• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 – PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.3 D IFFICULTÉS LIÉES À LA REPRÉSENTATION DE LA FAMILLE

4.3.2 Institutions

Si les pères ressentent différentes résistances au sein des institutions comme les centres jeunesse durant les démarches pour se voir attribuer un enfant, il n’en est pas moins lorsque l’enfant est accueilli et que la famille est inévitablement liée à des établissements reliés à la famille. En effet, six répondants disent percevoir couramment des résistances lors des contacts avec les différentes institutions sociales (écoles, organismes de santé, etc.) liées à la famille. Ainsi, les pères disent éprouver des difficultés à percevoir de l’ouverture et à entretenir de bons contacts avec ces institutions :

Ce qu’on s’est rendu compte, c’est qu’il a fallu et encore aujourd’hui, faire l’éducation des gens. (Jake)

Faut toujours pousser, à chaque fois où on va, dans un nouvel endroit, il faut toujours réexpliquer notre cellule familiale, faire l’éducation. (Malcom)

Je crois que c’est un phénomène nouveau, la société elle est prête, mais les institutions ne sont pas prêtes. À chaque fois, il faut réexpliquer l’histoire au

complet, il faut justifier qu’on soit deux pères. On ne s’habitue pas et on sait qu’on n’a pas fini. (Laurent)

D’abord, les pères déplorent encore à cette étape la prédominance des formulaires hétérosexistes au sein des institutions. Si ces formulaires étaient autrefois une source de mécontentement par manque de conformité en accentuant le sentiment d’anormalité, maintenant ils représentent aussi une gestion de problème perpétuelle avec le personnel qui doit effectuer la tâche :

Le gros problème, c’est sans doute les formulaires qui ne sont pas adaptés du tout. C’est toujours une histoire, à chaque fois. (Jake)

Juste pour remplir un formulaire, c’est tellement compliqué. Je l’amène chez le médecin, on vient pour l’enregistrer : « le nom du père », « le nom de la mère », bien il n’y en a pas, nous sommes deux pères, « ben là, où est-ce que je mets ça? » « Je vais juste mettre un père ». Bien non, il n’y a pas qu’un seul père, nous sommes deux pères. « Alors on va le mettre dans le nom de la mère ». C’est toujours compliqué, ça devient vraiment dérangeant. (Laurent)

On a un historique d’erreurs incroyable dans les papiers du gouvernement. On a beau le dire, mais mes enfants ont souvent un père et une mère sur les papiers. C’est des choses comme ça, des formulaires qui ne sont toujours pas harmonisés. (Malcom)

Le milieu de la santé est d’ailleurs le pivot de cette insatisfaction chez ces pères. Qui plus est, quatre des pères rencontrés considèrent que le personnel dans le milieu de santé adopte une attitude insensible et froide à leur égard :

À l’hôpital, j’ai été un peu plus déçu. Ils n’ont pas une attitude de service à la clientèle. Ils m’ont toujours fait des difficultés du fait qu’on est différent. À chaque fois, c’est l’enfer, on n’entre pas dans leurs petites cases et ils ne font pas l’effort. Il y a très peu de gens qui sont au courant de cette réalité-là dans le milieu de la santé. (Jake)

Benoît raconte également son mécontentement par rapport à l’approche du personnel dans le milieu de la santé qui fait en sorte d’alimenter un sentiment d’exclusion et créer bien des insatisfactions chez lui :

Là où il y a eu le plus d’ajustements, c’est dans le milieu de la santé, c’est là qu’il y avait le plus de scepticisme, le milieu de la santé est beaucoup plus

procédurier, doctrinaire, aseptisé, une bureaucratie froide. Alors quand tu vas faire une carte d’assurance maladie ou peu importe, il y a deux pères et ça marche pas dans leurs petites cases, ils ne cherchent pas de solution. Ils ne sont pas « anti », mais pas accommodants. Il faut toujours les aider à nous accommoder, ce qui fait qu’on se sent moins bien reçu dans le milieu de santé. Le système de santé me décourage un peu et on a été confrontés beaucoup trop souvent à cette bureaucratie froide en tant que pères gais. Ils me font soupirer et parfois, ça m’exaspère, mais faut vivre avec. Le personnel n’est pas là pour accueillir une personne différente, ils sont là pour remplir le maudit formulaire et ces formulaires ne sont malheureusement pas adaptés. (Benoît)

Certains peuvent également vivre des expériences explicites de rejet par le personnel de la santé. Ainsi, Tommy raconte une expérience où il a perçu que le personnel n’était pas impartial et que le désaccord venait teinter les interventions en créant un climat d’inconfort.

On est allé dans un hôpital avec notre enfant qui n’était pas encore adopté, mais on venait d’avoir la décision qu’ils nous transféraient les droits parentaux. Je n’avais aucun papier encore, on venait seulement consulter pour quelque chose et le médecin était bête. Il commence à nous dire « vous savez, on ne prend aucune décision médicale par rapport à cet enfant-là ». J’ai dit : « Docteur, votre travail c’est d’évaluer notre enfant et son état de santé, pour la question des droits parentaux ou des décisions médicales à prendre, ce n’est pas de votre ressort, ce sera avec votre administration ». Après un accueil comme ça, on ne veut jamais y retourner. Je n’ai pas trouvé ça politiquement correct. Même s’il n’est pas d’accord avec le fait qu’on soit deux pères, il doit faire son travail et ce genre de commentaires ne sont pas nécessaires. (Tommy)

Malcom a aussi eu droit à une réaction négative dans le même milieu. Une réaction qui selon lui, ne devrait pas avoir lieu quand une personne se doit d’être empathique dans l’exercice de ses fonctions :

Une fois, j’ai eu droit à un commentaire d’une dame que son travail était seulement de remplir le formulaire et de me diriger. Elle a dit : « on verra dans le futur si des enfants comme ça, ç’a été un bon choix de la DPJ ». J’étais fâché, j’ai dit : « Madame on n’a pas besoin d’attendre dans le futur, il y a déjà des études qui ont été faites qui disent que nos enfants se portent très bien merci ». (Malcom)

Même si six familles parlent d’une ouverture plus empathique de la part des services de garde responsables de leurs enfants, trois d’entre elles ont vécu quelques résistances et ont parfois dû composer avec des éducateurs ou des éducatrices moins confortables avec leur réalité :

Quand est venu le temps de rencontrer l’éducatrice à la garderie, la première chose qu’elle nous a dite c’est : « c’est un cas spécial ». J’avais beaucoup de peine qu’elle nous décrive comme un cas spécial. Je veux dire on est une famille normale, c’est juste qu’il y a deux papas. (Laurent)

Pour ces pères, il est primordial que l’éducatrice soit sensible à leur réalité afin d’être en mesure de défendre, de plaider, de recadrer ou de soutenir si jamais l’occasion se présentait :

Les autres enfants peuvent se mettre sur son cas. L’éducatrice doit savoir comment intervenir et ce n’est pas toujours le cas. (Stéphane)

Ainsi, selon ces pères, si les éducateurs n’ajustent pas leurs interventions aux réalités de la diversité familiale actuelle, ça peut laisser place à certaines polémiques qui peuvent malheureusement inclure l’enfant. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit pour Malcom lorsque son enfant a dû s’approprier une réalité familiale loin de la sienne pour participer à une activité organisée dans le milieu de garde :

C’était sa graduation à la garderie. Les enfants étaient sur la scène et récitaient une comptine. J’étais enragé, je suis allé voir la directrice de la garderie et j’ai dit : « je ne peux pas croire qu’après qu’on ait passé toutes ces années ici, qu’à la graduation, la comptine que mon enfant doit dire c’est : je souhaite à tous les enfants d’avoir un papa et une maman qui les aime ». Il a fallu qu’elle l’apprenne cette comptine-là. Ils l’ont pratiqué, ça n’a pas de sens, c’est de l’inconscience complète et totale de la part des éducatrices, de la directrice, je ne peux pas croire que personne n’y a pensé. Je n’en revenais pas. (Malcom)

Les pères tiennent le même discours pour le personnel lié à l’éducation des enfants en milieu scolaire. En effet, trois répondants parlent de l’importance de conscientiser les professeurs à cette réalité dans les écoles :

Il y a un travail à faire au niveau des enseignants. Si tu n’es pas équipé, si tu n’es pas capable de parler de diversité, tu n’abordes pas le sujet. (Malcom)

[…] Il y a des façons de faire et il y a encore du travail à faire au niveau des préjugés des gens. Je pense qu’il faut encore défaire certaines barrières. Les professeurs ont encore besoin d’explications et d’éducation. On doit refaire la démarche à chaque année auprès d’eux. (Tommy)

Si ces pères ont cette conviction qu’il y a encore de l’éducation à faire en milieu scolaire auprès du personnel, c’est qu’ils ont vécu des expériences négatives qui laissent un doute permanent aux pères sur la capacité de ces professeurs à prendre en charge une situation potentiellement délicate pour l’enfant. Malcom et Tommy racontent d’ailleurs cette expérience qui a un jour rendu leurs enfants et eux très inconfortables :

C’était une journée de programme parent-enfant où les enfants invitent un parent à passer l’après-midi à l’école. Dans la première minute, le professeur a dû répéter trente fois, « demande à papa ou maman », « invite papa ou maman ». J’étais inconfortable pour mon enfant, mais ce n’est pas moi qui suis intervenu, c’est une mère dans la classe qui sentait aussi le malaise qui a dit : « on va en revenir de papa et maman, fais le tour de la salle, il y a un grand frère, une grand-mère, un grand-père, le cousin et deux pères gais alors trouve d’autres mots svp ». C’est vrai, elle aurait pu dire ton invité, ton adulte significatif. C’est un gros travail de sensibilisation. (Malcom)

On a vécu une expérience en début d’année avec la professeure de première année. C’était un exercice d’écriture où l’enfant devait marquer, mon papa s’appelle… et ma maman s’appelle… Il ne l’a pas rempli. Je me suis assis avec lui pour faire l’exercice le soir et j’ai appelé son professeur le lendemain pour lui dire que cet exercice n’était pas adapté et plutôt difficile pour mon enfant. (Tommy)

Pour Tommy, il résulte de cette expérience une crainte constante qui s’explique par le fait que leurs enfants ne sont pas encore en mesure d’assurer leur propre défense et que l’aptitude des professeurs à éviter certaines situations n’est pas toujours en vigueur.

On a toujours une crainte. On ne peut pas laisser aller les choses parce que notre contexte, tout le monde ne le connaît pas et on ne veut pas placer nos enfants dans une position inconfortable. Quand ils seront plus grands et capables de faire face à ça oui, mais pas maintenant. Je dirais qu’on anticipait l’entrée scolaire avant, maintenant on commence à le voir et c’est inquiétant. (Tommy)

Documents relatifs