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La généralisation progressive de modèles de régies publiques

II - L’appréhension politique d’un droit sujet à une division dans le débat parlementaire

Section 1 : Des compléments de mise en œuvre du droit à l’eau

A- La généralisation progressive de modèles de régies publiques

S’il a été mis en lumière au long de cette étude, la façon dont le système de gestion actuel fonctionne, il n’est pas pour autant question de procéder à une vaine critique de l’aménagement fait entre les responsabilités du secteur public et celui du privé. Certes, par la manière dont le service public est gérée, des pressions économiques sont amenées à jouer sur tout un réseau, mais celui-ci obéit alors à des logiques de rentabilité dans un objectif comptable, afin de pouvoir maintenir son fonctionnement. Hélas, le constat du fonctionnement actuel de ce paradigme administratif, économique et territorial que nous dressons dans cette étude porte à croire que de nombreuses dérives peuvent survenir en matière de prix de l’eau et par extension, son accès. Une conception d’un paradigme que l’on retrouve dans les écrits de Bernard Dobrenko, par : « L’affirmation récurrente d’un accès aux services d’eau potable et d’assainissement conforte une approche pour l’essentiel économique et consumériste. C’est cette voie qu’a choisie le législateur avec la loi sur l’eau et les milieux aquatiques… A aucun moment ne sont précisées les conditions de ce droit d’accès, qui, sur le fond, répond à la modalité technique du besoin, mais non au droit fondamental »168.

Il n’est donc pas question ici de pointer du doigt uniquement le « disfonctionnement » d’un système que l’on rapporte aux principes qu’exige le droit à l’eau, mais plutôt d’observer une autre manière dont ce système peut également être géré, qui par ailleurs révèle une certaine efficacité, la gestion de l’eau des communes par un système de régie publique.

168 B. Dobrenko, Droit de l’eau , Mémento LMD, Paris, Gualiano, 2007, p.202 In V. Chiu, Vers la

« remunicipalisation » du service public d’eau potable en France , Pyramide, 2013, p.247-262, p.251

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En effet, cela réfère pourtant à des mouvements internationaux comme nationaux, qui ont laissé place à certaines expérimentations sur le territoire, et ce depuis le siècle dernier. Nous touchons ici aux prérogatives qui incombent aux communes et collectivités en générale dans leur responsabilité en matière de service public d’eau.

A l’occasion du sixième Forum Mondial de Mexico en 2006, les maires et élus locaux du monde entier, par le biais d’une assemblée spéciale ont adopté une déclaration commune, la « Déclaration sur l’eau des maires et élus locaux »169. Il y est rappelé les enjeux environnementaux liés à la préservation de l’eau et son impact potentiel sur la santé et la nécessité d’une optique de durabilité autour du traitement de ces enjeux. De plus, et c’est ici que nous relevons la pertinence de cette déclaration sous le prisme des droits humains, il est déclaré que : « 2.2 - Les gouvernements locaux jouent un rôle fondamental dans la gestion de la ressource en eau et dans l’organisation de services publics de l’eau et de l’assainissement.

Leur rôle doit être reconnu et renforcé. Les autorités locales doivent pouvoir choisir librement entre différents modes de gestion »170 . Nous pouvons donc interroger le fait qu’une culture de délégation soit aussi forte en France, certes il faut reconnaitre la technologie que représentent le réseau et les degrés de performances de ce système, probablement parmi les meilleurs qui soient concernant la capacité de distribution. Sur une échelle plus macro, la gestion par bassin dite intégrée171, a fait la renommée de « l’école française » de la maitrise de la ressource. Alors comment, dans un pays aussi développé et riche d’un tel savoir-faire, sommes-nous rendus à observer une telle incapacité à investir la question d’un aménagement de l’espace public en vue de garantir l’accès à tous. De la même manière, parmi les différents modes de gestion qui existent, une prédominance du secteur privé semble presque balayer les possibilités d’une gestion par le secteur public. Outre les raisons purement économiques, qui procède d’une logique par les chiffres, nous tentons de comprendre les raisons également sociologiques et comportementales.

C’est par le prisme d’un mouvement que l’on nomme donc la « remunicipalisation », que des communes ont fait le choix de changer, ou de revenir, à une gestion locale de la ressource.

169 H. Smets, La reconnaissance officielle du droit à l’eau en France et à l’international, Académie de l’Eau, 2006, 114 p.p.46

170 Smets :Ibid ; Pint 2.3 de la déclaration.

171 Voir Supra

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Cette mouvance vient en effet en réaction à un modèle « technico-marchand »172 qui à terme pressurise les prix et conduit à une certaine opacité du fonctionnement du service d’eau et d’assainissement. Cela renvoie donc à la capacité des communes à faire face à leurs responsabilités initiales de gestion. Nous parlons alors du passage à une régie directe par les communes par le biais de structure comme des établissements publics de coopération intercommunales (EPCI) par exemple ou encore la création d’une entité propre.

Plus encore, dans l’étude des facteurs qui encouragent ou dissuadent les communes à opter pour un tel type de gestion, nous relevons dans les recherches de Vanessa Valero, économiste de l’école behavioriste, que le choix de cette gestion est étroitement lié aux profils et compétences individuelles des personnes en charge et non à la couleur politique que nous pourrions jusque-là présupposer et qui semble imprégner l’imaginaire collectif. Nous relevons dans son article « les écarts de prix de l’eau en France entre les secteurs privé et public » que : « Le fait qu’une commune appartenant à un département de « droite » ait plutôt tendance à choisir la régie publique peut s’expliquer quant à lui par la formation professionnelle des élus. Ayant pour un certain nombre d’entre eux un profil entrepreneurial, leurs compétences leurs permettraient de se sentir plus à même de gérer directement les services d’eau potable »173. Cela conforte alors deux idées, la délégation de service public s’inscrit dans une tradition et une culture de proximité entre les deux secteurs, ainsi que la mise en lumière de la déconstruction de l’idée reçue que la régie publique serait purement le produit d’une politique aux inspirations de préceptes idéologiques de gauche. Une dimension importante à rappeler dans un contexte ou l’opposition qui est faite au droit à l’eau est marquée par des préceptes issus d’une vaste majorité de droite et centre-droite.

Lorsque la complexité de gestion augmente, notamment sous l’effet des travaux et opérations hautement technique sur le réseau174, les communes tombent tout simplement sous le coup de la dissuasion. La régie publique est donc un mode de gestion qui par nature nécessite une certaine mise en place de moyens adaptés et réfléchie à l’échelle d’une commune, dont les enjeux méritent seulement d’être plus malléable, ou plus approprié à une gestion par la localité. Il est donc question pour une commune de se donner les moyens de

172 Voir Supra, tsaga

173 Valero Vanessa, « Les écarts de prix de l’eau en France entre les secteurs privés et public », Revue economique, 2015/6 (Vol.66), p. 1045-1066, p.1048

174 Voir Supra

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penser un système de fonctionnement qui lui est propre et dont la maitrise des enjeux lui est accessible.