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Les résultats connus des programmes d’accès à l’égalité découlant de l’obligation

CHAPITRE 3 : LES PROGRAMMES D’ACCÈS À L’ÉGALITÉ : UNE RÉPONSE

3.5 Évolution québécoise des programmes d’accès à l’égalité

3.5.1 Les résultats connus des programmes d’accès à l’égalité découlant de l’obligation

Il existe peu de recherches sérieuses sur les résultats des PAE liés à l’obligation contractuelle, ce qui semble s’expliquer par l’obligation de confidentialité entourant les résultats de ces programmes. La plus importante recherche à ce sujet a été réalisée en 1998 par Chicha. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a également produit en 1998 un rapport sur les résultats du programme; cependant, afin d’assurer un maximum de confidentialité, les résultats étaient présentés sous forme de grands agrégats, par exemple le secteur industriel (les secteurs industriels sont au nombre de 15 dans cette analyse) ou encore le grand groupe occupationnel (toutes les occupations sont divisées en 8 catégories); les regroupements effectués étaient si étendus que, compte tenu de la nature de la discrimination systémique et du caractère subtil de la microségrégation, il devenait difficile de tirer des conclusions précises de ce rapport. Avant d’entrer dans les détails des résultats obtenus par ces recherches, il convient de préciser que de l’aveu même de la Commission, certains ministères qui entretiennent des liens d’affaire avec des entreprises privées ont pris la responsabilité d’offrir des exemptions à ces dernières en matière de PAE : ainsi, un certain nombre d’entreprises qui devrait être assujetti ne l’est pas (CDPDJ, 1998). En effet, les entreprises soumises devraient être formellement identifiées et les informations les concernant devraient être fournies à la Commission afin qu’elle puisse exercer son pouvoir de suivi et contrôle, ce qui n’est pas toujours le cas. Encore une fois, de pareilles pratiques semblent être de

nature à miner la crédibilité de l’intervention de l’État pour lutter efficacement contre la discrimination systémique.

Une autre critique importante de ces PAE a trait à l’absence de sanction. En effet, selon les données de la Commission, 14 entreprises depuis 1989 ont été sanctionnées pour non- conformité, alors que seulement 6 entreprises avaient atteint leurs objectifs : comment expliquer qu’un si grand nombre d’entreprises n’aient jamais atteint leurs objectifs sans pour autant avoir été sanctionnées (Chicha et Charest, 2012)65? Pour l’organisme Action Travail des femmes (2000) ce « laisser-aller » en vient à discréditer les PAE et ébranle la confiance des Québécois en l’engagement du gouvernement à combattre la discrimination systémique. Ainsi, pour les organisations, ce constat peut transmettre le message de l’importance bien relative du PAE compte tenu des faibles probabilités d’être sanctionnées.

Nous amorcerons cette présentation des principaux résultats, en nous intéressant au rapport de la Commission (1998) pour ensuite porter notre attention sur l’analyse faite par Chicha (1998).

3.5.1.1 Évaluation de la CDPDJ (1998)

La Commission a regroupé les différentes occupations en 8 catégories afin de procéder à son analyse : 1- direction; 2- professionnel; 3- technique; 4- supervision; 5- vente; 6- production spécialisée; 7- production semi et non-spécialisée; et 8- distribution. Quant aux entreprises, elles ont été réparties entre 15 secteurs industriels. Pour étudier les effets

65 À titre de comparaison, entre 2000 et 2011, il n’y a jamais eu moins de 139 entreprises assujetties

du programme, la Commission a mesuré les niveaux initiaux de représentation des membres des groupes cibles et leur évolution afin de pouvoir se prononcer sur l’efficacité des programmes en ce qui concerne l’amélioration de la représentation.

De manière générale, la Commission note que les niveaux de représentation des personnes membres des minorités visibles varient beaucoup selon le secteur industriel, passant de 0,1 % dans le secteur des mines et papetières, à 5,5 % dans le secteur des produits électroniques et le matériel de bureau. Ces niveaux de représentation, même pour 1998, semblaient indiquer une situation inéquitable sur le marché du travail pour les personnes membres des minorités visibles. Entre l’introduction des programmes et l’analyse des résultats, la Commission constatait une amélioration de la représentation dans seulement 8 secteurs industriels.

Lorsque la Commission tente d’évaluer l’impact macro des programmes, elle découvre que de manière générale, toutes catégories d’emploi et secteurs industriels confondus, l’ensemble des entreprises soumises a embauché plus de 27 000 personnes durant la durée de l’analyse, desquels seulement 585 étaient membres des minorités visibles. Ainsi seulement environ 2,2 % de l’embauche dans les entreprises soumises à cette obligation juridique étaient membres des minorités visibles. Entre l’entrée en vigueur de la loi et le moment de l’analyse de la Commission, la représentation des membres des minorités visibles n’avait progressé que de 0,5 %.

Ces faibles progrès ne semblent pas être uniformes dans les différents groupes occupationnels : en effet, la progression est surtout attribuable au progrès de représentation réalisé dans les catégories des professionnels, des emplois techniques, des emplois non-spécialisés de production et des emplois de distribution; tandis qu’on

observait une diminution de la représentation dans les catégories des emplois de direction, de supervision, de production spécialisée et de vente.

Du côté des objectifs qualitatifs, la plupart des entreprises affirmaient avoir procédé à l’analyse de leur système d’emploi, mais celle-ci aurait entraîné peu de changements dans les organisations. En effet, la plupart des entreprises mentionnaient qu’il n’y avait aucun élément dans leur système d’emploi qui pouvait avoir des effets discriminatoires et ce, même si ces entreprises n’avaient aucune preuve réelle pour étayer leurs affirmations. Les plus grandes entreprises sont plus susceptibles d’avoir procédé à cette évaluation du système d’emploi tandis que les PME, qui sont l’épine dorsale industrielle du Québec, l’ont fait dans une plus faible proportion. Cette relation est aisée à comprendre : la vaste majorité des grandes entreprises possèdent un département de gestion des ressources humaines embauchant du personnel compétent apte à procéder à cette analyse alors que les PME, qui ont des règles et procédures plus informelles, ne possèdent souvent pas les ressources nécessaires pour effectuer cette analyse de manière sérieuse et lorsqu’elles le font, les résultats sont moins concluants dû à l’absence fréquente de procédures formalisées et uniformes.

Les principales mesures mises en place étaient des mesures de redressement à l’aide de taux de recrutement préférentiel. Ces mesures ne semblent cependant pas avoir eu d’impacts vraiment probants compte tenu de la faible augmentation du taux global de représentation. Plusieurs entreprises ont également tenté de rejoindre des candidats des groupes cibles en faisant parvenir à des sources plus nombreuses leurs offres d’emplois. La majorité des entreprises ont aussi procédé à la révision de leur formulaire d’emploi pour s’assurer qu’aucune question touchant les motifs illicites de discrimination ne se

retrouve dans ces documents. Plus exceptionnellement, certaines entreprises auraient mis en place des programmes de stages s’adressant aux membres des groupes cibles afin d’améliorer leurs probabilités d’obtenir un emploi.

3.5.1.2 Évaluation de Chicha (1998)

L’analyse faite par Chicha (1998) des entreprises soumises à l’obligation contractuelle de développer et mettre en place un PAE, constitue sans doute la recherche la plus riche dans le domaine. Cette enquête portait sur l’ensemble des entreprises assujetties en 1998 (173 entreprises) et en tout, 81 % de celles-ci ont accepté de répondre au questionnaire. Parmi ces entreprises, plus de la moitié rapportent avoir identifié au moins une occupation où il y avait sous-utilisation des membres des minorités visibles. Les 5 groupes d’occupations, où les taux de sous-représentation les plus importants sont identifiés : 1- les emplois semi-professionnels et techniques; 2- les emplois de soutien et de bureau; 3- les emplois manuels non-spécialisés; 4- les professionnels; et 5- les cadres intermédiaires. Dans le groupe des employeurs qui a identifié une ou plusieurs sous- occupations, plus de 23 % n’ont pas jugé bon de fixer d’objectifs quantitatifs ce qui va à l’encontre de la loi. Dans les entreprises qui se sont fixé de tels objectifs, plus de la moitié ont atteint moins de 25 % des objectifs fixés et près de 20 % des entreprises n’ont aucune idée du temps qu’il leur faudra pour atteindre ces objectifs.

La vaste majorité des entreprises interrogées (73,6 %) affirment rencontrer des obstacles importants dans l’atteinte de leurs objectifs quantitatifs de représentation des membres des minorités visibles. Pourtant, comme le mentionne Chicha, ces objectifs doivent être

considérés comme « conservateurs » par rapport à la représentation réelle des membres des minorités visibles sur le marché du travail puisqu’ils ont été fixés en fonction des données du recensement de 1991 (dans certains cas, le recensement de 1986) alors que durant la décennie 90, la proportion des personnes membres des minorités visibles, due surtout aux migrations internationales, a connu une croissance exceptionnelle.

En ce qui concerne les objectifs qualitatifs, l’analyse de Chicha montre que près de 60 % des entreprises interrogées ont recours, souvent ou toujours, au recrutement par réseau de contacts personnels (le recrutement par « bouche-à-oreille » où les candidats sont recommandés par les employés de l’entreprise), une technique de recrutement dénoncée à plusieurs reprises, car elle a tendance à être contre-productive lorsqu’on souhaite diversifier les effectifs : en effet, cette technique amène souvent à refléter la composition démographique actuelle d’une entreprise. Ainsi, la majorité des entreprises affirmaient que les réseaux informels jouaient un rôle important dans leurs décisions de recrutement. La majorité des employeurs (environ 75 %) affirmaient avoir procédé à une analyse de leurs pratiques de sélection, mais celle-ci ne semble pas avoir entraîné de changements dans la plupart des cas. Chez les entreprises qui ont procédé à des révisions, il semble que dans la majorité des cas, celles-ci aient visé les formulaires de demande d’emploi. Très peu d’entreprises ont révisé leurs critères de sélection; pour les rares qui l’ont fait, il s’agit majoritairement de révisions concernant l’expérience de travail exigée. Bien que les données ne permettent pas de préciser la forme qu’a pu prendre cette révision, Chicha mentionne qu’il pourrait s’agir d’une diversification des expériences de travail ou de la prise en considération des expériences de travail acquises hors du Canada, ce qui pourrait

avoir un impact positif pour les personnes membres des minorités visibles puisqu’une proportion importante d’entre eux sont également des immigrés.

Plus de la moitié des entreprises n’ont pas révisé leurs pratiques de promotion du personnel. En ce qui concerne l’évaluation du rendement, seulement un peu plus de la moitié ont procédé à son analyse pour voir s’il pouvait exister des biais discriminatoires et parmi celles-ci, plus de 45 % n’ont procédé à aucun changement. L’ancienneté, qui joue souvent en défaveur des membres des groupes cibles puisqu’ils possèdent en général moins d’années d’expérience dans les entreprises qui les emploient, demeure un facteur déterminant pour l’obtention d’une promotion pour les deux tiers des entreprises; cette situation pourrait s’expliquer par le fait que la majorité des entreprises soumises à l’obligation contractuelle sont syndiquées.

Comme le précise Chicha, l’impact limité de l’examen du système d’emploi peut laisser perplexe quant à l’efficacité réelle d’un auto-examen. Même dans les cas, où les entreprises ont procédé à des révisions, on ne peut affirmer hors de tout doute que celles- ci soient cohérentes avec les objectifs de l’accès à l’égalité.

Pourtant, comme le remarquait Chicha en étudiant ces entreprises, alors que la majorité semble stagner ou progresser très lentement dans l’atteinte de leurs objectifs, un petit groupe d’entreprises semblent être nettement en avance, ce qui laissait croire que d’autres variables que le seul cadre des obligations juridiques devaient être opérantes pour expliquer les résultats. Ces « facteurs de réussite » semblent être des caractéristiques des entreprises. Comme le constatait Charest (2003), il semble que les entreprises qui perçoivent des avantages à la diversification de leur main-d’œuvre ont des niveaux de conformité au PAE qui sont supérieurs, ce qui peut laisser supposer que le cadre

juridique, dans un contexte où celui-ci est très peu coercitif, n’est pas suffisant pour remettre en question la puissante force d’inertie qui semble opérante dans les entreprises québécoises. Aussi devient-il intéressant d’étudier ce cadre juridique en parallèle avec ce que certains considèrent comme la réponse managériale aux questions des luttes aux discriminations (Agocs et Burr, 1996), c’est-à-dire la « gestion de la diversité » que nous aborderons dans le prochain chapitre.

Chapitre 4 : Une réaction managériale aux programmes d’accès à l’égalité : la