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Entre deux solstices

Avant propos

6.11 Entre deux solstices

Il nous paraît maintenant très clair qu’au-delà du voyage initiatique dans un microcosme bien déterminé et incontestable que vont être les Enfers, Énée effectuera un parcours qui, d’une porte à l’autre, mènera le héros entre le Solstice du Cancer et le Solstice du Capricorne. Trois éléments sont, pour nous, marqueurs de cette transition entre un voyage encore inorganique et les passages solsticiaux : l’orme, le rameau et la barque.

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op.cit., pp.135-259

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Vlmvs, dans l’Énéide, n’a qu’une seule occurrence. Virgile ne l’emploie qu’une seule

fois (livre VI, vers 282-284) : il est à l’entrée des Enfers : in medio ramos annosaque bracchia pandit ulmus opaca, ingens, quam sedem Somnia uulgo uana tenere ferunt, foliisque sub omnibus haerenu milieu, un orme impénétrable, démesuré, déploie ses branches, ses bras chargés d’ans ; on

dit que les Songes vains y ont confusément leur demeure. Il apparaît bien davantage dans les

Bucoliques et plus encore dans les Géorgiques. L’orme est un arbre robuste dont il existe

plusieurs espèces, comme pour les saules, le lotus et les cyprès (Géorg. II, 83). L’ormeau entre dans la fabrication de la charrue au même titre que le tilleul ou le hêtre (Géorg. I, 170, et sq.). En outre, la frondaison de l’orme a toute son utilité (Géorg. II, 440). C’est d’ailleurs au milieu des ormes que Ménalque suggère à Mopsus de s’installer pour chanter (Buc. V, 1, et sq.).

Et la question posée avec pertinence par Joël Thomas519 prend toute sa dimension à ce moment de notre exposé. L’arbre s’intègre dans les structures générales de l’Énéide comme signe sur la route d’Énée et comme point d’intersection entre un espace horizontal et un espace autre, affirmation en outre d’une transcendance que découvre le héros520. L’orme se place dans un univers symbolique, un lieu médiateur et de transcendance où songes et réalité se mêlent où vie et mort se côtoient. Il est le végétal chaud et vivant, au milieu de formes monstrueuses et mortifères, à l’image de celui que les Scythes font brûler dans leurs foyers durant les rudes hivers.521

Le rameau est, lui aussi, un symbole végétal vivant. Nous l’avons d’ailleurs associé l’ ἀείζωον. Le texte le plus complet qui soit à notre disposition et renseigné par Guy Ducourthial522 spécifie bien qu’il s’agit de la plante de Kronos523. Son explication nous séduit : la plante est vivace et demeure toujours verte. Certains mythes lui accordent d’ailleurs le pouvoir d’assurer la vie éternelle524. Athénée525 écrit que « l’herbe de Glaucos » pousse au matin dans l’Ile des Bienheureux et qu’elle avait été semée par Kronos. Ainsi le rameau pourrait-il être un symbole du soleil solsticial hivernal qui prend tout son sens dans une sorte de préparation à l’éveil, non seulement du héros, mais aussi du Latium, trop longtemps

519

GALLAIS, P. THOMAS, L’arbre et la forêt dans l’Énéide et l’Enéas, p.70

520

THOMAS, J., Structures de l’Imginaire dans l’Énéide, p.274

521 Géorgiques III, 349-383 522 Op.cit., p.34 523 C.C.A.G., VIII, 3, p.155 524

185 endormi. C’est Charon qui le reçoit et Virgile dresse du nautier un portrait pour le moins original puisqu’il est le seul à faire une description aussi précise avec des caractéristiques que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Nous y voyons une allégorie cachée du temps, de même qu’une allusion claire à Kronos/Saturne et une fois de plus au Solstice hivernal (…uiridisque

senectus v.304). Cette interprétation ne paraît pas usurpatoire, car comme le rappelle Guy

Ducourthial526, les astrologues paraissent avoir privilégié les mythes où le dieu fréquente les lieux sombres, entouré de divinités infernales527. De plus, l’association de Kronos/Saturne avec l’hiver est présente dans la statuaire. Pensons au dieu barbu au sommet du monument d’Orphée, au buste qui figure sur le bronze Sursock528 ou encore à la statue de Graz conservée au Louvre. Elle provient de Niha, près de Baalbek. On peut y reconnaître Sol et Luna surmontés de Saturne/Kronos barbu. Dans son étude, R. Dussaud y voit clairement le symbole du solstice d’hiver dans la représentation du soleil qui renaît chaque année à cette période.

Énée quitte donc la région du Cancer. Symboliquement, la porte qu’il franchit est celle des hommes. Il commence sa « transmigration » vers la porte des dieux et donc vers le solstice d’hiver. Cette symbolique des solstices renvoie, comme le dit Jean Richer529, à la porte infernale du Cancer (solstice d’été) et à la porte céleste du Capricorne (solstice d’hiver). Macrobe, se référant à Gavius, présente Janus comme le ianitor caeli et inferni. Janus, comme le fait remarquer Joël Thomas530, est surtout le dieu chargé d’ouvrir et de fermer les deux portes qui marquent les deux points de vie du soleil. Janus regarde tant en direction de la phase ascendante que de la phase descendante du soleil. Il est le gardien des portes solsticiales qui ouvrent sur ces deux phases. Il est aussi le passeur d’âmes, dont l’emblème est la barque qui peut aller dans les deux directions. En plus d’être un symbole du passage, la barque de Charon, comme le rameau d’ailleurs, est, pour Énée, un des premiers symboles du solstice hivernal. La barque céleste est, avec la clé, l’un des attributs astronomiques qui caractérisent Janus. Aratus fait du Vaisseau l’une des constellations qui se levaient aux extrémités de la Vierge. Son lever annonçait l’arrivée de l’année, à l’image de la barque dans laquelle Kronos/Saturne était arrivé en Italie. L’an neuf commençait dans le signe du Capricorne, domicile de Saturne où se trouvait le soleil. Selon Plutarque, Saturne serait arrivé chez le 525 Deinosophistes, VII, 296, c-f 526 Op.cit, p.322 527

Voir Iliade XIV, 274 et XV, 275

528

DUSSAUD, R., "Le Jupiter héliopolitain de la collection Sursock," Syria I (1920): pp.3-15.

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186 bouvier Icare. De sa fille Entoria, le dieu eut Janus, Hymnus, Faustus et Felix qu’il plaça aux cieux, après leur mort. L’étoile Janus est la première à l’est, aux pieds de la Vierge. Janus est devenu alors le nom ancien du Bouvier qui se lève à minuit au solstice d’hiver au moment même où le soleil entre dans le Capricorne. Énée sur la barque infernale de Charon, s’avance avec le vaisseau céleste de Janus/Saturne sur l’horizon, image allégorique du solstice hivernal qui lie les Enfers au Ciel, le Sommeil à l’Éveil et qui trouve son achèvement dans la sortie par la porte d’ivoire ou porte du Capricorne, symbole du soleil hivernal ascendant, qui emmène Énée vers le Verseau, signe de l’accomplissement, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Chapitre 7

La Révélation