• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : MISE EN CONTEXTE ET PORTRAIT STATISTIQUE DE LA

1.1 Mise en contexte

Au cours des dernières décennies, de nombreuses études, tant au Canada qu’aux États- Unis, ont été menées pour tenter de voir s’il existait des écarts de traitement sur le marché du travail entre les personnes membres des minorités visibles et les autres. À la suite des grands mouvements sociaux qui ont émergé dans les États-Unis de l’après-guerre et qui ont culminé avec les luttes pour les droits civiques (Jones, 1998), plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question des inégalités dans nos sociétés. Après avoir été si active, scientifiquement et socialement, dans les années 60 et 70, la communauté des chercheurs

s’est faite plus discrète lors des années 80 et ce n’est que dans les années 90 qu’un regain d’intérêt pour ce domaine de recherche s’est développé. Au moins deux raisons sont avancées par Wilson (2007) pour expliquer ce regain d’intérêt : 1- les inégalités observées entre les différents groupes ethnoraciaux qui composent la mosaïque sociale, ont le potentiel d’avoir des conséquences majeures sur le fonctionnement de la société, beaucoup plus importantes que par le passé, compte tenu de l’ampleur du phénomène de diversification des sociétés occidentales, dû à l’accroissement des migrations internationales, particulièrement les mouvements de travailleurs des pays du Sud vers ceux du Nord; et 2- alors que nous avions cru que les différences entre les groupes s’estomperaient de manière naturelle avec le passage du temps, force est de constater qu’après quelques décennies de « rattrapage », ces différences socioéconomiques vont désormais en s’accentuant. Cette réalité empirique a amené Raphael (2002) à préciser au sujet des populations noires américaines, mais ce commentaire semble s’appliquer à l’ensemble des groupes « racisés »2 tant aux États-Unis qu’au Canada, que :

« The relative social disadvantage of African-Americans is one of the most profound and enduring characteristics of U.S. society. Pick any dimension of socioeconomic well-being and one is likely to find relatively poor outcomes » (p. 1202)3.

2

Cette notion de racisation vise à souligner le caractère socialement construit de la « race » en rappelant qu’il découle d’un processus de catégorisation social effectué par le groupe majoritaire ou dominant; cette catégorisation assigne aux individus une « essence » immuable (Ducharme et Eid, 2005). Il convient de préciser que ces groupes racisés sont ceux qui continuent de subir jusqu’à aujourd’hui, l’héritage d’un racisme dont les structures matérielles et symboliques trouvent leurs racines dans l’histoire du colonialisme et de l’esclavagisme. Dans ce contexte, même s’il serait sans doute plus pertinent de parler de « groupes racisés » (Labelle, 2010), nous privilégierons tout de même l’expression « minorité visible » qui est l’expression retenue par le cadre légal des PAE, dans notre thèse.

3 Traduction libre : « Le désavantage social relatif des Afro-américains est l’une des caractéristiques les

plus profonde et durable de la société américaine. Sélectionnez l’indicateur de votre choix du bien-être socio-économique et il est probable que vous trouverez des résultats relativement plus désavantageux ».

Ainsi pour Healey (2004), les relations qui existent, ou devraient exister, entre le groupe majoritaire (au Canada, ce groupe demeure la population « blanche » d’origine européenne) et la myriade de groupes minoritaires « racisés », sont au cœur des phénomènes sociaux dans les sociétés dites multiculturelles. Toutes les constatations d’inégalité devraient être examinées attentivement afin de faire l’objet d’interventions de l’État, et ce, afin d’actualiser cette égalité entre les citoyens comme précisé dans la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (L.R.C., app. II, no 44) Cette actualisation de l’égalité, passe, entre autres, par l’article 15.2 de la Charte canadienne qui permet la mise en place de « programme de promotion sociale » offrant aux membres d’un groupe particulier un « avantage » dans la mesure où il est possible de démontrer, notamment par le recours aux données probantes en sciences sociales, que dans les faits, les membres de ce groupe sont désavantagés par rapport aux autres (Brun et Tremblay, 2002). Cette « distinction » apportée à la règle générale, permet plus aisément d’introduire le concept d’équité, donc de l’adaptation de la règle qui, dans une perspective socio-économique, pose comme enjeu principal l’avènement d’une société plus juste et nous amène à envisager les moyens nécessaires afin de réaliser cette vision (Protecteur du citoyen, 2004).

Au Québec, ces moyens ont notamment pris la forme des PAE dont l’objectif est de combattre les phénomènes de discrimination sur le marché du travail. Pourtant, malgré leur caractère prometteur, ces programmes ne semblent pas avoir eu un impact considérable dans les entreprises (Chicha, 2001) et ce, malgré l’élaboration d’un discours dans les entreprises sur la question de l’importance de la gestion de la diversité (Huesca, 2007) et des avantages qui pourraient en découler pour les entreprises (Ely et Thomas,

2001; Lorbiecki et Jack, 2000). Même si l’on pourrait imaginer a priori que ces deux phénomènes sont complémentaires, dans la réalité il semble que la plupart des employeurs aient eu tendance à substituer la gestion de la diversité à l’accès à l’égalité, pour en faire la réponse managériale aux problèmes de discrimination; or les objectifs poursuivis par ces deux programmes sont distincts (Agocs et Burr, 1996).

Nous poursuivrons avec la présentation du portrait de la situation des membres des minorités visibles au Québec. Ces données qui pointent manifestement en direction d’une situation d’inégalité constituent l’assise nécessaire pour justifier l’intervention de l’État.