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Chapitre 1. : Automatisation Cognitive et décisions collectives

1.2 La situation de conduite

Les décisions d’intervention sur la situation dépendent du sens (connaissances opérationnalisées) et de la valeur (appréciation de l’utilité des informations) que l’observateur accorde aux phénomènes perçus. Dans ces conditions, il s’agit moins d’expliquer la situation en recherchant des relations de cause à effet que de la « recadrer », c’est-à-dire en construire une représentation qui convienne à l’action.

L’objet de la supervision ne doit pas seulement être le fonctionnement du procédé physique, mais le système que constitue l’outil de production conduit par une équipe d’exploitation. Pour intervenir au niveau de réalité choisi, la situation doit prendre forme et prendre sens au travers de représentations, pour l’observateur confronté à des difficultés de compréhension, d’anticipation ou de maîtrise. L’aide à la décision doit reposer sur des représentations adéquates à l’activité de surveillance et de diagnostic (Celse, Gentil and Montmain, 2007) ; (Gentil, Montmain and Combastel, 2004) ; (Evsukoff, Gentil and Montmain, 2000) ; (Montmain and Gentil, 2000). En fait, on peut considérer que l’observateur se met lui-même en scène dans une situation de confrontation à un objet de connaissance (la situation de conduite) dont il construit une représentation qui convienne à son projet d’intervention (Gentil and Montmain, 2005). Essayant d’agir à distance d’un lieu où il ne se trouve pas, l’observateur est dans une situation à la fois d’action dynamique, de conception et de prise de décision (Penalva, 1997). Surveiller une installation conduite par une équipe d’exploitation définit une situation complexe qu’un observateur, opérateur ou système de supervision, cherche à diagnostiquer (Montmain, 2000c).

Une aide à la décision en salle de conduite nécessite donc que l’on dispose à la fois d’un modèle de référence du système industriel (Cordier et al., 2004) ; (Cauvin et al., 1998), mais aussi de la stratégie en termes de contraintes et d’objectifs de l’exploitant si l’on veut régir au mieux les interactions entre l’homme et la machine pour gérer au mieux la situation complexe de conduite (Montmain, 2000a). C’est l’optimisation de cette résolution conjointe qui laisse espérer la meilleure adaptativité de l’exploitant face à des événements redoutés et inconnus. Ce n’est ni l’abondance d’indicateurs sophistiqués basée sur des systèmes informatiques toujours plus performants, ni les outils et méthodes de diagnostic issus de la recherche en

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automatique et qui visent à éliminer purement et simplement l’opérateur de la salle de conduite, qui permettent de définir l’aide à la décision idéale (Montmain, 2005). L’automatique et l’intelligence artificielle ont tenté dès le milieu des années 80 de fournir des outils plus adaptés pour résoudre cette situation complexe : l’automatique a produit des représentations mathématiques dédiées au diagnostic de systèmes industriels, l’inteligence artificielle (IA) nous a livré les fondements logiques de la théorie du diagnostic. Cette aide à la décision doit être fonction de la situation de conduite, de l’attitude adoptée par l’exploitant face aux risques encourus comme nous l’illustrerons plus loin.

La supervision en salle de conduite, comme la sécurité industrielle, n’est qu’une facette de la problématique plus générale de la maîtrise des risques ou le management des activités à risques. L’intervention en situation complexe ne comporte-t-elle pas toujours une part de risques ? En effet, une autre façon d’introduire la notion de risque dans l’action est de souligner que la maîtrise des systèmes complexes passe par l’acceptation d’un contrôle incomplet (Mélèse, 1991). L’amélioration continue des performances de l’entreprise conduit nécessairement à la prise de risques au sens général du terme. La maîtrise est prise comme un état opposable à celui de crise, sans en être son contraire, qui serait la routine (Latour, 1994). L'aide à la décision en situation complexe revêt également une dimension collective : le collectif d’acteurs en charge de la situation complexe doit en partager une représentation commune qui est utilisée comme vecteur ou support par le collectif pour élaborer un diagnostic, évaluer les solutions d’intervention et les argumenter. Les décisions qui concernent la conduite stratégique de l’entreprise concernent généralement un nombre conséquent d’acteurs et de partis ; qui plus est, leur caractère stratégique nécessite que l’on en rende compte à des partenaires sociaux, économiques ou politiques extérieurs à l’entreprise. Définir une représentation en adéquation avec les modes de raisonnement des acteurs de la décision n’est pas chose simple, mais que cette représentation soit interprétable et objective pour un collectif d’acteurs constitue encore un autre challenge. La représentation doit alors avoir valeur de médiation.

Si l’on considère la contribution de l’automatique et de l’intelligence artificielle à l’aide à la décision en salle de conduite, on ne peut qu’amèrement constater que le nombre d’applications industrielles n’est pas à la hauteur des résultats scientifiques de ces deux disciplines… Une explication de cet échec réside vraisemblablement dans le trop peu d’attention accordée à la relation qui doit s’établir entre l’homme et l’outil informatique pour la résolution collective de problèmes. Le partage des tâches entre l’homme et la machine au plus haut niveau décisionnel reste un sujet bien délicat. L’informatisation des contrôles et de certaines actions, poussée jusqu’à l’automatisation cognitive totale, c’est-à-dire le remplacement de l’homme pour certaines fonctions de décision, explique, par exemple, le rejet total des premiers systèmes experts des années 80 par les opérateurs en salle de conduite, persuadés que l’informatique les déposséderait de leur travail.

Le degré d’informatisation d’une tâche dépend du niveau de formalisation de celle-ci. Sur les tâches à plus haut niveau cognitif, autrement dit les moins formalisables, l’homme ne saurait donc être remplacé, mais simplement accompagner dans son raisonnement, la résolution du problème est alors fonction de la coopération homme/machine. Dans l’industrie, l’homme est

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encore perçu comme le dernier maillon de la fiabilité (nous reviendrons sur ce point). Les avions sans pilotes et les centrales nucléaires sans opérateurs ne sont pas pour demain. Dans ce cas, l’automatisation cognitive doit s’apparenter à un support méthodologique, calculatoire ou décisionnel interactif, qui favorise le raisonnement. Le succès d’un STI dans l’industrie passe souvent par une conception de l’outil informatique qui prenne en compte de façon explicite la relation homme/machine qui devra s’instaurer en fonction du degré de formalisation des problèmes à résoudre et de la nature de la situation.