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Des situations de stress hydraulique comme menace sur le réseau

Section 2. Les multiples dimensions d’un accès à l’eau

A. Des situations de stress hydraulique comme menace sur le réseau

Avant de parler de l’accès direct des personnes à l’eau, nous nous concentrons dans cette partie sur l’appréhension des menaces qui planent autour du grand réseau nécessaire à la garantie de l’accès à l’eau. L’eau étant une ressource finie, elle reste avant tout un élément naturel sujet aux multiples transformations qu’induit le changement climatique. En ce sens, même si les aléas climatiques affectent les régions du monde différemment, une constante semble cependant frapper l’ensemble des territoires par l’augmentation progressive des

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températures. Dans cette dimension de l’accès à l’eau dans le contexte climatique, il faut garder à l’esprit que l’air étant plus chaud, l’évaporation de l’eau s’accélère et les stocks dans les nappes phréatiques s’amoindrissent. De plus, l’eau une fois évaporée représente en soi un gaz à effet de serre, contribuant au réchauffement.

Des épisodes de chaleurs intensifiées font désormais l’objet de préoccupations majeures, allant en se renforçant, en effet un certain recul est pris depuis la canicule de 2003 par exemple. Les conséquences de ces événements ne sont absolument pas imputables à la seule question de l’eau et de son accès, mais amènent tout de même à une prise de conscience que la société doit entretenir vis-à-vis de son rapport à des ressources aussi précieuses que l’eau, et la façon de la gérer. Cette vague de chaleur, ayant entrainé la mort de 70 00033 personnes en Europe, et de 15 00034 personnes en France selon l’INSERM, a appelé en une vigilance plus affirmée par les autorités publiques sur les impacts que ces températures peuvent avoir sur la population, les terres agricoles mais aussi les services publics. On assiste alors à la mise en place par les Agences Régionales de Santé de Plan Canicule35 pendant les périodes estivales, chapotée par l’actuel Ministère des Solidarités et de la Santé. L’instance ministérielle décrit sur son site internet les précautions à prendre en vue d’éviter les risques caniculaires : « Elle [la canicule] peut entraîner des accidents graves et mêmes mortels, comme la déshydratation ou le coup de chaleur ; La pollution de l’air et l’humidité aggravent les effets de la chaleur »36.

Se pose alors la question des capacités à répondre de ses nouvelles contraintes qui affectent donc d’une part la population mais également la ressource même, dont les usages sont nombreux. Il est à rappeler que ces plans de vigilances pour la canicule concernent aussi l’usage agricole de l’eau, industriel ou domestique, qui bien qu’essentiel, représente la part principale de l’utilisation faite de l’eau. En effet, sur les 5 milliards de mètres cube captés chaque année en France, 60 % sont destinés à l’irrigation agricole37. Même si la gestion de l’eau à usage agricole relève d’autres études et se trouve peu liée au droit à l’eau, il en va tout de même de la gestion globale de la ressource qui permet notamment de souligner les

33 Le Monde, Afp, Reuters, La canicule de l’été 2003 a fait plus de 70 000 morts en Europe, selon l’Inserm, 23 mars 2007.

34 Ibid.

35 Site du Gouvernement, Ministère des Solidarités et de la Santé. Plan Canicule, https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-climatiques/canicule

36 Ibid.

37Chiffres CNRS, L’usage de l’eau en France, Ressource en ligne, http://sagascience.cnrs.fr/doseau/decouv/usages/menuUsages.html

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phénomènes de stress hydrique et de manque d’eau dans le contexte du changement climatique.

Ces phénomènes de sécheresse sont alors la cause de mesures de restriction de l’utilisation de l’eau dans certains départements. Ainsi en cette année 2019 par exemple, ce sont 47 départements qui ont dû faire face à des manques en eau38 au mois de Juillet selon le quotidien « Ouest France », qui précise le nombre de 95 arrêtés préfectoraux en vue de limiter les usages de l’eau. Ces mêmes préconisations se retrouvent par exemple sur le site web de la préfecture des Deux-Sèvres39 qui interdit par le biais d’une mesure préfectorale tout prélèvement d’eau à destination du lavage de véhicules, voiries, le remplissage des piscines et autres loisirs, l’arrosage des jardins à certaines heures ou encore un sujet sur lequel nous reviendrons plus particulièrement, l’alimentation des fontaines publiques. L’usage de l’eau dans l’espace public s’en trouve modifié, chose qui est d’une importance capitale lorsqu’il s’agira d’étudier l’effectivité nécessaire pour un droit à l’eau.

De plus l’illustration de menaces présentées par les sécheresses nous est donnée par la ville de Niort40 qui, pendant l’année 2017, a connue de fortes restrictions d’eau. Nous y apprenons même que le département est déjà « très dépendant » des eaux pluviales pour garantir l’approvisionnement de l’eau potable et se trouve parfois dans l’obligation de racheter de l’eau à d’autres collectivités. Un élu communautaire interviewé41 affirme même que s’adaptant à de nouveaux comportements les usagers auraient réduit leur consommation de 30 à 40%.

Il est donc pertinent de relever l’importance d’une gestion durable du service public d’intérêt général face au changement climatique qui soulève certaines interrogations depuis les Accords de Paris sur le Climat en 2015. Des suites de cet évènement majeur dans la prise de résolutions internationales pour la lutte contre le réchauffement climatique, le Sénat a initié

38 Ouest-France, D. Ademas, Sécheresse : 47 départements touchés par des restrictions d’eau, Juillet

2019.https://www.ouest-france.fr/meteo/secheresse/secheresse-47-departements-touches-par-des-restrictions-d-eau-6439024

39 Site du département des Deux—Sèvres, http://www.deux-sevres.gouv.fr/layout/set/print/Politiques- publiques/Environnement-eau-risques-naturels-et-technologiques/Eau-peche/Gestion-de-la-ressource-en- eau/Mesures-relatives-a-la-gestion-d-une-secheresse-ou-d-un-risque-de-penurie-d-eau/Mesures-de-restriction-d-irrigation-et-limitation-des-usages-de-l-eau-domestiques-et-secondaires

40 Site France 3 Nouvelle Aquitaine, Reportage : Deux Sèvres : le casse-tête de l’alimentation en eau potable fac à la sécheresse. Janvier 2017. https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/deux-sevres/niort/deux-sevres-casse-tete-alimentation-eau-potable-face-secheresse-1168349.html.

41 Ibid, Retranscription interview accessible depuis site de France 3.

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un travail de réflexion42 autour du thème « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée ». Les propositions par domaines d’activités se succédant au fil de ce rapport, nous relevons que les seules portions concédées à l’accès à l’eau dans le rapport sont assez éparses et pour le moins traitent de l’eau par différents aspects, reflet d’une multitude de perceptions de la sauvegarde de la ressource. Ainsi, l’on peut retrouver déjà dans la note de synthèse du rapport des données qui concernent les réductions drastiques du débit en périodes estivales, jusqu’à 60%43 à prévoir. Ou encore le rappel de la détérioration inévitable des milieux aquatiques et ainsi « les contraintes accrues sur l’approvisionnement en eau potable »44. Au sein de ce rapport, il est fait mention de l’usage de l’eau et nous notons une approche majoritairement orientée vers le tourisme et l’agriculture qui seront confrontés à des réductions du débit d’eau douce, un seul petit paragraphe rend compte de la situation à prévoir concernant l’eau potable pour la consommation humaine. Celui-ci prévoit une « forte augmentation du coût de production de l’eau potable »45 due à plus de moyens nécessaires à la préservation de sa qualité et quantité. De la même manière, les besoins d’épurations pour l’assainissement suivront cette même courbe en raison de la « baisse de dilution des rejets »46, autre effet globalement connues du changement climatique sur les températures de l’eau.

Du point de vue des services publics, eux aussi confrontés aux aléas du changement climatique, il s’agit de veiller à la performance du réseau qui sera nécessaire afin de garantir un accès à l’eau. Le rapport fait en effet mention d’un titre : « Des impacts sur les infrastructures »47. Le détail de ce paragraphe cependant omet les services publics de l’eau et l’assainissement, et il privilégie ceux des transports et de l’énergie.

Les impacts du changement climatique sont alors importants à prendre en considérations dans la satisfaction de la garantie d’un accès à l’eau pour tous. La France n’est certes pourtant pas aux avants postes d’une crise de manque d’eau. Comme le souligne Céline

42 Sénat, Rapport : Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : Urgence déclarée, d’information de MM. Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique, et Jean-Yves Roux, sénateur des Alpes de Haute-Provence. 190 pages.

43 Ibid, p. 50.

44 Sénat, Synthèse du Rapport : Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : Urgence déclarée, d’information de MM. Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique, et Jean-Yves Roux, sénateur des Alpes de Haute-Provence. p.2.

45 Sénat, Rapport : Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : Urgence déclarée, d’information de MM. Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique, et Jean-Yves Roux, sénateur des Alpes de Haute-Provence. 190 pages. P.52.

46 Ibid, p.52

47 Ibid, p.62.

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Gilquin, responsable de la division eau et assainissement de l’Agence Française de Développement à l’occasion d’un interview pour le journal « Libération »48, le réel stress hydrique existe déjà dans des proportions bien plus significatives. Elle déclare qu’en Jordanie il s’agit de 135 mètres cubes par personne par an, contre 2500 mètres cubes en France. In fine, il s’agit donc bien de considérer une gestion durable de la ressource. Elle précise en guise de recommandations : « améliorer la gestion des réseaux existants, réduire les fuites, ne pas polluer, assainir, traiter et réutiliser les eaux usées, sensibiliser les ménages… »49.

Nous pouvons notamment citer le guide publié par la plateforme collaborative Ps-Eau qui regroupe de nombreux acteurs de l’eau et notamment de nombreuses ONG. Celui s’intitule « les services d’eau et d’assainissement face au changement climatique, quels impacts, comment agir »50 et consacre une partie importante aux services d’eau potable, bien distinctement de celui de l’assainissement. Devant le constat d’une détérioration de la ressource qui se généralisera et dans l’optique de la bonne poursuite de l’objectif de développement durable (ODD6) visant à « assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable », le guide propose de bonnes pratiques pour l’adaptation du service public. Nous relevons que deux de ces conseils de bonnes pratiques se prêtent bien au contexte français, à savoir l’augmentation des températures, la variabilité des pluies, les épisodes de sécheresse et de chaleur51. Le guide prône alors une « analyse « renforcée » de la demande »52, afin d’anticiper les besoins en vue d’une de potentielles pénuries, ainsi qu’une

« gestion de la demande »53, car les économies d’eau permettent une meilleure gestion de la ressource et l’adaptation d’une tarification adaptée aux usagers.

Mais afin de cerner la notion d’économie d’eau dans le contexte du réseau français, encore faut-il distinguer une seconde menace significative qui plane sur les enjeux de la distribution d’eau qui est le cas des fuites. Le réseau qui se nourrit de redevances, afin de pourvoir à sa maintenance connait une forte pression, en raison de litres d’eau qui par l’effet du temps trouvent des issues par des failles au sein mêmes des canalisations d’acheminement de la ressource. Ainsi, pour un parc de canalisation long de 850 000 km de tuyaux, un

48 Libération, A. Delmas, Article Accès à l’eau : « les effets du changement climatique sont considérables », 19 mars 2019.

49 Ibid.

50 Programme Solidarité-Eau, Les services d’eau et d’assainissement face au changement climatique, Quels impacts ? Comment agir ?, Outils et Méthodes, 2018, 76 pages. p.44.

51 Ibid,

52 Ibid.

53 Ibid.

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rapport54 de la Fondation France Libertés et de l’association 60 millions de consommateurs avance que un litre sur cinq en moyenne55 serait perdu avant d’arriver jusqu’au robinet de l’usager, ce qui en d’autres termes représente 1,3 milliard de mètre cube en une année. Selon le même rapport certaines communes connaissent des pertes à hauteur de 7% pour Orléans ou Moulins, dans les cas le plus bas, il s’agit cependant de chiffre vertigineux pour d’autres, nous notons les cas de Nîmes avec 37%, 54% concernant Digne-les-Bains ou encore dans les départements d’outremer avec 55% de pertes sur le réseau de Basse-Terre en Guadeloupe et 41% à Fort-de-France.