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4.   Cadre  de  référence

4.5. Médecine traditionnelle

4.5.2. La divination

Alors que les sociétés anthropocentriques ou mondes culturels à univers unique recourent au diagnostic, les sociétés cosmocentriques, telles que les sociétés traditionnelles africaines, utilisent la divination pour identifier la source du désordre et agir sur cette dernière pour soulager/guérir le malade. Comme nous venons de le voir dans le chapitre 4.4.2., dans ces sociétés le monde est double : il y a ce monde ci, visible et tangible et le monde invisible, accessible uniquement aux guérisseurs, médiums et sorciers. La divination, ou l’art du diagnostic permet donc de découvrir les causes d’une maladie, des difficultés ou de la mauvaise chance qui frappent un individu. En Afrique, on distingue le manque de chance de la ‟mauvaise chance”, qui s’apparente plutôt à un mauvais sort, résultant de l’action d’un tiers ou d’une force hostile (MEG, 1992, p. 26). La maladie, la mort, les accidents ou les adversités étant rarement considérés tels que des évènements naturels ou normaux qui surviennent au cours de l’existence d’un individu (pour plus de détails sur la signification de la maladie en Afrique, se référer au chapitre 4.6.3.), la divination permet d’explorer et d’analyser ces phénomènes pour éclairer les causes sous-jacentes de leur apparition (MEG, 1992, p. 25).

Reproduction de la figure « champs d’intervention », tiré du support de cours HETS « Sociétés à univers unique VS sociétés à univers multiple » de Monnier Michel (2006)

D’après Tobie Nathan1, les devins n’interrogent pas directement le malade mais ils questionnent des objets matériels reliés à cet univers caché, qu’il soit divin ou démoniaque. D’autres individus, peuvent accéder à ces niveaux ancestraux invisibles par le seul biais d’un « don de vision » (Nathan, 1999, p. 17). Dans les deux cas, le but consiste en l’interprétation des réponses obtenues, en lien avec les questions posées par la personne ayant fait appel aux services du devin (MEG, 1992, p. 27). Les techniques divinatoires étant innombrables, je ne pourrais expliciter les méthodes utilisées, bien que parmi les objets le plus fréquemment utilisés par les devins on trouve le sable, les coquillages, le Coran (les divinations islamiques se basent sur l’interprétation d’un verset coranique tiré au hasard par le devin), etc. (Nathan, 1999, p. 17). Quelle que soit la méthode utilisée, la divination est un acte de création, qui rend palpable puis pensable l’interface des univers. Elle déplace l’intérêt initial, porté sur les symptômes et le malade, vers l’invisible, générateur de sens et de liens, ainsi que de la sphère individuelle à la sphère collective et du fatal au réparable (Nathan, 1999, p. 18).

Reproduction de la figure « diagnostic ou divination » de l’ouvrage « Médecins et sorciers » (1999, p.66)

Cela implique l’existence d’un monde secret et invisible, accessible uniquement aux maîtres du secret, c’est-à-dire les initiés, mais perceptible aux autres au travers de signes et de symptômes de la maladie (1999, p. 18). Le désordre étant un signe révélateur d’une intention invisible, le but de la divination est d’engendrer des actions (Nathan, 1999, p. 59).

1

 Tobie  Nathan  est  une  figure  emblématique  dans  le  domaine  de  l’ethnopsychiatrie.  Psychanalyste,  professeur  de  

psychologie  clinique  et  pathologique  à  l’université  de  Paris  VIII,  il  dirige  également  le  Centre  Georges  Devereux   (un  centre  universitaire  d’aide  psychologique  aux  familles  migrantes).    

Dans l’ordre, il est nécessaire de :

• Procéder au constat du désordre ; c’est-à-dire, accueillir la plainte

• Reconnaître et identifier l’intention de l’invisible ; admettre son existence, y compris l’existence même du devin.

• Expliciter son intention ; c’est-à-dire, procéder à l’interrogation divinatoire (par les coquillages, le don de vision, etc.)

• Apporter une réponse adéquate à l’invisible ; c’est-à-dire recevoir et exécuter les prescriptions du devin. (Nathan, 1999, p. 59-63). Celles-ci permettent « d’avoir prise sur les événements, de pouvoir les éviter ou les neutraliser, en somme d’orienter sa destinée » et cela se traduit par le rétablissement de l’équilibre entre l’individu et son environnement spirituel, familial et social (MEG, 1992, p. 25)

En résumé :

Reproduction de la figure « construction de la vérité » de l’ouvrage « Médecins et sorciers » (1999, p. 22)

La médecine occidentale, elle, cherche à comprendre ce qui ne fonctionne pas ou fonctionne mal au niveau du corps du malade. Après la pose d’un diagnostic « rationnel et déductif relatif à la nature et à la cause du malaise », établi sur des facteurs visibles, perceptibles et mesurables, des mesures centrées sur l’individu sont également prises, c’est-à-dire que le traitement est administré à l’intérieur du corps du malade (Sterlin, 2006, p. 115).

Toutefois, cette représentation de la maladie typiquement occidentale est loin d’être universelle. Dans les sociétés à univers multiples ou cosmocentriques, il est indispensable de se détacher du symptôme, pour investiguer les représentations du patient sur ce qu’il lui arrive. Le malade étant considéré comme l’expert de sa maladie, ses « représentations entraînent d’autres codes

de compréhension de la souffrance » qui nécessiteront éventuellement des thérapeutiques traditionnelles (James, 2003, p.79, citée par Mock, 2012, p. 19).

Nous pouvons tout de même constater qu’autant les médecins que les guérisseurs cherchent à créer à travers des processus mentaux, des associations de signes-symptômes corrélés à l’environnement du patient. La différence consiste dans méthode utilisée : alors que le médecin procède de manière déductive anatomo-clinique, le guérisseur se base sur des symboles et des analogies (MEG, 1992, p. 19).

L’utilisation du modèle explicatif de la maladie, proposé par Sindzingre & Zempléni (1981) permet au soignant de comprendre le sens que le patient attribue à la maladie dont il souffre. Cette réflexion axée sur la causalité de la maladie, se base sur l’exploration et la compréhension des quatre points suivants (cités par Zempléni, 1982, p. 18) :

• L’identification, c’est-à-dire déterminer de quel symptôme ou de quelle maladie il s’agit • La cause de sa maladie : savoir comment est-elle survenue

• L’agent responsable : définir qui ou quoi pourrait l’avoir produite selon lui • Le sens qu’il lui attribue, ou comprendre pourquoi il pense être tombé malade

Cette méthode diagnostique, grosso modo équivalente à la fonction du diagnostic divinatoire abordée dans le chapitre 4.5.2, permet de mettre l’accent sur les croyances du patient, ainsi que sur le sens social de la maladie caractéristiques des sociétés cosmocentriques.