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5.   Analyse  des  données

5.3. Analyse descriptive et interprétative

5.3.2. Pratiques de soins de santé

5.3.2.3. Offres en soins et pratiques traditionnelles

D’après le modèle de Purnell (cité par Coutu-Wakulczyk, 2003, p. 45), les autosoins traduisent l’autonomie du patient au niveau des soins et sa responsabilité à l’égard de son état de santé. Dans le chapitre précédant nous avons vu que l’automédication (favorisée par la vente amubulante de médicaments) est un phénomène largement répandu qui se place par aileurs au premier rang de l’itinéraire thérapeutique du patient. B confirme cette tendance « ils peuvent même commencer par l’automédication d’abord, se soigner par leurs moyens d’abord » (communication personnelle [Entretien B] 18 juin 2012) ; la preuve est que 2 patients sur 5, soit 1 et 3, y ont fait recours. La patiente 3 explique que « c’est juste quand il y a des petites choses comme ça, on le traite à la maison avant de voir quelqu’un. … Je n’avais pas l’intention de vite aller à l’hôpital » (communication personnelle [Entretien 3] 28 juin 2012).

D’après Müller et Balagizi (2001, p. 1-2), la médecine traditionnelle peut être réalisée tant par des tradipraticiens doués de puissance mystique, que par des guérisseurs de village, souvent des proches du malade, qui pratiquent une médecine populaire, basée sur la phytothérapie. C’est le cas de 1 qui rapporte « c’est mon père qui a fait les pansements avec les décoctions, à la maison » (communication personnelle [Entretien 1] 22 juin 2012). De plus, bien que ce cela ne requière l’utilisation de plantes, comme le préconise la médecine populaire, la grand-mère de 4 « a fait l’eau chaude pour lui masser ça, juste pour soulager l’œdème » (communication personnelle [Entretien 4] 28 juin 2012). Toutefois, il me semble intéressant de mentionner ce dernier point, puisqu’avec la technique utilisée par le père du patient 1, il s’agit (comme nous le verrons plus loin dans le chapitre consacré à la tradithérapie) de deux protocoles de soin couramment utilisés par les guérisseurs dans la prise en charge d’une plaie d’UB.

D’après Purnell, l’automédication fait partie des comportements d’auto-soins susceptibles d’engendrer des risques pour la santé du patient. La patiente 3 explique avoir acheté du « didro », c’est-à-dire « tout ce qui est poudre qui est dans un petit flacon, qu’on appelle communément Didro, ou dans leur langage. Ampicilline®, Aspégic®, tout ça c’est Didro »

(communication personnelle – explication donnée par G [Entretien 3] 28 juin 2012), qu’elle a absorbé de la manière suivante « J’ouvre le flacon, je le mets dans un bol et je rajoute l’eau de coco pour boire ça » (communication personnelle [Entretien 3] 28 juin 2012). Purnell cite également comme une pratique à risque malheureusement largement répandue, l’utilisation d’antibiotiques sans préscription, ni suivi médical, pouvant conduire à la survenue de résistances et autres complications. En effet, au Bénin, des personnes n’ayant aucune formation sanitaire vendent dans la rue ou au marché toute sorte de médicaments qu’il est possible d’acheter sans prescription médicale. Bien que « l’antibiothérapie dans la vie d’un homme, il y a 90 doses, que la personne peut prendre durant toute sa vie » (communication personnelle [Entretien C] 20 juin 2012), les personnes consomment des antibiotiques de manière anarchique, pour toute sorte de symptômes (maux de ventre, faiblesse, syndrômes grippaux, etc.), et pendant des durées très aléatoires.

Médecine traditionnelle

En raison des possibles causes magico-religieuses attribuées à l’UB abordées dans le chapitre 5.3.2.1., nombreuses sont les sociétés qui, en matière de santé, privilégient les pratiques traditionnelles, folkloriques et/ou d’ordre magico-religieux au détriment des soins bio-médicaux. D’après l’analyse des pratiques de soins de santé de Purnell (cité par

Coutu-Wakulczyk, 2003, p. 45 - 46) ce chapitre nous permettra d’apprécier le rôle du guérisseur et les pratiques de soins traditionnelles dans la prise en charge de l’UB.

D’après l’OMS (OMS, 2000, p. 3) 70% des Béninois ont recours à la médecine traditionnelle pour les soins de santé primaire et au niveau de mon échatillon, 4 patients sur 5 se trouvent dans ce cas de figure. 4 et 5, comme nous l’avons vu dans le chapitre dédié aux itinéraires thérapeutiques, ont même renouvelé cette expérience malgré les échecs. Cela va de pairs avec la cause présumée de l’UB : comme nous l’avons vu dans le chapitre 5.3.2.1., les mêmes quatre patients, c’est-à-dire 2, 3, 4 et 5, attribuent plus ou moins directement leur maladie à la sorcellerie. Cette donnée n’est pas étonnante puisque comme l’ont expliqué Kibadi et al. (2007, p. 245), les personnes concevant l’UB comme une maladie provoquée, seront plus inclines à se faire soigner chez un tradipraticien qui, grâce à sa puissance mystique (Müller et Balagizi, 2001, p. 1-2), pourra en plus des soins phytothérapeutiques, agir sur les causes occultes de l’affection. E confirme cette double approche « l’application de plantes et tout ça. Et il y a aussi les pratiques mystiques associées » (communication personnelle [Entretien E] 21 juin 2012). En effet, au niveau de mon échantillon, la patiente 2 a parallèlement fait recours aux services d’un agent de santé pour les soins locaux et d’un féticheur pour neutraliser les causes mystiques responsables selon elle de sa maladie. « Je ne pouvais pas me lever. J’étais dans ma chambre et les gens venaient … me faisaient des scarifications, on mettait des poudres, il y a certains qui passaient des pommade … sur les parties saines, juste au dessus de la plaie. Et il y a un qui m’a remis quelque chose que je devais mettre au niveau des mollets pour que la plaie n’évolue pas. Qu’elle reste juste là ou c’est, pour qu’on puisse la guérir » (communication personnelle [Entretien 2] 25 juin 2012). Cette description rappelle la pratique du blindage décrite par Latérali (2005, p. 137-139) qui consiste en une sorte de vaccination mystique contre l’UB. En effet comme le mentionne 2, sa réalisation consiste en une série de scarifications au niveau des parties saines du corps du patient, dans lesquelles le guérisseur applique des poudres d’herbes, à l’action protectrice contre d’éventuelles rechutes. De plus, elle mentionne une autre technique thérapeutique exposée cette fois par Lévy (2001, p. 150-151) : le port d’amulettes qui, dans son cas, sont noués autour du mollet pour empecher l’évolution de la plaie. D’après F, ces méthodes présentent un bénéfice non négligeable en termes d’apaisement psychologique

« au même moment qu’on fait les soins de leur pied, nous on fait pas des méthodes occultes pour renvoyer l’esprit qui est en train de causer la maladie. Donc, pour eux, c’est déjà un soulagement psychologique, ils ont déjà des barrières, des protections, c’est pourquoi pour eux c’est mieux d’ailleurs chez ces praticiens là, plutôt que de venir à l’hôpital » (communication personnelle [Entretien F] 26 juin 2012).

La détersion des tissus dévitalisés (EWMA, 2004a, p. 3) présents au niveau du lit de la plaie, permet de relancer le processus cicatriciel de celle-ci. Le débridement mécanique et chirurgical constituent les deux méthodes les plus utilisées au niveau des structures sanitaires conventionnelles. Bien que les méthodes diffèrent, les guérisseurs traditionnels pratiquent également ce type de soins de plaie, notamment le débridement chirurgical « les gens prenaient la lame pour enlever la surface de la plaie » (communication personnelle [Entretien 4] 28 juin 2012) et le débridement autolytique, réalisé par l’application topique de produits végetaux au niveau du lit de la plaie « au bout de trois jours … ça va se ronger et ça va commencer par s’enlever de lui-même, pour drainer l’eau … ça a commencé par se ronger et puis la surface de l’ulcère était jaune et couverte d’enduits jaunâtres »

(communication personnelle [Entretien 4] 28 juin 2012). Dans certains cas l’érosion de la plaie est extrême « ça s’est rongé jusqu’à l’os » (communication personnelle [Entretien 5] 29 juin 2012).

Yemoa et al. (2008, p. 53) ont prouvé que certaines plantes possèdent de nombreuses propritétés potentiellement bénéfiques dans la prise en charge des plaies d’UB. E reconnaît que « effectivement dans la tradition il y a des plantes pour la cicatrisation et autres choses. Mais dans l’UB c’est autre chose, ce sont souvent des ulcères de grande superficie, on ne peut pas mettre seulement des plantes et ça va cicatriser. … ça va prendre des mois, voir un an et ça peut se cancériser » (communication personnelle [Entretien E] 21 juin 2012). Bien que leur efficacité soit scientifiquement prouvée, l’utilisation de ces végetaux ne peut supplanter l’antibiothérapie, qui est à ce jour le seul traitement valable pour soigner l’UB. La mère de 5 résume une large panoplie de techniques utilisées par les guérisseurs traditionnels que nous avons abordées dans le cadre de référence: le blindage, la préparation de potions à boire à base de racines, écorces ou poudres de plantes (Lévy, 2001, p. 150-151), les cataplasmes à base de plantes, parfois mélangées à des produits pharmacéutiques (Johnson & al., 2004, p. 147-149), le nettoyage de la plaie à l’aide de décoctions chaudes (bien que cette technique n’apparaisse pas au niveau de la littérature, il semblerait s’agir d’une pratique largement répandue, également mentionnée par les patients 1 et 4) et pour conclure le débridement mécanique.« Il faisait des scarifications autour de la plaie et il mettait des poudres dedans, il préparait aussi des infusions, des médicaments qu’il prenait pour penser la plaie. En fait il prenait pour appuyer sur la plaie pour….c’est avec les décoctions chaudes et un chiffon qu’il nettoyait la plaie. … chez l’autre … il a pris un ciseau et il a enlevé les enduits blanchâtres de la plaie » (communication personnelle [Entretien 5] 29 juin 2012).

Force est de constater qu’à travers ce récit on retrouve les notions de nettoyage du lit de la plaie, de détersion mécanique des tissus dévitalisés (EWMA, 2004a, p. 3), d’application locale de produits antimicrobiens (en raison des propriétés antibactériennes et antiseptiques

des deux plantes les plus fréquemment utilisées par les tradipraticiens ; voir annexe 7) et de maintien d’un mileu humide (par l’application de cataplasmes) recommandées dans le cadre conceptuel TIME® (Falanga, cité par EWMA, 2004a, p. 2). Toutefois, comme je l’ai dit auparavant, l’approche, les méthodes et le matériel diffèrent « l’enfant même a été excisé à vif … avec je ne sais quel instrument … des objets coupants qu’on ne sait dans quelles conditions ces objets ont été » (communication personnelle [Entretien 5] 29 juin 2012). Contrairement aux recommandations internationales stipulées dans le TIME® selon lesquelles la prise en charge d’une plaie ne peut être dissociée de l’appréciation globale du patient, G considère que lorsque « les tradithérapeutes sont en train de s’occuper de la plaie, je pense qu’ils ne pensent plus à l’état général du patient, parce que ce sont des lésions qui font perdre beaucoup d’éléments au malade [déshydratation et perte d’éléctrolytes] … ils s’attaquent à la plaie, on creuse, on creuse, on creuse et c’est quand les parents sont à bout, qu’on nous les amène » (communication personnelle [Entretien 5] 29 juin 2012). L’OMS, (2013b) signale que les plantes utilisées dans le traitement traditionnel sont susceptibles d’intéragir entre elles, de générer des effets indésirables voir des échecs thérapeutiques avec une péjoration de l’état de la plaie « les poudres, sans doser, il n’y a aucun dosage alors qu’on ne sait pas quels sont les effets secondaires que cela peut entrainer » (communication personnelle [Entretien F] 26 juin 2012).

Pour conclure, il me semble important de relever qu’aucun patient n’a fait allusion à une quelqonque prise en charge fonctionnelle empêchant la formation de fibroses, de contractures ou de déformations des membres, dans le traitement traditionnel.

Une dernière pratique, caractéristique du traitement traditionnel consiste dans les interdits alimentaires, visant particulièrement les produits riches en protéines qui, au contraire, comme nous l’avons vu dans le cadre de référence (Simonet, 2008, p.15) constituent les nutriments de choix favorisant et accélerant la cicatrisation d’une plaie « chez le guérisseur on te dit de ne pas prendre les aliments riches en protéines. … et le malade devient dénutri, anémié et ça retarde la cicatrisation. Si tu as l’UB et tu vas chez un guérisseur, il va te dire de ne pas manger de viande, ni de poisson, tous les produits riches en protéines, de l’oeuf. Donc, ce n’est pas bon. Tu sais les guérisseurs eux, ils sont bornés, eh. Tu ne peux pas dire à un guérisseur qu’il ne doit pas interdire de prendre ceci ou cela, parce que lui, il a ses arguments aussi. Il va te dire que ce qu’il vient de faire comme tisane, ah, que si la personne prend ces choses là, que les plantes ne feront pas effet. Et les malades viennent, pâles, dénutris. Et nous on change, on va leur dire que « tout ce qu’on t’a interdit, il faut prendre » et ça change et ils nous disent « ah, c’est vrai » » (communication personnelle [Entretien E] 21 juin 2012).

En résumé, « les gens traitent effectivement l’ulcère de Buruli à l’indigénat, mais, … mais, chez eux il y a des malades, pas tous eh, qui arrivent à guérir et d’autres, qui n’arrivent pas à guérir. Mais les malades guéris par les guérisseurs, quand tu les vois, il y a des cicatrisations vicieuses. Il y a des rétractions souvent importantes et les malades deviennent des infirmes » (communication personnelle [Entretien E] 21 juin 2012) ; « ou bien il y a même des cicatrices cancérigènes » (communication personnelle [Entretien D] 20 juin 2012). En effet, durant mon stage, j’ai pu observer à l’occasion d’un ratissage, le cas d’une femme traitée traditionnellement qui, malgré une cicatrisation superficielle au niveau de la lésion d’UB, présentait une ostéomyélite avec apparition d’une deuxième lésion sur l’autre face de la jambe (photos ci-dessous).

Lésion primaire cicatrisée Lésion sécondaire

Lorsque je demande aux soignants leur avis quand à une possible collaboration entre médecine moderne et traditionnelle, les avis sont mitigés « les deux peuvent exister mais pas cohabiter » (communication personnelle [Entretien G] 27 juin 2012). L’une des raisons

mentionnées serait que« quand il y a deux traitements on ne sait plus ce qui se passe. Si par exemple le malade fait une crise on ne sait plus si c’est à cause de ce que le tradithérapeute lui a fait ingérer ou si c’est ce que nous sommes en train de faire »

(communication personnelle [Entretien G] 27 juin 2012). Bien qu’en général les soignants reconnaissent que la tradithérapie soit efficace dans certaines situations, ils se montrent pour la plupart réticents à une ouverture dans ce sens, en tout cas en ce qui concerne l’UB. C résume bien le discours de nombreux de ses collègues « Je ne peux pas dire que la médecine traditionnelle ne fait rien. ... je pense que … au niveau de la tradithérapie, sincèrement parlant, ils font des miracles, mais peut-être, ils exagèrent. En supposant, si je reviens dans le cas de l’UB, qu’on dise qu’on veut guérir l’UB et on demande au patient de ramener un mouton, deux coques…c’est pas les coques et le mouton qui pourront guérir l’UB !!! … à l’hôpital, tu trouveras satisfaction … Par contre, la tradithérapie peut-être sur

Photo personnelle, juin 2012 Photo personnelle, juin 2012

d’autres plans, fait quelque chose de bien. Et qu’on pourrait leur réserver cette place là, à eux. Mais pour l’UB, il faut bannir »(communication personnelle [Entretien C] 20 juin 2012). De manière générale, seuls un soignant béninois et A, pensent qu’une collaboration avec les tradithérapeutes serait envisageable « Médecine moderne et traditionnelle peuvent cohabiter ensemble, mais … on doit les former encore, malgré qu’ils connaissent les plantes, on doit les former. … Il y a les plantes et il y a les chercheurs et ensemble, ça peut donner des bonnes choses. … il y a l’occident, on apporte tout et puis on néglige le reste. … il y a plein de plantes, qui ont des propriétés » (communication personnelle [Entretien E] 21

juin 2012). Toutefois, A souligne que« Il y a la place pour une médecine traditionnelle, mais il faut faire la détection ou la médecine traditionnelle s’arrête, pour faire place à la médecine moderne »(communication personnelle [Entretien A] 3 avril 2012).

Pour terminer ce chapitre consacré aux pratiques médicales traditionnelles, il me semble important de mentionner que le Bénin ne manque pas de structures sanitaires modernes et comme C le confirme, leur existence n’est pas méconnue de la plupart des malades « je ne peux pas dire, qu’il ne connaissait pas l’hôpital. Il le connaît, mais dans sa tête il avait ‟ce que j’ai là, ce n’est pas une maladie tropicale, ça, c’est pour un guérisseur traditionnel” »

(communication personnelle [Entretien C] 20 juin 2012). B fait un topo de la situation actuelle au niveau du recours aux soins dans les structures de soins modernes du Bénin

« notre pays, de part l’analyse du Ministère de la Santé, prend en charge la santé de la population, en matière de fréquentation à 40%. Donc, il prend 40% de la population dans les structures sanitaires homologuées. Donc les 60% restants, passent par où ? »

(communication personnelle [Entretien B] 18 juin 2012). L’absence de structures ne peut être évoquée pour expliquer ce faible taux de fréquentation, puisque « à Allada par exemple, qui comprend environ 11 arrondissements, nous avons a peu près, 11 dispensaires et maternités. Donc ça veut dire, 100% des arrondissements sont couverts par des formations sanitaires » (communication personnelle [Entretien B] 18 juin 2012).D’après lui, dans le pays, seul « 10% des arrondissements ne sont pas couverts … par des structures sanitaires modernes ». De ce fait, les raisons conduisant plus de la moitié de la population à faire appel à d’autres filiales de soins, ne se résument pas à une question d’accessibilité aux soins. Dans le chapitre suivant, nous allons donc essayer d’explorer les causes sous-jacentes de cette prédilection pour le traitement traditionnel, au dépend du traitement moderne.