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4.   Cadre  de  référence

4.4. Sociétés traditionnelles africaines

La compréhension de l’organisation des sociétés traditionnelles africaines, ainsi que de leurs systèmes de croyances orientées sur la nature et le monde invisible, nous permettra dans les chapitres suivants de saisir les raisons incitant autant de personnes à avoir recours à la médecine traditionnelle et aux pratiques mystiques pour soigner l’ulcère de Buruli.

4.4.1. Notion de culture

J’aborde le thème de la culture parce que celle-ci exerce, directement ou indirectement, une influence puissante sur les représentations de la santé et la maladie, la normalité et l’anormalité, l’ordre et le désordre. Selon Purnell (1998) :

la culture se rapporte à la totalité des patterns de comportements socialement transmis à l’égard des arts, des croyances, des valeurs, des coutumes et habitudes de vie, de tous les produits du travail humain et des caractéristiques de la pensée des personnes composant la population. La culture guide la perspective, la vision du monde et la prise de décision (cité par Coutu-Wakuczyk, 2003, p. 34).

La culture réunit donc les connaissances et les comportements qui caractérisent une société humaine : ils sont acquis, mémorisés et appliqués au quotidien par les membres de cette société. Ces comportements s’apprennent et se transmettent précocement au sein des familles (Jodelet, 2006, p. 228) et entre les membres d’une même culture, leur permettent d’ « agir de manière acceptable pour les membres d’un même groupe social » et d’appréhender le monde en attribuant un sens commun aux évènements (Agar, 1986, cité par Jodelet, 2006, p. 226).

Dans le domaine de la santé, les représentations culturelles sont à la base de la compréhension et des réactions à la maladie, de la manière dont les symptômes sont identifiés, leur degré de gravité et les attentes du patient par rapport aux soins.

4.4.2. Structure des sociétés traditionnelles africaines

D’après Sterlin (médecin psychiatre à l’Institut Interculturel de Montréal) « il est impossible de percevoir adéquatement et surtout de décoder les savoirs et savoir-faire des cultures en matière de santé et de soins, si nous n’avons pas préalablement tenté de nous ouvrir au savoir-être spécifique qui les fonde » (2006, p. 113). C’est donc ce que je vais essayer de faire dans ce chapitre.

Voici un bref aperçu de la structure et des valeurs qui animent les sociétés traditionnelles africaines. Etant donné que l’Afrique subsaharienne constitue un ensemble très varié d’ethnies, langues et cultures, il est plus opportun de parler d’Afriques, que d’Afrique (Musée d’Ethnographie de Genève, 1992, p. 10). Dans la rédaction de ce chapitre, j’ai donc essayé de cibler la littérature abordant la problématique sous un angle général et non pas, faisant référence à un pays spécifique ou des ethnies particulières.

Le Docteur Sterlin a défini deux systèmes sociétaux (2006, p. 113) :

• l’un caractérisé par une culture anthropocentrique (Europe, USA, etc.)

• et l’autre, cosmocentrique (Afrique subsaharienne et sociétés amérindiennes)

La première est une culture centrée sur l’être humain, ayant pour mission de comprendre, explorer, maîtriser, transformer et exploiter l’univers imparfait dans lequel il se trouve (Sterlin, 2006, p. 114). Cette manière de concevoir l’univers, implique un rapport de domination de l’homme vis-à-vis de la nature, ce qui justifie l’exploitation du monde par l’homme (Dutheuil, 2000).

Au contraire, la culture cosmocentrique est centrée sur l’univers qui est considéré comme une masse d’énergie pouvant se décliner sous différentes formes, à savoir :

• l’environnement non-humain (constitué par la terre, les plantes, les animaux, l’air, les forces de la nature, etc.),

• celui des invisibles, c’est-à-dire les ancêtres et les esprits et

• celui des êtres humains (Sterlin, 2006, p. 114). « L’homme n’est donc qu’une forme particulière de condensation de l’énergie du Grand Tout cosmique et sa préoccupation

fondamentale est de se maintenir en synergie harmonieuse avec l’Energie Universelle » (Sterlin, 1993, p. 304).

Etant donné qu’en Afrique « la terre n’appartient pas aux hommes, mais les hommes appartiennent à la terre » (MEG, 1992, p. 16), l’être humain n’est qu’un élément parmi d’autres et n’a aucune autorité pour dominer les autres éléments (Dutheuil, 2000).

4.4.3. Religions traditionnelles africaines

Les sociétés traditionnelles africaines ou cosmocentriques, de par le lien étroit qu’elles entretiennent avec la nature, sont par définition, des sociétés régies par des religions traditionnelles. L’ethnologue Bellinger définit dans son ouvrage « Encyclopédie des religions » la religion traditionnelle africaine comme un « système de relations entre le monde visible des hommes et le monde invisible régi par un Créateur et des puissances qui, sous des noms divers et tout en étant des manifestations de ce Dieu unique, sont spécialisées dans des fonctions de toutes sortes» (Bellinger, 2000). Les religions traditionnelles africaines attribuent une âme aux éléments du règne animal, végétal, ainsi qu’aux phénomènes naturels. Cette conception évoque une « notion de ‟force‟ ou d’ ‟énergie”. Des auteurs parlent de ‟vitalisme‟ visant ainsi cette force vitale qui est en réalité plutôt cosmique, c’est-à-dire dans tous les éléments de l’univers ». Cette vision

du monde permet une communion entre le visible et l’invisible, une communication avec les dieux ainsi qu’avec les ancêtres et donne lieu à des croyances et des rituels très variés (Lévy, 1999, p. 22), tels que :

• l’animisme (du latin un) : adoration des divinités de la nature • l’ancentrisme : culte des ancêtres

• le totémisme : « organisation sociale fondée autour d’un totem, soit la représentation symbolique d’un animal ou d’un ancêtre »

• le fétichisme : vénération superstitieuse de quelque chose ou quelqu’un • Etc.

En Afrique, religion et culture sont intrinsèquement liées et très souvent, se manifestent par des phénomènes de syncrétisme religieux, ce dernier étant la « fusion de plusieurs doctrines

religieuses » (Larousse, 2013). Le vaudou figure parmi les rites syncrétiques les plus connus, issu des interférences entre religion animiste et chrétienne. D’après Johnson et al. (2004), au Bénin, 67% de la population est animiste et pratique le vaudou avec de fortes tendances syncrétiques (p. 148). Il faut savoir qu’en 1996, le vaudou est devenu religion d’État au Bénin, d’ailleurs célébrée chaque année le 10 janvier, à l’occasion de la « journée du vaudou » devenue une fête nationale et jour férié dans tout le pays.