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CHAPITRE 1 : MISE EN CONTEXTE ET PORTRAIT STATISTIQUE DE LA

1.2 Portrait de la population des minorités visibles au Québec

1.2.2 Situation sur le marché du travail

Alors que la population des minorités visibles est de plus en plus importante au Canada et au Québec et que, comme nous venons de le voir, ils sont à la fois plus jeunes et plus scolarisés que la moyenne de la population, plusieurs indicateurs semblent démontrer qu’ils jouissent d’une situation moins favorable sur le marché du travail. Cette situation n’est pas cohérente avec l’intégration économique souhaitée qui devrait viser une égalité de résultats entre personnes ayant des caractéristiques similaires en ce qui a trait capital humain (OCDE, 2007). Dans les prochaines sous-sections, nous présenterons plusieurs de ces indicateurs qui ont trait à l’accès à l’emploi, à la qualité des emplois occupés et à la rémunération.

1.2.2.1 Accès à l’emploi

La question de l’accès à l’emploi constitue sans doute la première partie de l’équation afin de comprendre l’égalité sur le marché du travail. Les taux d’activité et de chômage sont des indicateurs précieux qui permettent d’observer les fluctuations de la représentation des membres des différents groupes d’individus sur le marché du travail. Des différences marquées indiquent de possibles problèmes sur le marché du travail et incitent les chercheurs à investiguer davantage le phénomène, pour en connaître les causes, par exemple, la difficulté relative à se trouver un travail, la question des obstacles à l’emploi, ou encore la motivation (ou la démotivation) des membres d’un groupe à chercher de manière active un travail qui est souvent fonction des expériences passées ou des perceptions entretenues par les personnes à l’endroit de leurs probabilités à se trouver un travail, etc.

Il est généralement admis que le taux d’activité constitue une mesure du potentiel économique d’un pays : l’amélioration de ce potentiel croît proportionnellement à la croissance de la population active qui correspond au nombre de personnes âgées de 15 ans et plus qui occupent actuellement un travail ou qui sont au chômage (et qui sont donc officiellement en recherche active d’un travail) (Statistique Canada, 2007). Ainsi, même si la population augmente régulièrement dans un pays, la population active aura tendance à fluctuer en raison notamment des conditions économiques.

Le tableau V indique les taux d’activité, d’emploi et de chômage dans la région métropolitaine de Montréal des hommes et des femmes en fonction de leur appartenance

aux différents sous-groupes de minorités visibles. Ce tableau permet de mieux comprendre les différences importantes qui existent entre les différents sous-groupes de minorités visibles dans leurs expériences sur le marché du travail.

Tableau V

Taux d’activité, d’emploi et de chômage6, personnes âgées de 15 ans et plus, selon le sexe et le groupe de minorité visible, région métropolitaine de recensement (RMR) Montréal, données du recensement 2006.

Groupe de minorité

visible

Hommes Femmes

Tx.

activité Tx. emploi chômage Tx. activité Tx. Tx. emploi chômage Tx.

Non-MV 72,2 67,8 6,0 61,4 58,1 5,4 Chinois 64,6 58,8 9,1 55,4 49,8 10,2 Sud- Asiatique 71,4 61,9 13,3 49,4 40,4 18,3 Noir 72,5 62,9 13,2 64,6 55,7 13,8 Philippin 76,5 72,1 5,8 74,4 70,3 5,4 Latino- Américain 76,5 67,8 11,4 62,4 53,0 15,0 Asiatique du Sud-est 72,2 65,9 8,8 57,8 51,3 11,3 Arabe 75,3 61,9 17,8 54,5 44,4 18,5 Asiatique occidental 68,8 60,7 11,8 53,2 43,4 18,3 Coréen 56,2 50,0 11,6 55,6 49,6 10,8 Japonais 66,0 60,3 8,6 50,7 47,4 6,5 Autres MV 77,0 67,1 12,9 58,5 51,6 11,9 MV multiples 73,1 64,9 11,2 62,0 54,3 12,4

Source : Statistique Canada, 2006d

Notons dans un premier temps que, tant pour les hommes que les femmes, le taux d’emploi des personnes qui ne sont pas membres des minorités visibles est toujours supérieur à celui de tous les sous-groupes de minorités visibles, tandis que leur taux de

6 Rappelons que le taux d’activité correspond au pourcentage de la population en âge de travailler qui

travaille ou souhaite travailler; le taux d’emploi correspond au pourcentage de la population occupée en âge de travailler; et le taux de chômage correspond au pourcentage de la population qui n’a pas d’emploi en ce moment, mais qui en cherche un. Le groupe des chômeurs exclut les personnes qui sont considérées comme les « travailleurs découragés », soit ceux qui sont sans travail et qui n’en cherchent plus pour diverses raisons (Statistique Canada, 2007).

chômage est toujours inférieur7. Il est également important de noter que, sauf exception, les hommes ont toujours des taux d’activité et des taux d’emploi supérieurs aux femmes, tandis que leur taux de chômage, dans la plupart des cas, est inférieur à celui des femmes et que dans certains cas, les écarts entre les hommes et les femmes peuvent être considérables, c’est le cas notamment des Asiatiques Occidentales où les hommes ont un taux de chômage de 11,8 % alors que celui des femmes est de 18,3 %. Ce dernier constat pointe en direction d’un phénomène d’intersectionnalité des motifs de discrimination qui signifie que la combinaison des statuts « minorité visible » et « femme » crée une situation particulièrement difficile sur le marché du travail (Chicha, 2009).

Si on observe plus attentivement les données sur les hommes, on découvre que les groupes des Coréens et des Chinois ont les plus faibles taux d’emploi des membres des minorités visibles, avec des taux respectifs de 50,0 et 58,8 %. Le troisième groupe qui possède le plus faible taux d’emploi est celui des Japonais avec 60,3 %. Par contraste, les hommes qui ne sont pas membres des minorités visibles ont un taux d’emploi de 67,8 %. En ce qui concerne le taux de chômage, le groupe des hommes Arabes est celui qui présente, et de loin, le taux le plus élevé avec 17,8 %, alors que les hommes qui ne sont pas membres des minorités visibles ont un taux de chômage de 6,0 %.

Du côté des femmes, celles qui ont le plus faible taux d’emploi sont les Sud-Asiatiques avec un taux de 40,4 %, alors que les femmes qui ne sont pas membres des minorités visibles ont un taux d’emploi de 58,1 %. Pour ce qui est du taux de chômage, notons que 3 groupes de femmes ont des taux très élevés et presque identiques : il s’agit des Arabes

7 Avec l’exception notoire du sous-groupe « Philippin » qui, tant pour les hommes que pour les femmes, a

un taux d’emploi supérieur et un taux de chômage égal ou inférieur aux personnes qui ne sont pas membres des minorités visibles.

(18,5 %), des Sud-Asiatiques (18,3 %) et des Asiatiques Occidentales (18,3 %). Par comparaison, les femmes qui ne sont pas membres des minorités visibles avaient un taux de chômage de 5,4 % à la même époque. Nous constatons, comme le remarquait Chicha (2009) que le cumul des motifs de discrimination, dans le cas présent le sexe et l’appartenance aux minorités visibles, crée des situations uniques de vulnérabilité : ces intersectionnalités doivent être l’objet d’interventions ciblées.

1.2.2.2 Qualité de l’emploi

Il ne suffit pas, comme nous le rappelle Méda (2000), de considérer les taux d’activité, d’emploi et de chômage pour se prononcer sur l’intégration socioéconomique des individus; encore faut-il procéder au « diagnostic » des emplois occupés afin d’en connaître la qualité relative. Nous aborderons donc dans cette sous-section, certaines caractéristiques de ces emplois.

Temps plein / temps partiel

Dans l’ensemble, on constate qu’une plus large proportion d’hommes que de femmes a travaillé principalement à temps plein dans l’année qui a précédé le recensement (tableau VI). Également, les membres des minorités visibles, tant les hommes que les femmes, auraient tendance à moins travailler à temps plein que ceux et celles qui ne sont pas membres des minorités visibles. La proportion des femmes qui occupent un emploi à temps partiel est significativement plus élevée, tant pour celles qui sont membres des minorités visibles que pour les autres.

Tableau VI

Proportion des personnes qui travaillent à temps plein ou partiel selon l’appartenance à une minorité visible, personnes âgées de 15 ans et plus, selon le sexe, région métropolitaine de recensement (RMR) Montréal, données du recensement de 2006.

Statut minorité visible (MV)

A travaillé surtout à temps plein A travaillé surtout à temps partiel

Homme Femme Homme Femme

MV 81,5 71,8 18,5 28,2

Non-MV 85,2 73,3 14,8 26,7

Source : Statistique Canada, 2006c Nombre de semaines travaillées

L’observation du nombre de semaines travaillées durant l’année indique que les hommes et les femmes membres des minorités visibles, peu importe que ceux-ci occupent un emploi à temps plein ou à temps partiel, travaillent toujours en moyenne un nombre inférieur de semaines (tableau VII). Ainsi chez les hommes de la région métropolitaine de Montréal, ceux qui sont membres des minorités visibles travaillent plus de 2 semaines de moins par année pour les travailleurs qui ne sont pas membres des minorités visibles, qu’ils aient travaillés surtout à temps plein ou à temps partiel. Chez les femmes membres des minorités visibles, il s’agit d’une différence de plus de 3 semaines pour celles qui ont surtout travaillé à temps plein et de plus de 4 semaines pour celles qui ont surtout travaillé à temps partiel.

Tableau VII

Nombre de semaines travaillées selon l’appartenance à une minorité visible, personnes âgées de 15 ans et plus, selon le sexe, région métropolitaine de recensement (RMR) Montréal, données du recensement de 2006.

Statut minorité visible (MV)

Nombre moyen de semaines travaillées

Travaille surtout à temps plein… Travaille surtout à temps partiel…

Homme Femme Homme Femme

MV 44,0 42,7 31,1 32,6

Non-MV 46,6 46,1 33,3 37,1

Secteur / industrie

Le tableau VIII indique comment se concentrent dans les différents secteurs industriels les individus en fonction du fait d’être ou non membre des minorités visibles. En observant les écarts qui existent entre la représentation totale dans les secteurs industriels et la représentation de l’un ou l’autre groupe, on découvre que les personnes qui ne sont pas membres des minorités visibles ont tendance à se retrouver dans les différents secteurs dans des proportions plus similaires à la distribution totale. Par opposition, les personnes membres des minorités visibles ont davantage tendance à être fortement surreprésentées ou sous-représentées dans certains secteurs industriels. Ainsi, si l’on compare les moyennes des écarts absolus du pourcentage d’individus dans chaque secteur industriel, on s’aperçoit que celles-ci sont de 1,38 pour les personnes membres des minorités visibles par rapport à 0,19 pour les personnes qui ne sont pas membres des minorités visibles. Cet indice appuie l’idée d’une ségrégation en fonction des secteurs industriels des personnes des minorités visibles. Les deux secteurs où les personnes des minorités visibles sont les plus fortement surreprésentés sont ceux de la fabrication (18,28 % des membres des minorités visibles travaillent dans ce secteur alors que c’est le cas de 13,54 % de la population totale) et l’hébergement et services de restauration (un peu plus de 10 % des membres des minorités visibles travaillent dans ce secteur alors que c’est le cas de 5,91 % de la population totale). Notons au passage que le secteur fabrication connaît en ce moment des difficultés liées aux restructurations économiques tandis que le secteur hébergement et services de restauration est souvent associé à une plus grande précarité d’emploi.

D’un autre côté, on remarque que les membres des minorités visibles sont faiblement représentés dans certains secteurs, notamment dans celui des services d’enseignement, où seulement 1,37 % membres des minorités visibles travaillent dans ce secteur, alors qu’au total, 7,10 % de la population travaille dans ce secteur. Il en est de même du secteur de la construction même si l’écart est moins marqué : 1,74 % des membres des minorités visibles travaillent dans ce secteur, alors que 4,61 % de la population est employée par ce même secteur.

Tableau VIII

Concentration dans les secteurs industriels selon l’appartenance à une minorité visible, personnes âgées de 15 ans et plus, région métropolitaine de recensement (RMR) Montréal, données du recensement de 2006*.

Secteur industriel n MV % N n-MV % N Total % Agriculture, foresterie, pêche et chasse 1 020 0,38 (-0,10) 8 190 0,50 (0,02) 9 220 0,48 Extraction minière et extraction de

pétrole et de gaz 195 0,07 (-0,03) 1 845 0,11 (0,01) 2 040 0,10 Services publics 765 0,29 (-0,55) 15 360 0,93 (0,09) 16 115 0,84 Construction 4 655 1,74 (-2,87) 84 140 5,11 (0,50) 88 790 4,61 Fabrication 48 825 18,28 (4,74) 211 705 12,85 (-0,69) 260 530 13,54 Commerce de gros 15 240 5,71 (0,09) 92 945 5,64 (0,02) 108 185 5,62 Commerce de détail 34 360 12,86 (0,78) 198 080 12,03 (-0,05) 232 440 12,08 Transport et entreposage 12 840 4,80 (-0,14) 82 160 4,99 (0,05) 94 995 4,94 Industrie de l'information et industrie

culturelle 9 070 3,40 (-0,25) 61 100 3,71 (0,06) 70 170 3,65 Finance et assurances 10 825 4,05 (-0,59) 78 365 4,76 (0,12) 89 190 4,64 Services immobiliers et services de

location et de location à bail 3 870 1,45 (-0,37) 31 150 1,89 (0,07) 35 015 1,82 Services professionnels, scientifiques et

techniques 20 330 7,61 (-0,68) 139 170 8,45 (0,16) 159 500 8,29 Gestion de sociétés et d'entreprises 300 0,11 (-0,03) 2 455 0,15 (0,01) 2 750 0,14 Services administratifs, services de

soutien, services de gestion des déchets et

services d'assainissement 16 935 6,34 (2,10) 64 615 3,92 (-0,32) 81 545 4,24 Services d'enseignement 3 670 1,37 (-5,73) 122 935 7,46 (0,36) 136 600 7,10 Soins de santé et assistance sociale 32 670 12,23 (1,48) 174 190 10,58 (-0,17) 206 860 10,75 Arts, spectacles et loisirs 3 620 1,36 (-0,80) 37 970 2,31 (0,15) 41 590 2,16 Hébergement et services de restauration 26 935 10,08 (4,17) 86 720 5,27 (-0,64) 113 655 5,91 Autres services, sauf les administrations

publiques 13 640 5,11 (0,46) 75 745 4,60 (-0,05) 89 380 4,65 Administrations publiques 7 330 2,74 (-1,70) 78 070 4,74 (0,30) 85 400 4,44

Moyenne des écarts absolus 1,38 0,19

* : Les cellules grisées représentent une surreprésentation de l’un ou l’autre groupe en fonction de la proportion totale des travailleurs dans le secteur industriel. La différence entre la proportion totale dans la société qui travaille dans le secteur et la proportion des membres de l’un ou l’autre groupe dans le secteur est inscrite entre parenthèses. Les chiffres négatifs entre parenthèses représentent la sous-représentation.

Occupation et ségrégation professionnelle

Ornstein (2007) s’est intéressé à la question de la ségrégation professionnelle des personnes membres des minorités visibles dans la région montréalaise : chez les hommes, il remarque que les personnes Arabes, les Asiatiques occidentaux et les Asiatiques orientaux ont une proportion plus importante de travailleurs dans la catégorie des professionnels, mais ils sont moins représentés dans le groupe occupationnel des travailleurs manuels qualifiés que les hommes du groupe « Européens ». Cette surreprésentation dans le groupe des professionnels n’aurait cependant pas d’impact sur les salaires. Toujours d’après cette recherche, les hommes qui seraient les plus désavantagés seraient ceux qui appartiennent au groupe « Caraïbes et Bermudes » puisque près de 30 % d’entre eux seraient dans la catégorie des travailleurs manuels semi-qualifiés et un autre 30 % dans la catégorie des travailleurs non-manuels semi- qualifiés, des chiffres qui sont supérieurs à la proportion des hommes des autres sous- groupes dans ces deux catégories occupationnelles qui regroupent les emplois les moins qualifiés de l’échelle de mesure de Ornstein.

Du côté des femmes, Ornstein (2007) remarque leur quasi-exclusion des groupes « gestionnaire supérieur » et « travailleur manuel qualifié ». Également, la probabilité pour les femmes appartenant au groupe « Européen » d’appartenir au groupe occupationnel des travailleurs manuels semi-qualifiés est nettement plus faible que dans tous les groupes de femmes membres des minorités visibles.

Si on s’intéresse aux professions, on constate que les 8 principales professions les plus populaires pour les membres des minorités visibles regroupent plus de 20 % de

l’ensemble de ces personnes actives dans la région métropolitaine de Montréal (tableau IX). Il est intéressant de noter aussi la relative stabilité des professions les plus populaires : les trois principales professions des minorités visibles en 1981, opérateur de machine à coudre industrielle, vendeur et cuisinier, se retrouvent encore en 2006 parmi leurs 8 principales professions (Chicha-Pontbriand, 1989 et Statistique Canada, 2006f).

Tableau IX

Les 8 principales professions des minorités visibles qui résident dans la région métropolitaine de recensement (RMR) Montréal, données du recensement de 2006.

Profession Nombre

de MV

Taux de représentation des

MV 1. Vendeurs et commis-vendeurs, commerce de détail 12 905 14,7

2. Caissiers 8 015 20,6

3. Serveurs au comptoir, aides de cuisine et personnel

assimilé 7 215 22,9

4. Préposés à l’entretien ménager et au nettoyage – travaux légers

6 985 25,8

5. Aides-infirmiers, aides-soignants et préposés aux bénéficiaires

6 760 28,9

6. Cuisiniers 6 505 29,2

7. Opérateurs de machines à coudre industrielles 6 210 55,1

8. Directeurs, commerce de détail 5 485 15,0

Source : Statistique Canada, 2006f

En se référant à la matrice de la classification nationale des professions (CNP) (DRHC, 2001), on constate que parmi ces occupations, une seule se situe dans le domaine de la gestion (directeur commerce au détail), aucune ne demande une formation de niveau universitaire. Il s’agit majoritairement de professions semi ou peu qualifiées.

Le Canada et le Québec ont développé un arsenal juridique impressionnant au cours des dernières décennies afin de promouvoir l’égalité entre les personnes. Au Québec, l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., ch. C-12) interdit toutes formes de distinction, exclusion ou préférence fondées entre autres, sur les motifs de la race, la couleur et l’origine ethnique ou nationale8. Pourtant, malgré la législation, Reitz (2001) recense de nombreuses études canadiennes qui montrent que la discrimination raciale, entre autres au travail, demeure un problème au Canada. Comme le souligne Potvin (2004), il demeure difficile d’aborder de front cette question (voir à ce propos la sous-section consacrée au racisme moderne); c’est peut-être particulièrement vrai au Québec compte tenu de la position minoritaire des francophones en Amérique du Nord qui se sentent souvent discriminés et qui auraient peut-être plus de difficultés à reconnaître qu’ils pourraient discriminer à leur tour.

Comme le notent Chicha et Charest (2008), les personnes qui se croient victimes de discrimination possèdent des recours juridiques en vertu de la Charte : les plaintes en discrimination sur le marché du travail ayant pour motif la race, la couleur et l’origine ethnique ou nationale, constituent en importance, la deuxième raison invoquée, tout juste après le handicap. Pourtant, très peu de dossiers de plaintes conduiront à des résultats concrets pour les plaignants puisqu’il est de plus en plus difficile d’établir la preuve de la discrimination due au fait qu’elle est généralement intégrée, consciemment ou non, dans les pratiques de gestion des ressources humaines.

En effet, la discrimination demeure un phénomène particulièrement difficile à démontrer tant pour les chercheurs en sciences sociales qui ont souvent des difficultés à isoler

8 Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans le chapitre consacré aux modèles de lutte aux

l’impact relatif des différents facteurs explicatifs des écarts constatés entre les groupes sur le marché du travail (Ducharme et Eid, 2005), que pour les spécialistes du droit qui peinent souvent à faire la démonstration juridique de la discrimination (Bosset, 2005). Pour se faire une idée de l’ampleur du problème de la discrimination au Canada, Statistique Canada a procédé à une enquête sur la diversité ethnique (EDE) qui a révélé que près de 20 % des personnes membres des minorités visibles disaient avoir subi un comportement discriminatoire ou injuste au cours des 5 années qui ont précédé l’enquête; parmi ces personnes, les Noirs étaient ceux qui étaient les plus susceptibles d’avoir été victimes d’un tel comportement (Statistique Canada, 2003). Bourhis et coll. (2005) en se basant sur les données de l’EDE affirment qu’au Québec, près de 30 % des répondants à l’enquête qui sont membres des minorités visibles croient avoir été victimes de discrimination.

Renaud et coll. (2003) dans leur étude d’une cohorte d’immigrés arrivés au Québec en 1989 découvraient que les personnes originaires du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, d’Haïti, des Caraïbes, d’Amérique du Sud et du Vietnam, prenaient plus de temps à s’intégrer au marché du travail que ceux qui étaient originaires d’Amérique du Nord ou d’Europe. Ces écarts disparaissaient avec le temps pour presque tous les groupes, mais semblaient indiquer des difficultés supplémentaires, et ce, même après avoir contrôlé de nombreuses variables associées au capital humain (l’âge, la connaissance des langues officielles, le niveau de scolarité, etc.). Une seconde étude menée par Renaud et Cayn (2006) a également démontré que les immigrés originaires d’Europe de l’Ouest et des États-Unis trouvaient plus rapidement un emploi correspondant à leur niveau de scolarité que les autres immigrés. Cependant, les écarts entre les groupes, à l’exception des

immigrés originaires d’Asie de l’Ouest et du Moyen-Orient, s’estompaient avec le temps. Encore une fois, les chercheurs ont contrôlé ce fait pour de nombreuses variables qui ont un impact sur l’insertion professionnelle; malgré tout, il demeure un écart qu’il semble impossible d’expliquer à l’aide de variables associées au niveau de capital humain. Cet écart résiduel pourrait donc correspondre à une discrimination.

Pour tenter d’évaluer l’ampleur du problème de la discrimination dans la région de Toronto, Oreopoulos (2009) a répondu à de nombreuses offres d’emplois en envoyant des CV fictifs et en modifiant uniquement les noms des pseudo-candidats. Il a découvert que les CV avec des noms anglophones (ex. : John Smith) recevaient en moyenne trois plus d’offres d’entrevues que les CV avec des noms chinois, indiens ou pakistanais. Les différences étaient encore plus marquées si les expériences de travail ou les diplômes mentionnés dans le CV avaient été obtenus à l’extérieur du Canada. Eid (2012) a procédé à une recherche similaire en région montréalaise. Les résultats obtenus montrent des taux