts par les muscles et la peau. Il apparaît très vite que ces masses molles (muscles et peau, voire tissus adipeux) ont un mouvement rela- tif par rapport aux os sous-jacents lors de la plupart des mouvements et en particulier lors de la marche. Ces mouvements affectent la position des marqueurs cinématiques et provoquent dès lors des erreurs dans l’appréciation de la rotation et de la position des segments. Ce type d’erreurs est généralement qualifié d’artefacts liés aux mouve- ments de peau. Cette erreur a une fréquence propre, proche de celle de la marche. Elle n’est donc pas corrigée par le filtrage fréquentiel des données. Le retentissement des artefacts liés aux mouvements de peau a été largement évalué tant sur les résultats des calculs cinématiques [140, 139] que dynamiques [91] ; certaines revues de littérature rendent compte de l’importance des recherches autour de cette thématique [107, 17]. Il est de même particulièrement important de ne pas avoir de variations de longueurs des segments lors de modélisations musculo-squelettiques telles que celles présentées au chapitre 4. Certains muscles du corps humain présentent des variations de longueurs maximales de seulement quelques centimètres ; le gracilis par exemple ne varie que de 4 cm environ lors de la marche pour une longueur de repos de 41 cm ; ainsi toutes variations de longueur des segments osseux engendrent des erreurs importantes sur le calcul des longueurs et des vitesses d’allongement musculaire. Différentes solutions ont été proposées pour faire face à ces artefacts liés aux mouvements de peau. Parmi les non-invasives, on distingue deux catégories : les méthodes d’optimisation segmen- taires et les méthodes d’optimisation globale. Nous les présentons succinctement afin de préciser la solution adoptée pour lutter contre les artefacts liés aux mouvements de peau.

– L’optimisation segmentaire

Les méthodes d’optimisation segment par segment cherchent à identifier la matrice de rotation R et le vecteur position p d’un segment de façon à minimiser l’écart de posi- tion des marqueurs externes du segment entre deux instants t et t + dt. Certaines mé- thodes prennent l’instant initial de l’enregistrement comme référence [153, 154, 171, 28, 29], ceci présuppose que la position des marqueurs est juste à cet instant initial. Face à cette limite, Chèze et al. [42] proposent d’établir une position de référence par rapport à l’ensemble du mouvement. D’autres évolutions ont été proposées pour ces techniques ; on distinguera les méthodes utilisant un nombre de marqueurs supérieur à 3, les méthodes de calibrations multiples et dynamiques, et les méthodes de modélisa-

tion des déformations des tissus mous. L’ensemble de ces méthodes permet d’optimiser la rotation des segments pris séparément mais ne s’affranchit pas du risque de disloca- tions (pertes de contact) articulaires ni de variations de longueurs segmentaires. Pour résoudre cette limite, les méthodes d’optimisation globale ont été proposées.

– L’optimisation globale

Les méthodes d’optimisation globale [37, 33, 111] définissent les coordonnées généra- lisées d’un modèle cinématique en minimisant l’écart entre les positions des marqueurs recalculées sur la base de ce modèle et celles enregistrées. Des coefficients de pondé- ration peuvent être introduits pour distinguer les marqueurs les plus affectés par les artefacts liés aux mouvements de peau. L’intérêt est de préserver les caractéristiques du modèle géométrique. La longueur des segments reste constante et les articulations conservent leurs liaisons. Cette méthode apparaît très intéressante dans notre problé- matique ; notons cependant que les erreurs sont compensées globalement, ce qui peut, en cas de perturbation importante d’un segment en particulier, affecter l’ensemble des segments à distance dans la chaîne cinématique. Ceci peut aboutir à des erreurs de calcul de la cinématique lorsque le modèle n’est pas suffisamment personnalisé.

Nos besoins étant de minimiser les artefacts liés aux mouvements de peau, tout en garantissant le respect des longueurs segmentaires et la non dislocation des articu- lations, le choix d’une méthode d’optimisation globale paraîtrait la plus satisfaisante ; cependant la compensation intersegmentaire des artefacts liés aux mouvements de peau nous a conduit à proposer une méthode composite garantissant le respect de la rotation propre de chaque segment et le respect des contraintes géométriques. Nous nommerons cette méthode : solidification itérative.

Le principe de solidification itérative implémenté dans l’algorithme 1 est lié aux fonctions de construction de repères anatomiques présentées en 2.5.2, de même qu’aux fonctions de calcul des centres articulaires présentées en 2.5.3. Les fonctions de construc- tion de repères anatomiques utilisent systématiquement un marqueur anatomique du segment sus-jacent pour origine du segment sous-jacent. Ceci permet de garantir une géométrie constante des différents marqueurs anatomiques, les uns par rapport aux autres, dans le repère segmentaire, tout en conservant l’orientation propre du segment mesurée avec les marqueurs techniques. Ainsi la chaîne cinématique présente des di- mensions constantes ce qui minimise les erreurs liées aux mouvements de peau dans le calcul des dimensions segmentaires tout en conservant les rotations propres de chaque segment.

Soit u0,i l’ensemble des positions des n marqueurs anatomiques et v0,il’ensemble

des m marqueurs techniques du segment i dans R0. Ces positions sont exprimées dans

ou m × 1 .

Soit par exemple : u0,i =

      x1 y1 z1 1 x2 y2 z2 1 ... ... ... 1 xn yn zn 1      

Dans ces matrices, la première ligne correspond au centre articulaire proximal du segment (sauf pour le segment racine) et la dernière, au centre articulaire du segment sous-jacent.

La fonction fanat de calcul de la matrice de rotation anatomique correspond à la

description faite en 2.5.2. La fonction de calcul de repères techniques ftech est, quant

à elle, quelconque si elle a pour origine le centre articulaire proximal du segment. Ainsi, si le nombre de marqueurs liés au segment est supérieur à trois, des méthodes d’optimisation de la matrice de rotation [25, 34, 154, 171, 176, 32, 117] sont utilisables dans la fonction ftech pour minimiser les erreurs liées aux mouvements de peau dans

le calcul des rotations.

Cette méthode répond aux objectifs fixés : respect des rotations propres des seg- ments, solidification des longueurs segmentaires et non dislocation des articulations. Cependant, une des limitations de cet algorithme est de considérer que la déformation des marqueurs est potentiellement équivalente alors que certains modèles proposent des solutions de pondération des mouvements des différents marqueurs . De plus, de par son processus itératif, une erreur dans la définition des marqueurs anatomiques ou des incertitudes dans la définition de la matrice de rototranslation technique seront pro- pagées distalement le long de la chaîne segmentaire. Il reste à quantifier les incertitudes engendrées. Néanmoins les résultats actuels de cette méthode nous donnent satisfac- tion par rapport à nos objectifs principaux qui étaient la solidification des longueurs segmentaires et la non dislocation des articulations. Cette méthode est intégrée dans les différentes étapes de la définition des repères segmentaires illustrées par la figure 2.7.

Alg. 1Algorithme de solidification itérative pour une chaîne de k segments. t0corres-

pond aux coordonnées des marqueurs lors de l’enregistrement statique, et t = 1 : tf inal

au différentes images de l’enregistrement dynamique. Pour i = 1 : k Faire

M0,i(t0)tech = ftech(u0,i(t0))

calcul de u0,i(t0)(n, :) le centre art. distal du i segment

Si i 6= k Alors

u0,i+1(t0)(1, :) = u0,i(t0)(n, :) le centre art. proximal du segment i + 1

Fin Si uT

i,i(t0) = M0,i−1(t0)techuT0,i(t0)

Pour t = t1 : tf inal Faire

M0,i(t)tech = ftech(v0,i(t))

uT

0,i(t) = M0,i(t)techuTi,i(t0)

Si i 6= k Alors

v0,i+1(t)(1, :) = u0,i(t)(n, :) le centre art. proximal du segment i + 1

Fin Si

M0,i(t)anat = fanat(u0,i(t))

Fin Pour Fin Pour

FIG. 2.7 – Les différentes étapes de la définition des repères segmentaires : l’enregis-

trement des coordonnées des marqueurs (ronds rouges) ; le calcul de toutes les coor- données des marqueurs (ronds bleus) et des centres articulaires (ronds verts) de façon à avoir des segments rigides ; la construction des repères segmentaires.

2.5.6

Proposition d’un repère du tronc

2

En analyse clinique de la marche, le mouvement du tronc est couramment étudié. Différents repères (TCS pour « Trunk Coordinate Systems ») ont été proposés pour décrire la cinématique de ce segment. La définition des TCS dépend principalement des marqueurs utilisés. En analyse de la marche de l’enfant, il est parfois nécessaire de minimiser le nombre de marqueurs. Les motivations à la minimisation du nombre de marqueurs peuvent être diverses : le gain de temps, le port de corset ou d’un dispositif expérimental pouvant gêner la pose des marqueurs (ainsi T10 peut être impossible à placer correctement en cas de port d’un dispositif de recueil des signaux EMG), l’occlusion de certains marqueurs (par exemple le marqueur CLAV peut être masqué par la tête en cas de troubles du maintien de la tête, le marqueur STRN peut être caché par la poitrine). L’ISB recommande un TCS utilisant quatre marqueurs sur le tronc, C7, T10, CLAV, STRN [179]. Deux publications ont présenté des modèles pour répondre à ce besoin de minimisation du nombre de marqueurs. Star et al. [157] ont proposé un modèle nommé “Direct markers placement” (DTCS) nécessitant trois marqueurs sur

le tronc C7, CLAV et STRN. Nguyen et Baker [121] ont proposé le modèle “Indirect markers placement” (ITCS) utilisant C7, CLAV, STRN sur le tronc et LSHO et RSHO,

deux marqueurs usuels des épaules. Seulement, bien qu’étant des repères alternatifs à celui de l’ISB, ils nécessitent toujours l’utilisation de CLAV et de STRN, les deux marqueurs présentant le plus grand risque d’occlusion.

Nous proposons donc un nouveau TCS, construit à partir d’un set réduit de mar- queurs : un seul marqueur sur le tronc (C7) au lieu des quatre recommandés et trois autres marqueurs usuels placés au bassin et aux épaules. Nous nommons ce TCS : “Composite trunk coordinate system” (CTCS). Pour valider cette approche, la justesse

et la précision des trois TCS réduisant le nombre de marqueurs (DTCS, ITCS et le nou-

veau CTCS) ont été comparées avec le modèle de référence proposé par l’ISB.

La marche, à vitesse librement choisie de quatre sujets sains, a été enregistrée sous deux conditions : normale et perturbée. La condition perturbée consiste à effectuer des mouvements anarchiques et désynchronisés des épaules en marchant. Les données sont enregistrées avec un dispositif SAGA-3RT(6 caméras 50Hz). Pour construire les quatre

repères du tronc, les marqueurs suivants sont positionnés : RSHO, LSHO, C7, T10, CLAV, STRN, S1, RASI, LASI. Trois TCS sont construits en respectant les descrip- tions faites par leurs auteurs comme ci-après :

2Desailly E, Yepremian D, Sardain P, Lacouture P ; Effects of local coordinate systems on trunk

kinematics. Computer Methods in Biomechanics and Biomechanical Engineering. Vol 10 Sup 1. Société de Biomécanique, Lyon, 2007.

(a) (b) (c) (d)

FIG. 2.8 – Les différents repères cinématiques du tronc (TCS) testés. (a) ISBTCS, (b)

CompositeTCS, (c) DirectTCS, (d) IndirectTCS.

Calcul de ISBTCS : O = CLAV y = (C7 + CLAV )/2 − (T 10 + ST RN)/2 k(C7 + CLAV )/2 − (T 10 + ST RN)/2k z = CLAV − C7 kCLAV − C7k ∧ y x = y ∧ z Calcul de DTCS : O = (C7 + CLAV )/2 x = CLAV − C7 kCLAV − C7k z = x ∧ C7− ST RN kC7 − ST RNk y = z ∧ x Calcul de ITCS : O = (C7 + CLAV )/2 z = RSHO− LSHO kRSHO − LSHOk y = z ∧ C7− ST RN kC7 − ST RNk x = y ∧ z

Le nouveau TCS proposé est inspiré des descriptions du mouvement du tronc par angles projetés [128, 16]. Ce TCS est un repère composite dont l’axe vertical y est orienté de S1, un marqueur lié au bassin à C7 ; l’axe latéral temporaire est orienté de LSHO vers RSHO ; l’axe frontal x est le produit vectoriel des deux vecteurs précé- dents. L’axe latéral définitif z est alors recalculé pour former un repère orthonormé.

Calcul de CTCS: O = (LSHO + RSHO)/2 y = C7 − S1 kC7 − S1k x = y ∧ RSHO− LSHO kRSHO − LSHOk z = x ∧ y

Dans les deux conditions, normale et perturbée, l’orientation du tronc dans le repère global a été calculée par angles de Cardan suivant la séquence z, x, y correspondant à la flexion Ψ, l’inclinaison latérale Θ et la rotation du tronc Φ. La justesse et la précision des trois TCS calculés avec un faible nombre de marqueurs ont été évaluées par rapport au TCS recommandé par l’ISB, et considéré ici comme la méthode de référence, en conditions normale et perturbée, en calculant les erreurs RMS et les coefficients de corrélation pour Ψ, Θ et Φ.

Ainsi pour Ψ :

ERM S(ΨT CStest, ΨT CSISB) = v u u t 1 n n X i=1 e2 i et

CorrCoef (ΨT CStest, ΨT CSISB) =

n X i=1 (xi − ¯x).(yi− ¯y) s n X i=1 (xi − ¯x)2. s n X i=1 (yi− ¯y)2

avec ΨT CStest(x1, ..., xn) les angulations calculées par le TCS testé, ΨT CSISB(y1, ..., yn) les angulations calculées par le ISBTCS, ei = xi− yi et i = 1, ..., n.

Les résultats présentés dans le tableau 2.4 montrent une meilleure justesse du CTCS

par rapport au DTCS et au ITCS dans les deux conditions. La précision est également

meilleure pour le CTCS pour les différentes composantes dans les deux conditions, ex-

FIG. 2.9 – Positions angulaires du tronc mesurées au cours d’un cycle de marche chez

un sujet avec les 4 types de repères locaux différents (ISBTCS, CompositeTCS, DirectTCS,

IndirectTCS). Parmi les trois TCS testés, le CompositeTCSprésente les mesures les plus

proches de celles obtenues avec le ISBTCS.

corrélation de 0.7 qui, bien que bon, est inférieur à ceux des DTCSet ITCS. Par rapport

à la référence du TCS préconnisé par l’ISB, le meilleur TCS est le CTCS en particu-

lier pour l’évaluation de la flexion et de l’inclinaison latérale. Pour ce qui est de la rotation, qui est le paramètre le plus analysé lors d’études cinématiques du tronc, la robustesse du CTCSface aux perturbations par des mouvements des épaules, rend cette

méthode la plus adaptée à l’analyse clinique de la marche. Ces résultats permettent également de connaître les limites d’interprétation clinique des mouvements du tronc lors de l’utilisation d’un nombre de marqueurs réduits.

En conclusion, il a été montré que la minimisation du nombre de marqueurs est par- fois nécessaire en particulier lors d’études de la marche perturbée. Dans ces cas, le nou- veau repère composite proposé pour l’analyse de la cinématique du tronc (CompositeTCS)

donne des résultats comparables à ceux obtenus à l’aide du repère ISB considéré comme la référence, et cela, en limitant les contraintes expérimentales.

Flexion Inclinaison latérale Rotation

ERMS (deg) Corr. Coef. ERMS (deg) Corr. Coef. ERMS (deg) Corr. Coef. Marche normale CTCS 2.9 0.79 1.1 0.73 3.1 0.70 DTCS 41.6 0.12 16.4 0.09 3.1 0.79 ITCS 42.4 0.10 2.9 -0.02 3.0 0.78 Marche perturbée CTCS 3.6 0.78 3.4 0.61 5.7 0.98 DTCS 19.6 -0.08 13.5 0.11 22.3 0.62 ITCS 24.9 0.09 11.6 0.28 18.7 0.70

TAB. 2.4 – Erreurs “root mean square” (ERMS) et coefficients de corrélation pour les

trois méthodes comparées à la méthode recommandée par l’ISB en conditions nor- males et « perturbées ».