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CHAPITRE 4 – PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.3 D IFFICULTÉS LIÉES À LA REPRÉSENTATION DE LA FAMILLE

4.3.3 L’enfant

Le milieu de garde et le milieu scolaire sont générateurs de certaines craintes reliées à l’enfant pour les pères gais. Or, cette crainte de voir leurs enfants vivre des difficultés est plus étendue qu’au seul milieu d’éducation. En effet, six répondants ont exprimé leurs craintes reliées à leurs enfants, leurs inquiétudes par rapport à leur développement leur volonté de les voir évoluer sainement dans leur contexte particulier:

Mon enfant est conscient que sa famille n’est pas traditionnelle, c’est un apprentissage constant et on doit l’adapter à où il est rendu. (Stéphane)

D’emblée, les pères s’accordent pour dire que dès leur jeune âge les enfants étaient bien conscients de la réalité dans laquelle ils vivaient :

Il avait 4 ans quand c'est arrivé. Il m’a dit : « papa, moi quand je serai grand je ne serai pas comme vous […] je ne serai pas avec un autre papa. » (Benoît)

Toutefois, les discussions avec l’enfant seraient de plus en plus fréquentes et de plus en plus profondes lorsque l’enfant grandit et gagne en maturité :

On en parle beaucoup plus ouvertement aujourd’hui, maintenant qu’ils sont grands et qu’ils comprennent plus les relations qu’avant quand ils étaient petits. (Benoît)

Pour Laurent, il est important de soutenir son enfant en lui apportant les bonnes réponses et en lui permettant de se construire un discours qui lui permettra de faire face à sa situation sans trop de confusion :

Faut être prêt à se faire questionner. On veut que notre enfant soit bien avec lui- même et si on le supporte, il sera capable de faire face à tout ça. Comment on va lui amener nos réponses? Comment gérer ça à la maison? Ce sont des questions qu’on doit se poser en tant que pères gais. (Laurent)

Bien qu’ils se disent en mesure de fournir les outils à leurs enfants pour se défendre contre de potentiels propos hostiles, les pères éprouvent néanmoins des craintes que ceux-ci se voient confrontés à de l’intimidation, de la stigmatisation, de l’ostracisme ou du rejet :

Pour l’avenir, oui ça nous inquiète un peu, je pense au secondaire entre autres, j’ai peur qu’il soit marginalisé par rapport à cette réalité-là. C’est sûr qu’on a un peu d’inquiétudes par rapport à ça. Ça prend une facilité de répondre, de communiquer, de prendre du recul qu’on va essayer de lui apprendre. (Stéphane)

Je lui ai dit que ça allait arriver, qu’il allait se faire dire un moment donné que ses pères sont des « tapettes ». Je lui ai dit qu’il allait falloir qu’il leur dise que ses pères ne sont pas des tapettes, qu’ils sont homosexuels. (Malcom)

Malcom raconte d’ailleurs sa crainte que son enfant soit rejeté. Sa stratégie a toujours été alors d’entretenir de bonnes relations avec les parents des amis de son enfant, dans le but de faciliter les rapports que l’enfant aurait avec eux. Or, il a tout de même eu cette crainte de devoir expliquer à son enfant les conséquences de sa réalité familiale :

La première fois qu’on a fait une fête d’amis et qu’on a invité ses amis, on se demandait combien d’enfants viendraient. Les gens sont très gentils à la clôture, mais quand tu les invites chez toi, on n’en savait rien. On se demandait comment on allait lui expliquer si personne ne venait. (Malcom)

En outre, selon les répondants, les craintes par rapport à l’enfant s’ajusteraient en fonction de l’âge de celui-ci.

Je crois que les défis évoluent en fonction de l’âge. Moi je crois qu’ils sont pires avec l’entrée à l’école. On doit savoir comment en parler avec l’enfant, comment gérer l’intimidation. Il faut intervenir, démystifier, il y a des barrières, pour nous comme parents c’est une période inquiétante. (Peter)

Pour Benoît, la nature des inquiétudes était bien différente lorsque leurs enfants étaient âgées de deux ou quatre ans que lorsqu’ils sont âgés de quatorze ou seize ans :

Ça diffère beaucoup en fonction de l’âge. En troisième année, on fait le marché et à la caisse, le caissier lui donne un ballon et lui dit je vais t’en donner un deuxième pour ta maman, et il dit je n’ai pas de maman moi j’ai deux papas. C’était naturel de même. Plus jeune, c’était comme ça. Par contre, en cinquième année du primaire, il réalise un peu plus les relations amoureuses, ils sont plus confrontés à des discussions prenantes et ça semble moins naturel de parler de leurs parents. La différence est là. (Benoît)

Ainsi, ses enfants se retrouvent affligés de quelques gênes occasionnelles qu’il qualifie de gênes sociales. Cette gêne sociale s’accentuerait avec l’âge, laissant une certaine

inquiétude chez leurs pères concernant la capacité de leur enfant à pouvoir gérer ce combat intérieur :

Il y a toujours eu cette gêne de deux hommes, comment ils vont le gérer, et puis on a appris à vivre avec ça, ils ont des gênes occasionnelles, ils ont leur combat intérieur et social à faire aussi, on l’a vu plus tard. Pour nous, ça ne nous a pas causé de gros problème avant la cinquième année de l’élémentaire, dans les deux cas. Avant ça, ils n’ont pas vécu de grosse singularité. On était très impliqués dans le CPE et les premières années scolaires. Oui, les enfants disaient, toi tu as deux papas, mais c’était intégré dans les mœurs, les gens nous connaissaient. Même à l’école aussi on était très présents. À la cinquième année, je ne sais pas si c’est la puberté, mais dans les deux cas, c’est la gêne sociale qui s’est installée. Les nouveaux amis, c’était plus difficile.

Cette gêne s’exprimerait par le biais de la difficulté à présenter d’emblée la situation familiale dans laquelle se retrouvent les enfants. Voici un exemple de l’expression de cette gêne formulé par Benoît :

Quand mon fils a commencé le hockey, je vais le reconduire la première et la deuxième fois. Quand arrive la troisième fois, mon conjoint souhaite y aller, mais mon fils manifeste clairement son refus en invoquant des arguments louches. Un jour, on en parle avec lui et c’est clair, il ne veut pas avoir à expliquer tout de suite sa famille. Il est arrivé la même chose avec notre deuxième enfant qui était dans un sport. Encore là, nouvelle cohorte au début, c’est mon conjoint qui l’amène la première fois, je sais que je ne pourrai plus y aller. C’est comme ça au début, mais quand les amitiés sont établies, ce n’est plus grave. (Benoît)

Or, Benoît explique cette stratégie comme étant un mécanisme de défense avant la création des liens d’amitié. De plus, cette crainte se dissiperait de plus en plus avec le temps, d’autant plus que la diversité familiale est plus tangible dans la société et que leur famille est de moins en moins hors-norme :

Ce que je constate, c’est que pour les enfants, c’est gênant pareil. Tous leurs amis ne se sont pas à l’aise avec ça. J’ai l’impression qu’eux aussi usent de stratégies comme nous et qu’un moment donné ça tombe comme barrière. Finalement, on finit toujours par les voir ici leurs amis. Nous ça nous a inquiétés un peu le fait qu’ils soient élevés dans une famille différente. Maintenant, il y a plusieurs types de famille et la diversité des familles d’aujourd’hui fait qu’on est un modèle parmi d’autres. Le doute a fini par

s’estomper avec le temps. Là honnêtement, ils sont plus matures et je sens la vie adulte et les valeurs qui s’affirment. Je n’ai plus du tout de doute ou de crainte sur la désadaptation sociale. J’avais des craintes raisonnables, on cultivait un certain doute qui nous permettait d’être vigilant et de s’intégrer dans le milieu de nos enfants. On voulait faire tomber des barrières pour l’enfant, ça fait partie des stratégies pour permettre à l’enfant d’évoluer là-dedans jusqu’à l’âge adulte. (Benoît)

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