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Chapitre 3. Influence dans un réseau social et pilotage de la délibération

2.2 La notion de dynamique dans un débat

2.2.2 Argumentation et révision des connaissances

Au cours de la délibération, nous avons vu que les acteurs peuvent changer d’avis et abandonner leur inclinaison initiale en faveur d’une alternative et en choisir une autre dans une dynamique de groupe qui obéit à des phénomènes d’influence sociale entre les acteurs (Grabisch and Rusinowska, 2010) ; (Rico et al., 2004) mais aussi aux stratégies d’argumentation de ces acteurs (Amgoud, Belabbes and Prade, 2004) ; (Belabbès, 2007) ; (Amgoud and Prade, 2009). L’argumentation est un moyen de négociation entre les acteurs qui peut s’avérer très efficace. La modélisation de la négociation argumentée consiste alors à gérer les échanges d’arguments entre les acteurs et à mettre à jour leurs connaissances en fonction d’informations nouvelles.

l

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Un dialogue de négociation émerge à partir d'une situation de conflit d'intérêts entre deux acteurs individualistes ayant un désir de coopérer (Belabbès, 2007). L'exemple souvent donné dans les systèmes multi agents est le conflit sur le partage de ressources rares. Un acteur souhaite réaliser une certaine action, et il s'aperçoit que pour ce faire, il a besoin d'utiliser une ressource détenue par un autre acteur. Le conflit apparaît lorsque le second acteur a lui-même besoin de la ressource pour réaliser une action en accord avec ses propres préférences. Les acteurs échangent donc des offres et des contre-offres, soutenues par des arguments, pour trouver un accord sur le partage de la ressource. Le but personnel de chaque acteur est de maximiser sa propre part de la division de la ressource, tout en respectant l’objectif de la négociation qui est de parvenir à un compromis acceptable pour tous les acteurs de la décision. Les agents sont supposés prêts à faire des concessions sur certains de leurs buts individuels pour atteindre cet accord (Belabbès, 2007).

La négociation a été largement étudiée par la théorie des jeux. Selon cette perspective, l'utilité est le seul paramètre considéré par les acteurs pour négocier le partage d’un gain (Giroud, 2000) (Owen, 1995) (Moulin, 1995) (Labreuche, 2007). La théorie des jeux réduit la négociation à l’échange d’offres et de contre offres, jusqu’à trouver celle qui satisfasse au mieux les acteurs (reste à s’entendre sur le sens de « au mieux » (Labreuche, 2007)). En dehors des hypothèses de modélisation pratiquées dans ces approches (les acteurs ont une connaissance parfaite et des préférences explicites précises qui restent les mêmes tout au long de la négociation), ces approches ne permettent malheureusement pas d’échanger des informations sur les offres ni de donner les raisons d’un rejet ou d’une acceptation. La justification des choix d’un acteur vis-à-vis des autres acteurs devrait améliorer efficacement la recherche mutuelle d’un compromis (Belabbès, 2007).

a. La négociation argumentée

Amgoud et Prade se sont intéressés à l’intégration de l’argumentation dans la négociation (Amgoud, Belabbes and Prade, 2004) ; (Belabbès, 2007) ; (Amgoud and Prade, 2009). Ils expliquent comment l’argumentation peut assister les acteurs dans leur raisonnement inférenciel et décisionnel à partir des informations dont ils disposent pour la résolution de conflits. Selon leur modèle inférenciel, un argument se compose de prémisses qui apportent une justification, une explication ou une preuve en faveur de la conclusion. La construction d’arguments se fait depuis une base de connaissances en fonction des croyances et des objectifs de l’acteur.

Plus précisément, les auteurs de (Belabbès, 2007) et (Amgoud and Prade, 2009) proposent un cadre d’argumentation pour définir un pré-ordre sur les alternatives en concurrence à partir de deux types d’arguments : les arguments épistémiques se rapportant à des croyances, et les arguments de décision se rapportant à des alternatives. Dans la suite, un rappel des notions liées à l’argumentation proposées dans (Belabbès, 2007) et (Amgoud and Prade, 2009) est donné.

Dans (Belabbès, 2007), l’auteur montre que seulement les arguments de décision peuvent être retenus pour établir un préordre sur les alternatives et que la partie inférencielle de

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l’argumentation peut être traitée séparément sans influence sur l’acceptabilité des arguments de décision. L’acceptabilité des arguments est basée sur le cadre proposé par Dung (Dung, 1995) : un argument est acceptable pour un agent rationnel s'il peut le défendre contre tout conflit, l'ensemble de tous les arguments acceptés par cet agent est un ensemble d'arguments qui se défendent mutuellement contre tout conflit. La théorie de l’argumentation de Dung est traitée plus en détail dans le Chapitre 5.

La manipulation des arguments des agents passe par une représentation de leurs connaissances et de leurs préférences i.e., le mental d’un agent. Une représentation possibiliste du mental d’un agent au cours de la négociation peut être présentée (Belabbès, 2007) par un triplet, noté D K G, , , où :

- D est l’ensemble des décisions réalisables commun à tous les agents. Il s’agit des

conjonctions ou disjonctions des décisions élémentaires. Il représente l'ensemble des offres que les agents sont susceptibles d'échanger dans une négociation ;

- K contient les croyances ou connaissances d’un agent, il n’est pas nécessairement

consistant ;

- G est la base des buts de l’agent. Elle contient ce que l’agent souhaite réaliser ce qui revient à dire pour chaque but de G, l’agent recherche les situations où ce but est

réalisé.

Pour mettre en valeur les connaissances les plus sûres et les buts prioritaires d’un agent, les bases K et G sont stratifiées :

- La base K est partitionnée et stratifiée en plusieurs bases K0,...,K (n

0, l l n K K   ) telles

que les formules dans K ont le même degré de certitude et sont plus certaines que l celles dans Kl' , où

'

ll. Cette base peut être inconsistante, i.e., contenir des connaissances incohérentes. On note : U {0,1,..., }n .

- La base G est aussi partitionnée et stratifiée en G0,...,Gm (

0, t t m

G G

 ) telles que les buts dans Gt ont la même importance et sont plus importants que ceux de '

t

G , où '

tt. Cette base est supposée consistante, donc un agent n'est pas autorisé à avoir des buts contradictoires. On note V {0,1,..., }m .

Les bases de croyances et de buts stratifiées peuvent être aussi représentées sous forme de bases logiques possibilistes (Dubois and Prade, 2001) (Dubois, Lang and Prade, 1994). Ainsi les bases K et G d’un agent peuvent être représentées de la façon suivante :

{(bj,j), 0 j t}

   où la paire (bj,j) signifie que la croyance `bj est vraie' est certaine ou est prioritaire au moins à hauteur de j.

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La base est associée à une distribution de possibilité notée  ( : W) où  est un ensemble d’interprétations et WU ou WV, de la façon suivante (Dubois, Lang and Prade, 1994) : 1 ( ) min max( ( ),j ( j)) j pb inv        ( 3.11) où : ( ) si satisfait 0 si falsifie t j j j b b b         

et inv W: W est une application qui renverse l'ordre sur W telle que si inv(0)t et ( t) 0

inv   .

A partir du triplet D K G, , , des arguments sont construits en faveur ou contre une alternative. Un argument arg d’un agent est représenté par un ensemble de connaissances consistantes SK, une alternative dD et un but gG qui est satisfait ou violé quand l’alternative d est choisie : arg : S d g, , .

Définition 3.5 : Arguments PRO - Un argument en faveur d’une alternative d est un tuple arg : S d g, , où S{ }d est consistant (i.e., d est applicable dans le contexte S) et

{ }

Sd g (satisfaction garantie d’un but), S est le support de l’argument arg.

Définition 3.6 : Arguments CON :

- Un argument fort contre une alternative d est un tuple arg : S d g, , où S{ }d est consistant (i.e., d est applicable dans le contexte S) et S{ }dg (violation garantie d’un but) , S est le support de l’argument arg ;

- Un argument faible contre une alternative d est un tuple arg : S d g, , où S{ }d est consistant (i.e., d est applicable dans le contexte S) et S{ } d g (absence d’une bonne conséquence) S est le support de l’argument arg.

Dans le cas d’un débat, un agent a besoin de définir un ordre de préférence sur ses arguments pour savoir lequel avancer à un instant donné de la négociation argumentée. Dans (Belabbès, 2007) et (Amgoud and Prade, 2009), la notion de force d’un argument est introduite à cet effet. Elle est basée sur les notions de niveau et de poids :

- Niveau(arg), désigne le niveau de certitude de arg et est le degré de certitude de la

connaissance la moins sûre que arg utilise :

min{ / (1 ) tel que }

(arg) si S= l l l l n S S K Niveau n          ;

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- Poids(arg), désigne le poids (ou degré de satisfaction) de arg, c’est le degré d'importance du but G : Poids(arg) si gG.

Définition 3.7 : force‎ d’un‎ Argument de décision - la force d’un argument

arg : SK d, D g, G d’un agent, notée F(arg) 2, est définie par :

(arg) : ( (arg), (arg))

FNiveau Poids .

Une préférence f entre les arguments peut être définie en utilisant la force d’un argument (Amgoud and Prade, 2009), de la façon suivante (ceci en considérant la commensurabilité des échelles UV) :

' ' '

arg f arg ssimin(niveau(arg),Poids(arg))min(niveau(arg ),Poids(arg )) ( 3.12) Les agents peuvent utiliser plusieurs stratégie pour la séléction de leur argument. Dans (Belabbès, 2007), par exemple, il est supposé que l’agent adopte une stratégie coopérative.

b. Utilité qualitative pessimiste

Dans le cas de l’aide à la décision sous incertitude (Amgoud, Belabbes and Prade, 2004) ; (Belabbès, 2007) ; (Amgoud and Prade, 2009), les auteurs considèrent que, un agent est capable d’évaluer une alternative dD en fonction de ses croyances dans K et de ses buts dans G. Plusieurs critères ont été introduits à cet effet. Nous étudions plus particulièrement le cas du critère pessimiste (Dubois and Prade, 1995) ; (Dubois, Prade and Sabbadin, 2001) (utilité pessimiste, notée E* cf. la formule ( 3.13)). Ce critère a été choisi pour la « prudence » qu’il garantit aux agents par rapport à leur évaluation. En effet E d est petit s'il existe une *( ) conséquence possible de d qui est à la fois très plausible et mauvaise du point de vue des préférences (attitude d’aversion au risque d’où l’intitulé d’utilité pessimiste).

Soit Kd la base de connaissances construite à partir de la base K à laquelle la décision d est

ajoutée à la strate Kn, et qui représente la description de ce qui est connu sur le monde lorsque d est appliquée. Soient d la distribution de possibilité associée à Kd et  la distribution de possibilité associée à G définies à partir de la formule ( 3.11) , toutes deux définies d’un ensemble d’interprétations  vers U (on suppose que VU), une utilité qualitative pessimiste de d peut être définie par :

*( ) min max( ( ), ( d( )))

E d inv

    

( 3.13)

:

142 c. La révision des connaissances

L’évolution dynamique par révision dans le cadre possibiliste à l’arrivée d’une nouvelle information a suscité un intérêt considérable en représentation des connaissances (Benferhat et al., 2002a) ; (Benferhat et al., 2002b) ; (Benferhat et al., 2009) ; (Dubois and Prade, 1997) ; (Dubois, Moral and Prade, 1998).

Dans la logique possibiliste, la révision des croyances d’un agent après l’arrivée d’une nouvelle information notée ( , )p (i.e.,  est le degré de certitude de p) consiste à obtenir

une nouvelle distribution de possibiliste '

à partir de la distribution  (qui représente la base de connaissance K dans la formule ( 3.11)) et p. Cette distribution doit satisfaire au

moins les deux conditions suivantes (Benferhat et al., 2002a) : (i) N' ( )p 0 (i.e., p est

quelque peu acceptée) et (ii) '

est normalisée (i.e., le nouvel état de croyances est cohérent). Plusieurs propositions de révision ont été suggérées : dans (Dubois, Moral and Prade, 1998), les auteurs reprennent les trois formes basiques de la dynamique des croyances décrites par Gardenfors (Gardenfors and Rott, 1995) : expansion, contraction et révision pour les représenter dans le cas possibiliste, citons encore la révision à base de conditionnement (Benferhat et al., 2002a) (Dubois, Moral and Prade, 1998) basée sur le conditionnement possibiliste (le dispositif de conditionnement similaire à celui des probabilités (Dubois, Moral and Prade, 1998)). Nous allons présenter cette dernière révision en détail.

Dans le cas où la nouvelle information est sûre n, la révision consiste à considérer toute

interprétation contredisant la nouvelle information comme impossible et N' ( )p 1. Comme

nous sommes dans un cadre ordinal, le conditionnement rappelé est basé sur l’opérateur min :

' min n si ( ) ( ) et satisfait p ( ) : ( / ) ( ) si ( ) ( ) et satisfait p 0 sinon p p p                       ( 3.14)

où  est la mesure de possibilité associée à la distribution de possibilité  .

Dans le cas où l’information n’est pas sûre, la condition (i) devient N' ( )pa (Benferhat et

al., 2002b). Les auteurs de (Benferhat et al., 2002b) proposent une écriture des équations ( 3.14) dans le cas d’ajout d’une nouvelle information incertaine :

- Conditionnement pour le cas où satisfait p :

' min n si ( ) ( ) ( ) : ( / ) ( ) sinon p p                ( 3.15)

143 ' ' min n si ( ( ) ( ) ou ( ) 1 ( )) ( ) : ( / ) ( ) sinon p N p p                        ( 3.16)

La révision à base de conditionnement est le processus que nous utiliserons pour notre modélisation dynamique du débat dans la section 3 de ce chapitre. Elle correspond, en effet au cas général où les agents orateurs proposent des arguments fondés sur des connaissances non nécessairement certaines que les agents auditeurs doivent intégrer dans leurs bases de connaissances respectives.