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L’ekphrasis du temple de Junon

Avant propos

3.3 L’ekphrasis du temple de Junon

Si la Thrace est marquée par une certaine forme de violence, l'ekphrasis du temple de Junon l'est aussi. Les scènes racontées par Énée sont des scènes de combat qui, pour la plupart, entraînent la mort. Ce qui frappe dans ce tableau, ce sont les personnages qui y sont présentés et que nous avons détaillés précédemment. Comme nous l'avons montré dans l'introduction, la plupart des symboles qui figurent sur les épisèmes des boucliers représentés sur des vases ou des monuments ou encore sur les brassards des boucliers se réfèrent à des dieux ou à des signes du Zodiaque. Nous pensons qu'il en est de même pour ce passage de l'Énéide. Jean Richer avait, à ce sujet, relevé quelques amphores. Deux d'entre elles ont retenu particulièrement notre attention. La première est une amphore à col, attribuée à Exékias, peintre et potier du VIe siècle avant Jésus-Christ. Sur une face, il a représenté le combat d'Achille et de Penthésilée et sur l'autre, Dionysos et son fils Oenopion. La nature du lien entre ces scènes semble bien symbolique et même astrologique. Achille est un représentant du Sagittaire : il est le fils de Pélée, roi de Phtie en Thessalie, région célèbre pour ses chevaux et ses centaures, comme en attestent certaines monnaies et située dans le signe du Sagittaire dans un système avec Delphes pour omphalos. Il est surtout l'élève de Chiron qui résidait sur le Pélion, appelé « pays des Centaures ». Dans la scène, il combat Penthésilée, reine des Amazones, représentante du Verseau : elle défend Troie et sa patrie est bien située dans le Verseau du système de Sardes (rappelons qu'Omphale est la reine de Sardes). L'autre face du vase, par contre, présente un aspect de complémentarité. Dionysos, dont nous avons vu qu'il était un représentant du Verseau, est accompagné de son fils Oenopion, roi de Chios et donc représentant du Sagittaire, puisque l'île est dans ce signe, dans un système centré sur Délos,

omphalos dont elle dépend. Au-delà donc de l'opposition apparente (Achille-Penthésilée), les

signes sont en rapport harmonique (Dionysos-Oenopion) puisque Sagittaire et Verseau sont en sextiles. La seconde est également attribuée à Exékias et conservée au British Museum. Le peintre y a représenté d'un côté, le combat entre Achille et Penthésilée et de l'autre, Memnon

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123 vaincu par l'Éacide aux portes de Troie. Nous sommes une fois encore, en présence d'un représentant du Sagittaire et de deux représentants du Verseau. Memnon était le fils d'Éos et le neveu de Priam. Il est donc lié au Verseau. Les scènes figurées forment le sextile Sagittaire-Verseau. Une fois de plus, nous pouvons voir qu'à l'instar de certaines monnaies, les œuvres d'art peuvent représenter des notions astrologiques et particulièrement, ici, l'opposition complémentaire Sagittaire-Verseau. Nous pensons que Virgile a intégré cette notion de symbolique astrologique dans son ekphrasis. Si nous suivons la logique zodiacale de ce qui précède, nous devrions distinguer une opposition complémentaire Verseau-Sagittaire. Achille est le représentant du Sagittaire, Memnon, celui du Verseau. Cette relation entre les deux héros représente le sextile Sagittaire-Verseau. Mais il y a plus. Memnon est le petit-fils de Laomédon, fils de Tithon, enlevé par Eos à l'instar de Ganymède dont il est le parent. Son père est un prince de Troie qui, répétons-le, est dans le signe du Verseau. Virgile qualifie le héros de niger (nigri Memnonis arma : I, 489). Il fait allusion à certaines traditions qui font de Memnon un roi d'Éthiopie349. Cette région se situe dans le Lion d'un système avec Sardes comme omphalos. Memnon symbolise l'axe Lion-Verseau, été-hiver. L'axe Sagittaire-Gémeaux est figuré ici par Achille face au couple Rhésus/Troïlus350(instaret curru cristatus

Achilles : I,468). Ces deux signes sont équestres. Nous pouvons voir d'autres représentations

de ces deux axes conjoints ; l'une est un cylindre du premier millénaire avant Jésus-Christ, conservé au British Museum et reproduit par Jean Richer351, l'autre une monnaie de Lycie. Sur le cylindre, figure l'image d'un cheval ailé et d'un lion ; au milieu d'eux, un cheval couché. Sur la monnaie de Lycie, un lion et un cheval ailé. Un panneau de la fresque étrusque de la « Tombe des taureaux » représente Achille tendant une embuscade à Troïlus qui s'avance vers lui, sur son cheval. Entre eux, un autel surmonté de deux fontaines dont les bouches sont deux lions couchés. Les deux axes sont, là encore, bien visibles. Pour nous, l'ekphrasis, avec cette figuration des deux axes, semble bien symboliser les quatre saisons : été/hiver avec Memnon, Printemps/Automne avec Achille et Rhésus/Troïlus. Il nous faut encore trouver l'axe solsticial.

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Voir BERNAND, E., DREWES, A.,J. , SCHNEIDEM,R., Recueil des inscriptions de l'Éthiopie des périodes pré-axoumite et axoumite. Académie des inscriptions et belles lettres. Diffusion de Broccard : Paris, 1991

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Troïlus et Rhésus sont clairement associés au cheval : rappelons que Rhésus vient à Troie avec des « chevaux plus rapides que le vent » et que Troïlus meurt, emporté par son cheval dans une course folle.

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124 La description des peintures murales par Énée se termine par le combat de Penthésilée (Ducit

Amazonidum lunatis agmina peltis Penthesilea furens, mediisque in milibus ardet : I,

490-491), étrange évocation de cette reine des Amazones : elle est en effet bien présente et en vie alors que nous savons que, dans l'histoire de la chute de Troie, elle tombe sous les coups d'Achille. Virgile ne lui fait donc pas partager le sort de Rhésus, de Troïlus et d'Hector. Pour M. Putnam352, le lecteur est ainsi préparé à comparer Penthésilée à Didon : la puissance physique et le pouvoir, toutes deux reines et volontairement sans époux. Il commente également la comparaison faite par Virgile entre la reine de Carthage, quand elle pénètre dans le temple et Diane chasseresse : Diane n'est pas Penthésilée et la comparaison triangulaire Penthésilée-Didon-Diane n'est pas valide. L'Amazone est mortelle et même si la déesse chasse les animaux sauvages, en terme de représentation iconographique, la reine représente la Barbarie tandis que la déesse symbolise l'héritage civilisé de l'Olympe. Nous ne partageons pas cet avis. Au contraire, nous pensons que la triangulation amenée par Virgile s'inscrit bien dans la symbolique zodiacale de cette ekphrasis. Les termes utilisés pour qualifier Penthésilée sont révélateurs d'une évocation luni-solaire. Elle porte une ceinture en or (aurea cingula : I, 492) et est entourée de guerrières dont les boucliers sont échancrés (lunatis peltis : I, 490). Virgile mentionne également Eos (Eoasque acies : I, 489) qui, rappelons-le, était la sœur d'Hélios et de Séléné. Mais c'est l'évocation de Diane, un peu plus loin dans le texte, qui appuie notre hypothèse. Elle y est présentée comme chasseresse, au bord de l'Eurotas ou sur le Cynthe, entourée des Oréades (Qualis in Eurotae ripis aut per iuga Cynthi

exercet Diana choros, quam mille secutae hinc atque hinc glomerantur oreades; illa pharetram fert umero, gradiensque deas supereminet omnis: Latonae tacitum pertemptant gaudia pectus : I, 498). Nous verrons, dans le chapitre que nous consacrons à l'arrivée à

Cumes, que la lune, symbolisée par Artémis/Diane, a son domicile dans le Cancer. La région de l'Eurotas est également dans le Cancer avec Delphes comme omphalos. L'hymne à Apollon de Callimaque est éclairant pour notre propos puisque le dieu y est présenté comme fondateur de Délos : avec les cornes de chèvres chassées par sa sœur, il construit un temple. Cette légende illustre un axe solsticial Cancer-Capricorne. Penthésilée-Didon et Diane, à notre analyse, sont les symboles du solstice.

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Mickaël C.J. Putnam, "The Ambiguity of Art in Virgil's Aeneid," Proceedings of the American Philosophical Society 145, 2, pp. 172-173.

125 Notre conclusion est très simple : l'ekphrasis illustre deux axes essentiels, Lion/Verseau d'une part et Cancer/Capricorne d'autre part, une opposition complémentaire, Sagittaire/Gémeaux, un sextile harmonique Sagittaire/Verseau et enfin, de manière globale, les quatre saisons. Nous pensons aussi qu'elle préfigure l'épisode de Camille.