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3.6) Socialisation et sexualité homosexuelle

3.6.1) Apprendre à se conduire comme l’autre sexe ou s’inventer sans repère ?

Pour les homosexuels, la sexualité tient une place importante aux différentes périodes de leur processus de socialisation.

Cela passe pour une évidence chez les transformistes et les travestis qui ont dû non seulement se sentir femme mais apprendre à se conduire en femme. J’ai pu constater une sorte de fuite en avant chez les transformistes au nom de l’authenticité, ils sont amenés à se penser plus femme que les femmes dans leur apparence et les rôles qu’ils adoptent . Leila se déclare femme, c’est une affirmation à prendre ou à laisser, pas à discuter. Elle n’a conservé dans ses réseaux amicaux que des relations l’acceptant telle qu’elle. Elle s’est passée des autres. Pour elle, « être femme » n’est pas prioritairement avoir un vagin mais se sentir femme, vivre en femme et assumer sa sexualité de femme. Autrement dit, séduire des hommes, les aimer et leur donner du plaisir. Selon elle (et d’autres transformistes ou travestis) nombre de femmes ne sont pas dignes de l’être. Soit qu’elles s’identifient à des garçons (apparence, comportement, sexualité), soit qu’elles ne font pas les efforts nécessaires pour séduire ; ce qui selon elle définit la féminité1.

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Les travaux ménagers lui servent à étayer cette personnalité. Leila, Lilith, Pépita, Saphir vivent toutes avec un parent (à noter qu’il s’agit soit du père soit de la mère mais jamais des deux). « Elles » participent à la conduite ou l’entretien du lieu de vie. Leila, qui vit avec son père est la femme de la maison. Elle donne les ordres à son personnel1 et participe aux tâches courantes. Lilith vit avec sa mère et se conduit comme si elle était sa jeune sœur. Elle gère le foyer et s’occupe en particulier des tâches administratives. Pépita quant à elle déclare subvenir en partie aux besoins de la maisonnée et assister également sa mère dans les travaux ménagers. La prise en charge de ces taches dépasse le devoir d’assistance filial pour prendre une signification forte dans la construction de l’identité. Les transformistes, hommes biologiques, ont appris les « ficelles du métiers » essentiellement grâce à une socialisation féminine auprès d’amies ou de membres de leur famille.

Vu sous l’angle hétérosexuel, l’importance de la construction de l’identité de sexe réclame encore plus de temps chez certains homosexuels parce qu’elle demande en somme une double familiarisation aux « habitus » masculin et aux « habitus » féminins. Les uns ne venant pas pondérer les autres mais au contraire se dissocier.

Autant il existe des institutions qui apprennent au garçon la virilité, autant l’apprentissage de la féminité le laisse seul face à lui-même. Prenons les exemples de Abel et de Titi. Abel a connu une socialisation initiale dans une famille aux capitaux modestes. Il a été en échec solaire dès le début de la sixième. Il alterne entre comportements féminins et masculins ; ces fluctuations sont considérées par ses camarades comme un goût pour le théâtre, la mise en scène de soi et la ruse. Ils n’y perçoivent pas l’authenticité de son trouble. Est-on homosexuel à 12 ans ? Cette question est indicible dans les murs d’un collège, univers d’incompréhension2. Ses enseignants et le personnel d’éducation n’y voient qu’un souci d’attirer l’attention. Lorsque j’ai soulevé le problème avec eux, je n’ai suscité aucune logique compréhensive. S’il se pose un jour la question, il devra le faire en dehors de l’institution scolaire, avec pour seul repère le dénigrement des homosexuels. Il va apprendre à souffrir. Comment va composer Abel ? Il ne semble bien ni dans le moule social ni hors du moule.

Titi, va rencontrer les mêmes difficultés. La seule écoute qu’il ait trouvée est celle d’un homme de plus de 25 ans son aîné et dont il est l’amant. Ses parents ne lui sont d’aucun secours, ils considèrent cette inclination comme une quasi calamité. S’il ne trouve pas dans le milieu homo le bonheur idéal promis par son initiateur où va t-il trouver le réconfort et la

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Pour une approche des personnels de maison, se reporter au paragraphe : 3.8.4) Notre univers normatif reste à inventer, finie la règle du « copier-coller »

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compréhension ? Certes, l’idéologie du « tout est permis » est moins pénible que le silence face à des parents « traditionalistes ». Quand les débats politiques et l’actualité vous somment de prendre position, ne pas pouvoir s’appuyer sur une normativité venue d’en haut n’est guère rassurant. Il continue à se socialiser au contact des deux milieux, hétéro et homo. C’est lui qui « bricole » son identité au travers de ces deux modèles a priori opposés.

Cas a-typique, l’apprentissage de la réduction d’un stigmate peu servir à se protéger face à un autre. Ainsi, Bernadette est un malvoyant qui a eu à lutter contre deux formes de « handicaps ». Il est aujourd’hui sûr de lui alors que son amant expert comptable vit sa sexualité dans la crainte qu’elle soit découverte. Bernadette est devenu un spécialiste du braye et formateur dans des associations. On s’adresse à lui comme à un expert dans son domaine, ses contacts sont essentiellement professionnels. Seule une douceur particulière donne un indicateur sur son orientation sexuelle. Sur le plan social, il ne souhaite pas un soutien particulier du milieu homosexuel. Il a appris au contraire à relativiser l’importance de ses problèmes d’homosexuel en les mettant en perspective avec ses problèmes de mal voyant. Il est quasiment autonome dans sa gestion du quotidien grâce à quelques aménagements dans son domicile. Il n’appartient pas à Gay-Union. Il reconnaît volontiers qu’être quasiment aveugle lui a servi pour obtenir un travail. Il m’a même avoué qu’une fois, le fait d’être homo lui avait été utile pour obtenir un emploi.

Dan est un ancien militaire, il a été socialisé pour devenir un homme, un vrai. De cette socialisation à la discipline et à la virilité, il a conservé un sens profond du respect et de la bienséance publique. Mais, en privé, il est aussi ce que j’appelle un « taquineur sexuel », ou encore quelqu’un « qui aime le sexe dans la joie et la bonne humeur». Il a également conservé le besoin d’agir en groupe, aussi apprécie t-il le vivre ensemble et ne rate pas une occasion de célébrer la joie de vivre dans la liesse. Mais, paradoxalement, il ne souhaite pas s’afficher publiquement comme homosexuel. Reconverti dans le commerce, il craint en effet cette étiquette qu’il qualifie de « dangereuse et à risque dans le contexte insulaire ». Jovial, il a un important répertoire de plaisanteries pouvant le faire passer pour un hétérosexuel « porté sur la chose » ; rien ne laisse transparaître son homosexualité. Il a appris ses manières dans ses relations professionnelles. Son respect des autres et sa jovialité contribuent à sa réussite sociale.

3.6.2) L’homosexualité, un tremplin paradoxal.

Hormis les travestis et les transformistes, presque tout un chacun a peur de déclarer son homosexualité. Cependant, quelques exceptions peuvent s’en servir comme source de promotion. C’est le cas du président de l’association Gay-Union. Patrice Leroy, enseignant dans le secondaire, serait encore dans l’anonymat le plus total s’il n’avait souhaité prendre en charge l’association Gay-Union. Le voilà du coup médiatisé. Ce n’est certes pas le but premier de son engagement. Pour lui, la défense de la cause homosexuelle n’est pas un prétexte pour avoir son nom dans les journaux, mais c’est un fait ; il est devenu une personnalité en vue.

Autre exemple celui du rédacteur de la revue homosexuelle locale Sagaie. Jeune étudiant en communication, hétéro et souvent accompagné de sa copine, Seb a trouvé sa place dans cette forme de vie associative, il y a gagné en notoriété, au point de s’y faire fait un nom.

3.6.3) La gestion des réseaux amicaux et autres…

Lorsque j’ai été invité pour la première fois, quatre enseignants, un fonctionnaire des postes, un cuisinier sous contrat et trois sans-emploi (dont deux travestis) étaient également conviés pour l’occasion. Etienne s’était chargé de la cuisine et le climat était détendu. Pour moi, c’était l’occasion d’expliquer les motifs de ma recherche et pour les homosexuels de s’intéresser à ma personne. Si j’ai été invité à d’autres occasions, je n’ai jamais plus rencontré dans une même demeure à la fois les travestis sus-mentionnés et les autres convives. Cette soirée avait d’exceptionnelle la venue de mon couple et la composition de l’assemblée se devait d’être cohérente au sens « scientifique » du terme. Le maître des lieux m’avait dit, « j’inviterai des personnes représentatives de l’homosexualité à la Réunion ». Mais confondre souci de cohérence et amitié serait une erreur. Chacun reste à sa place et affinité ne rime pas nécessairement avec inclination sexuelle identique

La présence d’un invité de même sexe que le couple présente dans le cas de l’homosexualité un particularisme. Pour les couples qui n’ont pas passé de contrat de liberté sexuelle, le premier venu peut faire figure d’intrus et mettre en danger la fidélité souhaitée. Marianne Modak (1996, p183-190) note l’ambiguïté de ces relations. L’amitié partagée avec un tiers extérieur au couple hétérosexuel est souvent plus facile si elle concerne quelqu’un du

même sexe. L’homme invite son collègue, la femme son amie. L’appartenance de l’ami(e) au même sexe désamorce la jalousie potentielle. Dans le cas de l’homosexualité ce n’est évidemment pas le cas. Le plus sûr pour protéger son exclusivité sexuelle revient, et c’est le choix de certains homosexuels, à inviter de préférence des hétérosexuels.

Une autre stratégie est celle de Bruno. Il n’est ni un fêtard nocturne ni un « plagiste ».. Dominateur à la limite du dogmatisme, il ne s’entoure que de soumis ou d’admirateurs. Tout état de dépendance lui est insupportable, il se refuse à effectuer des efforts s’ils sont exigés par un autre que lui. Aussi, les personnes qui le fréquentent entrent dans la catégorie de ses attentes, soumises et bienveillantes, quitte à le critiquer en son absence. Bruno a recours au petite annonce pour trouver des partenaires de manière confortable et sans effort. Il m’explique :

« L’avantage des petites annonces c’est que la personne ne te voit pas tout de suite.

Tu peux ne pas être son type mais elle l’ignore. L’imaginaire prend le dessus. C’est un peu de plaisir de gagné. Se masturber fait parti des solutions, c’est du reste souvent la plus courante. Avec mon physique, pour moi, il n’y a guère à espérer. C’est pas pour mon corps que l’on me choisi. Aussi, dans le texte, tu mets en avant tes avantages, non tes défauts. De visu, c’est souvent le contraire. Bien sûr, parfois la rencontre est un choc brutal. C’est pas du tout l’image que tu te faisais de l’autre. T’es déçu. Mais qu’importe, cela peut marcher et pour moi, c’est le seul moyen ».

Dans ce témoignage nous lisons à la fois la détresse et la résignation au poids du physique, nous sommes loin de l’amour romantique.

Dan a connu son ami par le biais d’une variante à la lettre de rencontre, le « chat » sur le Net. La Webcam permet aux amants potentiels d’en savoir plus sur leur physique. Si le rêve résiste à la réalité (ou résiste malgré la réalité) alors l’histoire peut commencer. Toujours des annonces mais cette fois-ci, il ne peut plus y avoir tromperie sur la marchandise. Le corps est certes présent dans les petites annonces, mais c’est l’imagination et non le regard qui le voit.