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CHAPITRE 4 – PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.3 D IFFICULTÉS LIÉES À LA REPRÉSENTATION DE LA FAMILLE

4.3.1 Population/Société

Bien que la famille et l’entourage proche des pères soient maintenant familiarisés avec la composition de leurs familles, les pères doivent transiger quotidiennement avec le regard que porte la société sur eux. Ainsi, lorsque la famille s’expose à ces regards, elle peut être confrontée à différentes réactions d’étonnement, de questionnement ou même de mépris. Cinq répondants ont parlé des résistances perçues au sein de la population générale :

Je pense que les gens se posent des questions, quand on est dans les magasins ou dans les endroits publics, on le voit. Quand ils entendent « papa », « papa » ici, « papa » là, les gens nous regardent et se questionnent. Il y en a qui font « ha c’est cute » et d’autres qui ne comprennent pas et on sent les regards. Il y a un regard de la société, les gens se questionnent tout le temps, ils regardent de loin et on peut ressentir la résistance. (Laurent)

Pour Stéphane, l’arrivée des enfants au sein de son couple a modifié le regard que les autres portaient sur eux. Selon lui, les gens que son conjoint et lui rencontrent lorsqu’ils sont avec leurs enfants comprennent les liens qui unissent les membres de la famille :

On s’est rendu compte nous que c’est différent parce que là, le regard des autres se posait sur nous. On prenait le métro, il y avait un enfant dans la poussette et l’autre dans la poche ventrale. C’était évident que je n’étais pas l’ami du gars qui m’accompagnait, ou son frère avec son bébé. On avait chacun notre bébé, on était une famille, il y avait deux enfants. On sentait que partout où on passait, les gens faisaient « tic-tac, tic-tac », ils font des liens. (Stéphane)

Bien que certains se limitent aux regards, d’autres posent explicitement des questions aux pères qui doivent arriver à répondre tout en évitant de s’insérer dans une position inconfortable où la résistance serait sans équivoque. Tommy explique qu’après plusieurs tentatives et plusieurs questionnements sur la limite de ce que l’on doit dire sur sa famille, il en est arrivé à une réponse convenable pour lui :

Je me fais souvent poser des questions, dans l’autobus, dans le métro, c’est l’heure de pointe le soir, c’est bondé et les gens me voient avec un bébé, ils me posent des questions sur lui, comment je réponds? Parce que je ne veux pas mentir, mais je ne veux pas non plus provoquer les gens. (Tommy)

Même réalité pour Laurent qui dit parfois être confronté à des questions venant d’inconnus. Les questions se rapportent surtout à l’enfant, mais il ne fait aucun doute pour lui que les gens cherchent à savoir si celui-ci est élevé par un père gai :

Des fois, on a des regards, mais des fois les gens posent des questions du genre : « où est-ce qu’elle est la mère? » Il y a des questionnements et oui, les gens nous posent directement des questions. On voit dans leurs yeux qu’ils ont des questions et certains peuvent dénigrer notre démarche. (Laurent)

Pour Peter, le fait de répondre nommément aux questions posées par les étrangers suscite chez eux un sentiment de malaise instantané :

Nous ça nous arrive souvent, les gens questionnent et on répond. Ç’a toujours été un malaise, mais les gens s’excusent rapidement. (Peter)

De plus, quatre répondants disent avoir été confrontés à des situations où ils ont vécu de la résistance. En effet, ces pères ont dû composer avec des réactions négatives de certains individus en désaccord :

J’ai déjà vécu une réaction très négative. Je me baladais avec un ami au Jardin botanique et le bébé. Une femme s’est plantée devant nous, elle a regardé le bébé, moi, mon ami et elle s’est retourné en disant « oh mon dieu c’est arrivé » en récitant le chapelet. […]Je me suis senti vexé. (Jake)

Il arrive parfois que l’enfant lui-même, en l’absence de ses pères, soit aussi confronté à certaines questions de la population. Stéphane raconte d’ailleurs un épisode où il a dû intervenir en envoyant un message clair au parent d’un enfant insistant :

À la garderie, mon enfant se faisait beaucoup questionner : « Elle est où ta maman? », « Pourquoi tu n’as pas de maman? ». Une fois, le parent était là, à côté de son enfant et ne disait pas un mot. On s’est tanné et on a réagi. On ne veut pas imposer l’éducation à des parents qui ne veulent pas parler de ça à leurs enfants. On se dit ça appartient à chacun de dire ce qu’il veut, mais un moment donné on s’est tanné et on a dit : « Tu demanderas à ton papa qu’il te l’explique ce soir ». (Stéphane)

Tommy explique la nécessité de devoir offrir des explications et des données statistiques pour aider à contrer la résistance. Ayant lui aussi eu à faire face à de l’opposition, il croit

que la clarification, l’illustration et la précision arrivent à amortir le désaccord et l’écart entre l’opinion des gens et la leur.

Nous avons passé trois jours avec un monsieur catholique d’un certain âge et ç’a été très difficile. Il nous confrontait, nous sommes arrivés à lui faire comprendre que notre enfant était très bien avec nous, mais il revenait toujours sur les besoins de l’enfant qui a besoin d’un papa et d’une maman. C’était énormément d’explications basées sur des études, mais aussi personnelles. Quand on apporte des explications aux gens sur notre réalité, en général, ils comprennent assez bien. (Tommy)

L’opinion des répondants est assez partagée en ce qui concerne les représentations de la famille en région. En effet, trois répondants demeurent ou ont une résidence secondaire dans un milieu rural et se retrouvent assez régulièrement en ces lieux. Ainsi, pour deux répondants, les gens en région sont plus réceptifs et plus ouverts à leurs familles :

Nous, on habite en région et les gens sont très ouverts. On ne sent pas d’inconfort majeur et on ne se sent pas stigmatisés sur la base de notre différence. (Peter)

On a un chalet en région et malgré ce qu’on peut penser, on a quasiment plus d’aisance là-bas qu’à Montréal. Partout où on va, les gens nous connaissent et nous respectent. C’est plus petit, mais l’image qu’on se fait de l’homosexualité en région, c’est faux dans notre cas. (Stéphane)

Par contre, Jake vit une toute autre réalité. Effectivement, il croit que le regard de la société témoigne de plus de mépris en région qu’en ville :

Globalement, ça se passe très bien, la société est rendue là. Par contre, on a plus de mal en région. On nous regarde beaucoup plus là-bas, premièrement parce que nous sommes deux hommes avec un bébé et deuxièmement parce qu’il est d’une autre origine ethnique que nous. […] Des fois, quand on se promène au chalet, le regard n’est pas le même, on a peut-être des regards un peu plus directs. (Jake)

En définitive, bien que cinq répondants disent percevoir des résistances de la part de la société, ceux-ci s’accordent tous pour dire que les réactions positives sont plus souvent manifestées que les réactions négatives. Ainsi, les pères reçoivent plus souvent des

commentaires de gens en accord avec leurs choix, ce qui leur permettrait de résister aux quelques remarques désobligeantes des gens en désaccord :

Les commentaires positifs ressortent plus que les commentaires négatifs. Les gens ont moins tendance à exprimer leurs commentaires négatifs, ils vont plus en parler derrière nous. Les commentaires positifs eux, nous aident beaucoup à supporter les autres. (Laurent)

De plus, quatre répondants mentionnent l’évolution positive en lien avec le regard que la société porte sur leurs familles. Pour eux, les représentations de leurs familles sont davantage bien perçues aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 20 ans et bien qu’ils constatent encore des résistances, ils demeurent positifs sur l’évolution constante de l’opinion des gens :

Je pense que de plus en plus, ça va être moins étrange puisque le phénomène est de plus en plus exposé. La visibilité est un facteur d’acceptation. On voit de plus en plus de couples homosexuels, de plus en plus la société le voit partout et de plus en plus la norme de la famille est redéfinie. (Laurent)

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