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Chapitre 1. : Automatisation Cognitive et décisions collectives

2.2 Performances attendues de la relation homme/machine

Ces quelques pages ont pour objet de montrer combien l’enjeu de l’informatisation des connaissances ou de l’automatisation cognitive est un challenge d’actualité. Nous avons précisé que nous parlerons d’automatisation cognitive dès lors qu’il s’agit d’informatiser une tâche dont le contexte dynamique peut être au moins partiellement modélisé formellement. La relation complexe qui s'instaure entre l'homme et le « système » qu'il cherche à maîtriser via le STI est alors fonction du niveau de formalisation du problème à résoudre et peut se décliner selon trois modes : la délégation, la substitution et la médiation.

 La délégation consiste à confier au STI des tâches à faible niveau décisionnel dont le caractère répétitif ou fastidieux fait l’objet de nombreuses erreurs humaines, le gain attendu est alors la fiabilité ;

 La substitution met à profit la supériorité des capacités de calcul et de stockage de la machine en lui confiant la responsabilité de l'exécution de tâches réputées difficiles ;

 Enfin, la médiation utilise le système comme un support de l'interaction collective (a minima le couple homme/machine) pour exploiter la synergie entre un individu (ou une communauté) et le STI dans les tâches à plus haut niveau décisionnel non intégralement automatisables.

Pour chaque mode, l'efficience de la relation relève de trois perspectives d'analyse qui sont respectivement : la confiance que l'homme peut accorder au système pour la relation de délégation, la performance que le système peut faire valoir pour la relation de substitution, la qualité de l'interaction obtenue pour la médiation.

L'émergence de la décision comme domaine d'étude scientifique remonte aux années 1943 et 1948, moments où apparaissent plusieurs courants de recherche parallèles dont la cybernétique comme science de la communication et de la commande dans les systèmes naturels et artificiels créée par Wiener en 1948 et vite associée aux problématiques de la recherche opérationnelle. La nature des processus décisionnels conduit à considérer différentes stratégies selon que le choix de l’action repose :

 sur la résolution d’un problème dont la représentation formelle peut être délicate ; lorsqu’elle est mathématique ou logique, la résolution peut prendre la forme d’un problème de recherche opérationnelle ;

 sur la recherche de compromis entre différents points de vue et stratégies, la décision est alors non-programmable et le processus devient la recherche d’une procédure acceptable de traitement de l’information. Les outils du multicritère et du traitement de l’information permettent d’appréhender formellement la confrontation de divers points de vue, différentes perspectives d’analyse ;

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 ou encore sur l’interaction entre des groupes aux intérêts divergents (décision non structurée) ; le problème décisionnel se développe par un exercice d'adaptation de l’organisation. Il s'agit là de construire un processus dans lequel tous les acteurs puissent être capables de contribuer à une action collective qui fasse sens individuellement et collectivement. Les approches agents fournissent des outils intéressants dans ce cas que ce soit en termes de protocole ou de négociation. Les Sciences Humaines et Sociales (March, 1991) ont ouvert de nouvelles perspectives. L’étude de ces différents processus de décision et d’action doit conduire à proposer des outils et méthodes destinés à aider l’homme à conduire son action c’est-à-dire une ingénierie de la décision et de l’action avec un degré d’automatisation plus ou moins marqué selon que le modèle est complètement mathématisable (ROP, Théorie des jeux, etc.), partiellement mathématisable (Théories de l’incertain, Théorie de l’Utilité Multi Attributs, Raisonnement Approximatif, etc.) ou pas (Systèmes Multi-Agents, Théorie de l’Argumentation, etc.). On se placera donc ici principalement dans une relation de médiation entre un collectif d’acteurs et leur STI sans pour autant renoncer à la délégation ou à la substitution lorsqu’une partie du processus de décision le permet, et le résultat escompté se mesurera au niveau de l’efficience et de la fiabilité du système homme/machine dans la résolution de problèmes.

A l’heure où le traitement de l’information s’est introduit dans l’entreprise comme dans nos modes de culture, où les sections CNU 61-Génie informatique, automatique et traitement du signal et 27-Informatique ont bien du mal à se démarquer l’une de l’autre, le problème de l’automatisation cognitive apparaît comme un enjeu fort de notre société de l’information. Nous pensons que les tâches qui nécessitent l’emploi d’un modèle plus ou moins complexe, sur la base duquel l’homme va construire un raisonnement pour agir, relèvent de l’automatisation cognitive. L’objet de cette dernière ne doit pas être de reproduire systématiquement le raisonnement humain―l’homme étant lui-même susceptible de défaillance au sens fiabiliste du terme, mais d’augmenter le niveau d’interaction et de coopération homme/machine pour une résolution de problèmes complexes non totalement automatisables plus fiable, plus performante, en utilisant les fortes capacités de traitement de l’information, calculatoires et de mémoire de la machine, les heuristiques et l’adaptabilité de l’homme.

3. Fiabilité humaine et aide à la décision

Pour qu’il y ait vraiment une résolution collective d’une situation de décision par le couple homme/machine, il est nécessaire que la méthodologie de conception du système d’aide à la décision tienne compte de l'aspect de coopération avec l’homme et intègre une analyse des activités de celui-ci tout au long du processus décisionnel. Si l’individu peut être considéré comme une composante d’adaptation et de réactivité de l’organisation face aux événements ou perturbations internes et externes à celle-ci, d’un autre côté, ses performances sont sujettes à d’importantes variations, qui peuvent avoir une incidence sur la situation et remettre en cause la mission qui lui a été confiée. Pour prendre la mesure de ce risque, il faut considérer

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les acteurs d’un processus décisionnel comme des facteurs de risque par la variabilité de leurs performances. Cette variabilité est à l’origine de la défaillance (inaptitude à assurer une fonction requise), qui peut conduire à l'erreur humaine (les actions effectives ne correspondent pas aux intentions) (Benkhannouche, 1996) ; (Reason, 1993). C’est justement en analysant ces erreurs humaines dans le cadre de l’activité de la décision, leurs manifestations et leurs conséquences, leurs liens avec les tâches confiées au décideur que l’on peut proposer des aides pertinentes pour l’aide à la décision.

Citons le schéma linéaire en cinq étapes d’un processus de décision dont Sfez dénonce le caractère simpliste (Sfez, 1992) pour illustrer nos propos. Les cinq phases mentionnées y sont la formulation d’un désir et conception d’un projet y répondant, la prise d’information, la délibération, la décision proprement dite et l’exécution.

L’absence d’une ou plusieurs de ces phases correspond à une déviation que l’on peut étiqueter :

 s’il manque l’exécution, on parlera de velléité ;

 si l’on passe directement de la conception à la décision, on parlera d’impulsivité ou d’instinct ;

 si l’on ne saute que la prise d’informations, on parlera de paresse, de manque de rigueur ;

 si l’on saute la délibération, on parlera de légèreté ou de précipitation ;

 si l’on s’arrête à la délibération, il s’agira plutôt d’intellectualisme.

Si la déviation n’est pas intentionnelle, alors il s’agit d’une défaillance humaine individuelle ou collective selon le cas qui peut conduire à l’erreur malheureuse, la mauvaise décision, l’action manquée.