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1.4) Les explications biologiques 1.4.1) Les hormones et les gènes responsables ?

Dans une logique d’anatomie descriptive, le docteur Ambroise Tardieu réalise les études cliniques pionnières sur la sodomie intitulée « Etude médico-légale sur les attentats

aux mœurs » (ARON, 1996, p224) . Première en France sur le thème, l’étude révèle les

progrès de la médecine légale du milieu du XIXème siècle. Pour scientifique qu’elle soit, en hiérarchisant les crimes et délits, elle donne une image des sensibilités face à la violence. Les traces possibles de violences intimes sont cartographiées. Le corps devient la matière sur laquelle le médecin projette ses propres croyances. Dans la lignée de travaux sur la morphopsychologie de Cesare Lombrozo1 (1876), Tardieu invente des signes. Un clitoris

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L’Homme criminel, 1876, Cesare Lombroso dresse une typologie et distingue cinq types: les criminels aliénés, les criminels d’habitude, les criminels d’occasion, les criminels par passion et les criminels-nés. Selon ces travaux, la morphologie faciale caractérise la nature criminelle de l’individu.

trop précocement développé révèle une coupable lascivité. Il lit la fellation sur la forme de la bouche. La force de l’agressivité sodomite découle de la forme du pénis. Autant dire que l’approche « scientifique » ne nous dispense pas de l’imaginaire du XIXème siècle.

Tardieu se fait aussi sociologue pour ourdir le procès de l’industrialisation et celui des villes avec leur promiscuité. La pédérastie comme la prostitution y sont plus importantes qu’à la campagne. L’échelle des violences sexuelles s’appuie à la fois sur les indices corporels des agressions, sur l’âge des victimes et leur état de virginité. L’insistance sur « la passion sodomique », tout en la condamnant au titre d’interdit, témoigne aussi d’un changement de mœurs où dans certains cercles sociaux la peur du « péché » est moins forte que la recherche du vice. Elle signale le progressif recul de la religion au profit d’une indépendance individuelle au prix jusque là trop élevé.

Dès l’abord des explications biologiques, certaines thèses rejouent le débat entre l’inné et l’acquis ; d’autres évoquent une savante alchimie des deux. Voici la position de Gérard Zwang sur les origines de l’homosexualité (in Bell & Weiberg, 1980, p12) :

« Autant qu’on puisse juger en l ‘état actuel des connaissances éthologiques, l’individu acquiert les notions lui permettant de reconnaître l’aspect du partenaire sexuel convoitable au cours de périodes sensibles ; l’une se situe dans la période péri-natale, l’autre au cours de la puberté, révélant les dispositifs comportementaux mis en place par la première. L’imprégnation hormonale de l’hypothalamus semble jouer un rôle déterminant. Qu’elle soit insuffisante, excessive, prématurée, tardive, mal métabolisée par les cellules productrices ou réceptrices – et le sujet va en subir un dommage. Il peut devenir un de ces très rares pervers prenant son « pied » avec les épagneuls, les brosses à cheveux, les cadavres pas trop faits ou les enfants du catéchisme, un indécis navigant à voile et à vapeur sans trop savoir où est son chemin, ou un homosexuel stable. Cet(te) homosexuel(le) demeurera invariablement déterminé(e)par les instances comportementales de son cerveau des instincts (paléo et méso-cortex). Même s’il(elle) souhaite que ses enfants soient « hétéros comme tout le monde », tous ses arguments de la logique, du bon sens, de la morale, de la justice, de la psychanalyse, si intelligent(e) soit-il(elle), ne toucheront que son néo-cortex, et ne sauraient le(la) désorienter, pas plus qu’on ne convaincra les hétéros de passer

de l’autre bord par la seule force du raisonnement. S’il(elle) transmet son goût, ce n’est pas par contagion, mais par reproduction. Et si l’on peut alors accuser les mères, ce n’est pas comme Freud le leur a trop reproché, du fait de leur mauvaise jocastication, mais à cause de leur possibilité de procréer sans avoir besoin de jouir.»

Nous sommes dans cette hypothèse en présence d’un modèle quasi déterministe. L’inné et l’acquis se conjuguent suivant des facteurs « psycho-socio-neurophysiologiques » avec l’hérédité comme pierre d’achoppement. Plus récemment, l’auteur définit l’orgasme comme le résultat d’un apprentissage. Le désir (Zwang, 2002) est la conséquence de tensions neurobiologiques mettant en œuvre certaines parties du cerveau (notamment les centres hypothalamiques), certaines hormones et des centres nerveux périphériques (centres intégrateurs du névraxe, réflexe myotatique et cerveau basal). L’acteur, dans sa sexualité, ne serait qu’un homme neuronal. Zwang renvoie avec assurance la psychanalyse à des « divagations sur les stades libidinaux infantiles », qui vont donc à l’encontre de la neurophysiologie la plus élémentaire (idem, p123). Il existe une appétence orgasmique chez l’homme et cette fonction érotique dépasse largement les nécessités procréatrices. Pour Zwang, indépendamment des contextes sociaux et historiques, la proportion d’homosexuels demeurant une constante génétique, l’imputation de l’homosexualité au chromosome X maternel est selon lui très convaincante (idem, p178). Homosexualité et hérédité relèvent d’une relation symétrique. Nous prenons bien sûr de la distance avec une telle affirmation.

La logique innéiste peut aussi prendre appui sur des travaux d’anatomie comme ceux de Swaab et Hofman (1988) concernant les différences entre hétérosexuels et homosexuels au niveau du noyau suprachiasmatique1 de l’hypothalamus antérieur. Le volume et le nombre de neurones à vasopressine sembleraient plus important chez les homosexuels. Le Vay (in Vincent,1996, p237) a procédé à des analyses anatomiques chez des homosexuels mâles morts du sida. Il observe une taille plus faible des noyaux interstitiels de l’hypothalamus antérieur. Il note chez les mêmes homosexuels mâles une commissure antérieure (organe mettant en relation les cerveaux droit et gauche) plus développée.

En contrepoint des études anatomiques, Crew (1987) défend l’idée que la production hormonale fluctue avec l’ontogenèse de l’individu. Un embryon mâle qui, par anomalie,

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« Interface » entre le système optique et l’hypothalamus, ce système serait impliqué dans le contrôle des rythmes circadiens. Pour une approche plus fonctionnelle : GUYTON A.C., (1984), Neurophysiologie, Neurologie de la vision, p274, Paris, Masson,.

n’aurait pas de production d’hormones mâles, achèverait son processus de maturation en tant qu’être femelle. Chez les portées d’animaux, il observe un effet de féminisation de l’embryon mâle lorsqu’il se développe entre deux embryons femelles (et inversement s’il s’agit d’une femelle placée entre deux mâles) 1. Mais cette constatation est peu transposable à l’homme. Ainsi, Dreyfus (1972, p117) propose deux éléments pour contrer la thèse de la cause hormonale de l’homosexualité. L’hypoandrie ne concerne qu’exceptionnellement les invertis et l’hypoandrie majeure conduit plutôt à l’impuissance qu’à l’homosexualité. L’hormonothérapie mâle n’a jamais « ramenée les homosexuels sur le droit chemin » ; par contre, elle augmente leur activité sexuelle.

Enfin, des études en génétique se lancent sur la piste d’une éventuelle transmission héréditaire de la tendance homosexuelle par le chromosome X (Bailey et Pillard, 1991). Une autre recherche (Hamer, 1993) suggère rien moins que l’existence d’un gène de l’homosexualité mettant en cause une « anomalie » du chromosome X.

On ne se lasse pas de souligner les abus interprétatifs de telles recherches. Entre l’homme social, l’homme neuronal, voire « l’homme animal », le divorce semble consommé. Par delà leur caractère scientifique et aux vues des variables que ces travaux souhaitent isoler, leur grande confusion consiste à emmêler « rapport aux valeurs » et « jugements de valeur ». Ainsi, définir l’homosexualité comme inévitable et biologiquement déterminée reviendrait pour le chercheur à lancer un appel soit à la tolérance (parce qu’on ne peut l’éviter), soit à l’intolérance (parce qu’on ne peut la faire évoluer). Ce qui revient à se situer sur le plan de la normativité et non sur celui de la compréhension.

1.4.2) Des compromis socio-biologiques insatisfaisants

Partant du constat que l’activité sexuelle fait intervenir de nombreuses zones corticales2 John Money (1986 in Vincent, 1996, p233-239) propose dans une perspective « anatomo-fonctionnello-environnementale », la notion de carte du tendre. Cette carte cognitive est l’agrégat de structures anatomiques, d’influence hormonale, d’influences environnementales et des différentes expériences de l’individu dont les chemins pourraient

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Travaux repris par ARON, 1996. 2

Pour une approche neuro anatomique et certaines interactions, VINCENT Jean-Didier, (1996), La chair et le

être modifiés. Selon cet auteur, cette carte en formation serait la plus malléable entre cinq et huit ans.

Michel Erlich (1991, p5-6) propose une pyramide des besoins, sorte de continuum permettant de « distinguer un sexe biologique et un sexe psychosocial» :

- premier niveau : les caractères sexuels primordiaux (chromosomes sexuels).

- second niveau : les caractères sexuels primitifs (sexe gonadique, glandes sexuelles indifférenciées qui se sexualisent à partir de la 7ème semaine).

- troisième niveau : les caractères sexuels primaires (sexe gonochorique, conduits et organes génitaux externes dont le développement est subordonné aux hormones).

- quatrième niveau : Les caractères sexuels secondaires (sexe somatique, éléments morphologiques, staturo-pondéraux, osseux, musculo-adipeux, tégumentaires, pileux, vocaux, …).

- cinquième niveau : les caractères sexuels tertiaires (sexe comportemental et phénotypique, éléments comportementaux à chaque sexe).

- sixième niveau : les caractères sexuels quaternaires (les genres, les identités sexuelles, les codes et les rôles sexuels, le jeu des relations érotiques et interpersonnelles).

Cette typologie réintroduit la présence du regard et du jugement des autres dans la définition de sa propre identité.

Notons le modèle « utilitariste » d’Edouard Wilson (1978). Selon cet auteur, s’occuper tout particulièrement des travaux domestiques, s’intéresser au bien être du foyer familial et participer très activement à l’éducation de leurs frères et sœurs est la manière pour les homosexuels de contribuer à la survie de leur lignée. L’assistance à la cellule familiale favoriserait la transmission du patrimoine génétique et par conséquent de leur inclination sexuelle. Il fait alors des homosexuels un modèle d’altruisme : « Je voudrais suggérer qu’il

existe une forte possibilité que l’homosexualité soit normale sur le plan biologique, qu’elle est un comportement distinct et bénéfique qui a émergé chez l’être humain comme un élément important des débuts de l’organisation sociale. Les homosexuels sont peut-être les porteurs génétiques de certaines des rares pulsions altruistes de l’humanité » (Wilson, 1978, p143).

1.5) Approches socioculturelles