La société

Dans un premier temps, les pères utilisent différentes stratégies pour contrer la résistance de la société.

D’entrée de jeu, c’est souvent la mère qui est invoquée quand un inconnu veut entreprendre la conversation avec les pères gais et différentes stratégies sont utilisées pour aborder la question avec ces inquisiteurs :

On nous demande souvent où est la mère et on répond très ouvertement : « il a été adopté, la mère biologique est à Montréal-Nord ». Des fois, on tourne ça à l’humour. J’ai souvent vu des gens très surpris par notre différence visible, mais on affronte toujours la situation. (Jake)

Ça dépend énormément de la réceptivité des gens, des fois, on dit la vérité, des fois on dit qu’il voit sa maman une fois par mois. (Laurent)

Nous sommes arrivés à une réponse qui nous convient à mon conjoint et à moi quand les gens nous parlent de sa mère dans l’autobus. (Tommy)

Pour la totalité des répondants, la meilleure stratégie à utiliser pour prémunir l’identité de la famille contre les potentielles résistances de la société est de s’interroger sur la meilleure façon d’expliquer sa famille, d’être modérateur et de s’exprimer sans inhibition, devant les enfants, pour que ceux-ci l’intègrent de façon positive et pour limiter les réactions négatives :

C’est important de réfléchir et d’arriver à un point où tu peux expliquer ta famille devant d’autres personnes pour que l’enfant l’entende et l’intègre. Ça va

être à lui un jour de répondre à ce genre de questions et je dois d’abord être moi-même à l’aise avec une réponse que je pourrai donner à n’importe qui. C’était important que j’apprenne à donner l’histoire de façon non provocatrice. Je ne me justifie pas, je donne la vérité et je m’assure que mon enfant entende ça. (Tommy)

Selon Stéphane, c’est la société qui doit s’adapter à leur réalité et non l’inverse et cette conviction l’encourage à parler ouvertement de sa famille :

Quand il y a des commentaires, on y répond, on va prendre les devants, on dit qu’on est un couple gai et qu’on a adopté un enfant. On est bien avec ce que nous sommes et eux doivent s’adapter à nous et non pas nous à s’adapter à eux. (Stéphane)

Pour Malcom, Benoît et Tommy, la visibilité serait un facteur important d’acceptation. En effet, les gens seraient plus réceptifs lorsqu’ils voient la famille interagir que lorsqu’elle leur est théoriquement expliquée. Ainsi, pour eux, le fait de s’exposer avec sa famille permettrait aux gens d’être plus sensibles à cette réalité et plus empathiques :

Si je vous dis que je suis gai et que j’ai un enfant, c’est seulement une image, ça ne veut absolument rien dire et c’est facile d’être contre. Si vous me voyez ici avec mon mari et mon enfant, vous voyez qu’on est une famille normale, tout à coup, c’est accepté. Alors c’est le fait de se montrer aux gens qui va faire que ça va devenir normal. Juste en parler avec une théorie, ça ouvre la porte à toutes les réactions théoriques. En personne, on est des gens normaux et on est capable d’avoir une réaction intelligente. (Malcom)

C’est d’ailleurs dans cette optique que ces répondants ont décidé d’adopter une stratégie de reconnaissance visible en exposant leurs familles sur la place publique sans indisposition :

Faut faire en sorte que ce ça soit là, visible, présent, « in your face ». (Malcom) Il faut que je sois dans la face de tout le monde. Comme les enfants ne sont pas capables de le faire eux-mêmes, je vais le faire pour eux, même si des fois, ça me place dans une position importune. (Tommy)

En outre, six répondants font mention de l’éducation des gens, de la population et, à plus grande échelle, de la société comme stratégie pour faciliter leur intégration et améliorer le regard que les gens portent sur la famille homoparentale :

On fait beaucoup d’éducation et d’explications. On fait de la télé, de la radio, des entrevues. On trouve ça important d’expliquer notre famille, l’amour de notre famille, comment ça se passe. À travers tout ça, on a développé différentes façons d’expliquer ça, on s’est armés de statistiques, parce que c’est ce que les gens nous demandaient, comme quoi nos enfants vivent aussi bien que les enfants d’ailleurs (Tommy)

Cette forme d’éducation permettrait également de transmettre aux gens la terminologie privilégiée pour parler de leur famille. En effet, pour les pères gais, les termes utilisés pour décrire la nature des liens parents-enfant a une importance capitale, car chacun des mots est porteur de sens pour eux. Ainsi, certains termes ne sont pas adaptés à leur condition et les pères considèrent important de faire la distinction auprès de la population afin d’assurer une meilleure compréhension du phénomène :

C’est important de corriger les gens tout de suite. Pas besoin d’être bête avec eux, mais leur donner la bonne terminologie. On entend parfois les gens dire « les vrais parents de... » Non! Les vrais parents ce sont nous, ils veulent parler des parents biologiques. Ils ne font pas la distinction entre parentalité et parenté. Un parent c’est quelqu’un qui s’occupe de son enfant, ce n’est pas un géniteur. On donne aussi aux enfants la bonne terminologie, ils ont un père biologique, mais leur papa c’est moi. Ils ont une mère biologique, mais ils n’ont pas de mère. Mère et père sont des termes plus détachés que maman et papa qui veut dire prendre soin. (Malcom)

Pour Benoît, la meilleure stratégie à adopter est également de parler aux gens de façon individuelle pour ne pas provoquer de réactions négatives de masse et afin de permettre des échanges plus riches :

C’est toujours d’un à un que nous parlons de notre situation familiale, jamais devant un groupe, pour briser une glace avec ça, mais surtout pour gérer la réaction de l’autre. […] Ça toujours été ma stratégie, d’un à un, jamais en groupe, et ça toujours donné de bons résultats. (Benoît)

Finalement, pour cinq répondants, la meilleure façon de gérer les résistances au sein de la population est de se montrer très transparents en exposant la réalité telle qu’elle est, sans retenue, sans honte :

On est transparents. On ne se cache pas, on n’a pas honte, ça limite les réactions négatives. On n’a pas la crainte de parler de notre famille. On le dit clairement et ça donne lieu à de beaux échanges. (Peter)

Même chose pour Malcom qui utilise cette stratégie dans le cadre de son travail afin d’éviter d’éventuels conflits et rompre les contacts advenant le cas que les gens ne respectent pas ce choix :

Je prends une approche assez « in your face », je dis bonjour aux gens, je me présente, je parle de notre famille. Quand j’ai de nouveaux clients, je dis qui je suis, que je suis gai, marié et que j’ai 2 enfants adoptés. J’aime mieux ne pas avoir à faire face avec les contraintes quand les gens le découvrent. Je ne veux pas travailler avec des homophobes alors je leur présente dès le départ. C’est notre réalité, les hétéros ne sont pas gênés de dire qu’ils sont mariés et qu’ils ont des enfants, on fait la même chose. (Malcom)

Dans le même ordre d’idée, Benoît croit que cette transparence permet de montrer à leurs enfants que leur famille est légitime et qu’ils n’ont pas à en avoir honte :

Si vous êtes gênés d’avoir des enfants dans votre milieu de vie, si vous n’êtes pas bien ensemble en tant que pères gais, vous allez transmettre ce malaise à votre enfant. On doit leur montrer qu’on n’est pas gênés d’en parler ouvertement. (Benoît)

Or, certaines personnes demeurent résistantes et manifestent clairement leur désaccord laissant parfois les pères gais dans une position conflictuelle. Pour Laurent et Tommy, il est bien important de n’y accorder que très peu d’importance et de continuer de croire en leur famille :

Tant pis pour les gens qui ne nous acceptent pas, nous on est dans votre quartier et dans votre école, c’est comme ça. (Tommy)

On ne cherche pas l’approbation, on a déjà tout ce qu’on a besoin. Quand on parle de notre famille, c’est comme tu es là ou tu n’es pas là, on s’en fout. C’est notre famille et on en est fier. (Laurent)