• Aucun résultat trouvé

Jupiter, source du Fatum Astrologicum

Avant propos

1.2 Jupiter, source du Fatum Astrologicum

Comme nous l’avons précisé, Énée est un fato profugus. Son fatum est à la fois

stoicum et astrologicum. Le fatum astrologicum est une doctrine, développée à la suite de

Leibniz, rappelée par Christophe Paillard que nous avons évoqué dans notre premier chapitre, et qui fait dépendre la destinée de l’homme de la position et de l’interaction qui existent entre les astres, les planètes et des corps célestes. Cette conception relève elle-même du mythème de destin qui désigne ‘la croyance en la prédestination des cours des événements par des puissances occultes et mystérieuses, fastes ou néfastes, capricieuses ou équitables, personnifiées ou impersonnelles’.285 Le mythème est caractérisé par trois traits essentiels : l’avenir est déterminé par les dieux, mais aussi par les esprits, les astres, les puissances invisibles, mais l’homme a la possibilité d’aménager sa destinée de manière ponctuelle ; il peut être connu et révélé par la divination, sous toutes ses formes et enfin il peut être infléchi et modifié par des pratiques magico-religieuses. Comme le précise Christian Paillard, à juste titre286, le mythème de destin implique un jeu irrationnel entre l’homme d’une part, les dieux, le temps et la magie d’autre part.

Nous retrouvons ces trois caractéristiques dans l’Énéide. Le fatum se confond avec Jupiter. Il connaît la destinée d’Énée, la révèle à sa fille Vénus, veille à ce qu’il s’accomplisse malgré l’opposition de son épouse Junon, la fausse ennemie. Virgile marque également l’influence prépondérante des astres et du ciel. Rappelons que c’est une étoile qui indique à Énée la direction à suivre au moment où il quitte Troie, que Palinure est le pilote qui trouve sa voie dans les astres, qu’Iopas, à Carthage, chante l’organisation du ciel. En outre, sa destinée lui est constamment révélée et c’est bien là le deuxième axe du mythème de destin ; dès les premiers vers, le lecteur connaît la destinée du héros : le départ de Troie, les pérégrinations sur terre comme sur mer, la fondation d’Albe, les ancêtres et enfin Rome et ses hauts

284

THOMAS, J., op.cit., p.335

285

PAILLARD, C., "Le mythème du destin et la maîtrise divinatoire de la temporalité," L'encyclopédie de l'Agora, 2006

103 remparts. Virgile, par ailleurs, intervient souvent pour annoncer ce qui va se produire. C’est bien sûr le cas, comme nous venons de le dire, dans les vers du premier livre. C’est aussi le cas au livre VII, dans l’invocation à Érato (vv. 36-45) ou encore au livre X, dans l’évocation de la mort de Pallas et de Lausus. Les dieux eux-mêmes ou alors leurs porte-parole avertissent Énée de ce qui l’attend. Ainsi, le fantôme d’Anchise au livre V (vv.724-739)287, lui enjoint de gagner l’Italie, l’invite à rencontrer la Sibylle et à descendre dans les Enfers. Enfin, de nombreuses prophéties émaillent le voyage d’Énée. Elles sont de deux types : orales et visuelles. La prophétie orale est faite par un uates qui annonce ce qu’il adviendra au héros tandis que la prophétie visuelle est accomplie sous forme d’un prodige. Philippe Remacle distingue bien les deux notions288 : la prophétie est basée sur la parole et son message est clair, le prodige est un événement dont le caractère insolite amène, de la part du héros, une obligation de ‘décodage’. Le troisième trait du mythème de destin est, lui aussi, bien marqué dans l’Énéide. Junon se réconcilie avec son frère et décide enfin qu’Énée trouve le repos. Le destin n’est donc pas une fatalité puisqu’il peut-être compensé par des moyens divins et ou magiques. De plus, il est déterminé par les astres. Comme le conclut Christophe Gaillard, c’est en comprenant les influences sidérales que le héros sera capable d’en prendre pour lui les aspects utiles à sa progression et de s’affranchir de celles qui lui seront néfastes. Il devient, un artifex cosmique, poussé, dans cette mission, par Jupiter, source du Fatum astrologicum, qui veille à la réalisation de la Rome céleste et à sa pérennité. La ville doit être une cité sainte, un lieu céleste, au-dessus de toutes les autres, un centre du monde. C’est d’ailleurs le sens de ses paroles au livre I289. Son statut est de transcender le monde, d’être la ville essentielle à l’image de Jupiter, fatum céleste, qui a confié à Énée, la mission de la fonder sur terre et qui l’aidera dans sa mission. Cette “solidarité” entre le ciel et la terre est essentielle pour éviter la chute du processus cosmique vers le désordre. En effet, comme l’écrit J.Assmann290, le monde est dépendant d’une force supérieure qui le maintient en marche. Cette force est la

286

ibidem

287

'nate, mihi uita quondam, dum uita manebat,care magis, nate Iliacis exercite fatis, imperio Iouis huc uenio, qui classibus ignemdepulit, et caelo tandem miseratus ab alto est.consiliis pare quae nunc pulcherrima Nautes dat senior; lectos iuuenes, fortissima corda,defer in Italiam. Gens dura atque aspera cultu debellanda tibi Latio est. Ditis tamen ante infernas accede domos et Auerna per alta congressus pete, nate, meos.Nnon me impia namqueTartara habent, tristes umbrae, sed amoena piorum Concilia Elysiumque colo. Huc casta

Sibylla nigrarum multo pecudum te sanguine ducet.tum genus omne tuum et quae dentur moenia disces.I amque uale; torquet medios Nox umida cursus et me saeuus equis Oriens adflauit anhelis.'

288

Voir le site de Philippe Remacle : http://users.skynet.be/remacle/Virgile/5virg1.htm consulté le 22 mars 2009

289

His ego nec metas rerum nec tempora pono : imperium sine fine dedi : vv. 279-280

290

104 monarchie divine qui, dans le ciel, se réalise au travers de la course solaire et qui, sur terre, s’accomplit dans l’état. Le roi des dieux confirmera l’autorité royale qu’il a accordée au héros, une fois qu’il aura atteint la terre promise291. Énée saura ainsi qu’il aura retrouvé ses racines terrestres (l’Italie de Dardanus) et célestes (l’Olympe jupitérien), dans une région liée astrologiquement à celle qu’il a quittée, bien malgré lui.

291

hic pater omnipotens ter caelo clarus ab alto intonuit, radiisque ardentem lucis et auro ipse manu quatiens ostendit ab aethere nubem : VII, vv.141-143

105

Chapitre 2 — Le signe de Troie

La ville de Troie est le point de départ de ce voyage zodiacal et elle situe dans une aire zodiacale bien précise. Pour mieux comprendre cette approche, il convient de reprendre les travaux de Jean Richer sur la théorie des omphalo et sur la symbolique zodiacale de certaines monnaies. À partir de l’étude des orientations « anormales » des temples d’Apollon et de l’examen des plus anciennes monnaies des villes grecques et romaines, Jean Richer reconstitue cinq grandes projections zodiacales : la première, centrée sur Délos, s’étend sur les îles de la mer Égée ; la seconde qui a Delphes pour centre couvre la Grèce continentale ; la troisième autour de Cumes embrasse globalement le sud de l’Italie ; la quatrième est centrée sur Rome et la dernière, avec Toletum pour centre, recouvre l’Ibérie. Parallèlement à ses projections, Jean Richer fait état d’un système anatolien centré sur Sardes. Il sera notre point de départ pour l’établissement de l’aire zodiacale de la ville de Troie.