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6.   Conclusion

6.1. Retour sur mon travail

6.1.1. Réponse à ma question de recherche et vérification des hypothèses

A travers l’élaboration de ce travail, je souhaitais répondre à la question de recherche suivante : Comment le contexte socio-culturel influence-t-il l’expérience de la maladie, sa compréhension ainsi que l’itinéraire thérapeutique, et de quelle manière les soignants prennent-ils en compte les compétences culturelles des patients et leurs familles dans le processus de soins ? Etant donné que cette question fait indirectement référence aux trois axes de mon analyse, chacun étant à son tour corrélé à une hypothèse ; je pourrais simultanéement répondre à celle-ci et traiter mes hypothèses.

J’avais émis l’hypothèse que dans un pays en voie de développement, dépourvu de couvertures sociales, la maladie pouvait avoir un impact extrêmement grave, atteignant le patient dans sa globalité, d’un point de vue physique, psychique, économique et social. En effet, l’analyse nous a permis de confirmer et de mesurer l’ampleur de l’impact de l’UB sur les patients et leurs proches.

L’expérience de la maladie est conditionnée par le contexte social et culturel du patient. D’une part, le contexte social, responsable de la pénurie en personnel médical, nécessite la présence de garde-malades qui sont éloignés de leur domicile et ne peuvent travailler. Les conjonctures financières et structurelles difficiles se traduisent dans la qualité des soins prodigués et prolongent les hospitalisations. La durée de celles-ci est également élevée, puisque les patients parviennent aux structures spécialisée qu’après un échec thérapeutique de la tradithérapie, choisie en raison des croyances en la sorcellerie conditionnées par le contexte culturel du patient. La gravité et l’étendue de leurs plaies nécessite dès lors des soins prolongés. Ces facteurs socio-culturels appauvrissent et isolent le malade et son garde-malade, qui du point de vue social, ne peuvent plus assumer correctement leurs fonctions respectives, et subissent des perturbations de la dynamique familiale, ainsi que du rôle parental.

Ensuite, nous pouvons constater que le contexte culturel du patient, influence l’impact psychologique de la maladie. Dans une société cosmocentrique, l’homme n’est qu’un élément parmi d’autres, soumis à la volonté du Grand Tout Cosmique. Ainsi, la douleur et la perturbation de l’image corporelle dû à la présence de la plaie ou des cicatrices, répondent à des codes culturels précis, selon lesquels elles sont acceptées et rarement contestées.

Enfin, nous pouvons également constater que la précarité de l’emploi et l’absence d’assurances sociales peuvent conduire les patients et leur famille dans la spirale de la pauvreté et potentialiser l’impact économique de la maladie.

J’avais émis l’hypothèse que la culture détermine la conception et la connaissance de l’UB, et que celles-ci se traduisent dans les attentes des patients en matière de santé, et dans le choix de l’itinéraire thérapeutique. Je confirme donc cette hypothèse qui se montre véridique pour la quasi-totalité de mon échantillon. De manière générale, nous avons pu voir que, bien que l’origine biologique ne soit pas forcement niée, l’UB est largement attribué aux pratiques de sorcellerie. Pour cette raison, la majorité des patients s’adresse à la médecine traditionnelle qui, en dehors des soins de plaie, agit également sur les causes mystiques responsables des maladies provoquées. Le contexte socio-culturel influence la compréhension de la maladie puisque nous pouvons constater que les croyances et les valeurs véhiculées dans les sociétés cosmocentriques1, se traduisent dans la conception de la maladie. Conception qui, comme nous venons de voir, peut avoir des causes magico-religieuses, et répond de ce fait, aux critères d’invisibilité et de forces mystiques. De plus, nous avons vu que l’instruction amène un regard scientifique et objectif sur la maladie. Etant donné que l’UB concerne principalement des personnes pauvres et non instruites, on constate que leur compréhension de la maladie, orientée vers des causes magico-religieuses, les conduit à douter des autres, plutôt que de remettre en question leurs propres comportements en matière de santé.

Enfin, l’itinéraire thérapeutique est d’une part influencé par la conception de la maladie qui comme nous l’avons vu, étant provoquée par la sorcellerie, nécessite une intervention mystique pour être soignée, et d’autre part, il est influencé par les valeurs véhiculés dans les sociétés cosmocentriques dans lesquelles la nature est vénérée2 et dont on sait en tirer toutes les richesses, dans le respect de celle-ci. Au Bénin, le vaudou est un mélange de religion animiste et chrétienne ; il n’est donc pas étonnant que la phytothérapie y occupe une place aussi importante.

Pour terminer, j’avais émis l’hypothèse que si les soignants souhaitent répondre aux besoins spécifiques du patient et jouir ainsi de sa compliance, ils doivent considérer les aspects culturels liés à la maladie, ainsi que les divers impacts de celle-ci sur la vie du patient et de sa famille. En réalité, nous pouvons constater que les soignants prennent en

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Existence d’un monde invisible et d’une interface entre univers, ainsi que dans les pouvoirs mystiques de certains élus pouvant communiquer avec ce niveau ancestral ou démoniaque et agir par son biais (chapitres 4.4.2. et 4.4.3.)

compte les répercussions de la maladie, et que dans la mesure du possible visent une prise en charge holistique du patient afin d’en minimiser les impacts négatifs. Toutefois, bien qu’ils respectent la foi et les croyances des patients, ils ne se montrent pas très sensibles à leurs itinéraires thérapeutiques, qui constituent, uniquement une donnée parmis d’autres, sans importance dans leur prise en charge. Les pratiques traditionnelles ne sont pas bien vues à l’intérieur du centre, notamment en raison du risque d’intéraction avec les traitements modernes, mais aussi parce qu’en cas d’effets secondaires, il serait impossible d’en identifier la cause. Toutefois, bien qu’elles aient lieu à des moments et dans des lieux distincts, nous avons vu que certaines pratiques traditionnelles sont tolérées par les soignant. Cela, au travers d’une alliance qu’ils ont crée avec les guérisseurs, selon laquelleils s’engagent à ne pas condamner la médecine traditionnelle si en contrepartie, les guérisseurs s’engagent, après un traitement de la cause mystique de l’UB, à envoyer les patients vers des structures spécialisées.

Pour conclure, j’ai constaté que les soignants réfléchissent sur la base d’automatismes au sujet des croyances des patients, étant eux-mêmes en partie concernés par cette culture. En d’autres termes, si l’on se réfère à la compétence culturelle traitée par Purnell, on constate que les soignants béninois se trouvent au dernier niveau. D’ailleurs, leur double appartenance culturelle, tant dans le groupe des professions biomédicales, que dans le groupe culturel béninois, se traduit par un discours parfois ambivalent : strictement scientifique en ce qui concerne le domaine de la santé, et teinté de croyances dans la sorcellerie et dans les pouvoirs mystiques des sorciers, en ce qui concerne les autres domaines. Toutefois, je réalise avoir peut-être surestimé l’ampleur d’une intervention transculturelle. En effet, malgré une certaine maîtrise de la compétence culturelle, leur intervention reste parfois limitée. En effet, bien que les soignants fassent preuve de stratégies de prévention adaptées au contexte culturel des malades, leurs interventions n’associent pas les pratiques professionnelles de soins et de guérison avec les soins génériques traditionnels (Leininger). Ces dernières étant nuisibles à la santé du patient.

6.1.2. Critique de la méthodologie

Souhaitant réaliser une enquête de type qualitatif – descriptif – exploratoire, ayant pour objectif la compréhension des représentations et du vécu des patients, ainsi que l’identification de la culture professionnelle des soignants, je suis globalement satisfaite du choix méthodologique entrepris. Les entretiens semi directifs, outre le fait qu’ils m’ont permis

de répondre à ma question de recherche et à réaliser mes objectifs de départ, m’ont permis de recueillir de nombreuses informations, tant d’un point de vue quantitatif, que qualitatif. Les récits d’expériences vécues et les témoignages recueillis m’ont parfois enthousiasmée, parfois laissée sans voix, mais toujours captivée et transmis des émotions intenses, que j’ai souhaité partager avec le lecteur à travers mon analyse. Pour cela, et avec un regard critique, je reconnais la longueur de cette dernière, notamment en raison du nombre conséquent de citations utilisées. Toutefois, ce choix de restitution est volontaire et réfléchi. Je souhaitais en effet mettre en valeur la force et l’authenticité de ces témoignages, qui font d’après moi, la richesse de mon travail.

Comme expliqué dans le chapitre 3.3.3., pour des questions organisationnelles (dépendantes de mon départ au Bénin), il ne m’a pas été possible de rédiger mon mémoire selon l’ordre préconisé par les directives HES, à savoir, le cadre de référence dans un premier temps et les guides d’entretien, ainsi que ma question de recherche, dans un deuxième temps. J’ai conscience que cette approche aurait pu biaiser ma recherche. Cependant, je ne pense pas que cela a été le cas, puisqu’avant de me rendre sur le terrain, j’ai lu plus de la moitié de ma bibliographie actuelle et bien que le cadre de référence ne soit pas écrit noir sur blanc, les thèmes principaux que je souhaitais aborder étaient déjà clairement définis dans ma tête. Au final, mise à part l’approche transculturelle de Leininger (que j’ai rajouté dernièrement puisqu’à l’époque je pensais que le modèle conceptuel de Purnell suffirait), je pense que ma problématique se serait construite de la même manière, autour des mêmes grands thèmes, qui d’ailleurs n’ont fait que se confirmer par les entretiens menés sur le terrain.