• Aucun résultat trouvé

6.3 Vers un changement d’échelle de modélisation

6.3.1 Simulation de l’infusion d’une pièce complexe

Géométrie et stratégie d’infusion

Afin d’appréhender les problématiques associées à la simulation de pièces complexes, cette section propose d’appliquer les outils numériques à la simulation de l’infusion d’une pièce aéronautique courante. La géométrie considérée est représentée sur la figure 6.20, et correspond à un panneau auto-raidi dont les raidisseurs sont en forme de « T ». Cette géométrie est caractérisée par de fortes courbures et de fortes variations d’épaisseurs et de perméabilités.

La première problématique associée à la simulation de géométries complexes corres- pond au raffinement du maillage nécessaire à la représentation des formes et phénomènes (écoulements). La seconde est associée à l’optimisation du procédé et à la définition de la stratégie d’infusion. Pour cette géométrie, la stratégie d’infusion testée et simulée consiste à créer un lit de résine sous la pièce, via un drainant, et de positionner une prise de vide sur le haut du raidisseur. Compte tenu de cette stratégie d’infusion, la modélisation du domaine est réalisée en 2D et uniquement sur un raidisseur de la voilure. Les conditions aux limites associées à la stratégie d’infusion sont représentées sur la figure 6.20. Pour le problème de mécanique des fluides, elles consistent à imposer des conditions aux limites

6.3 Vers un changement d’échelle de modélisation 155 AU_UD_0 du plan d’expérience. La perméabilité dans le plan des préformes n’a pas été caractérisée et est approchée par Kp = 100Kt. Enfin, Kisoest défini tel que Kiso = Kt.

Pour cette application, le tenseur de perméabilité Kisoest utilisé dans deux contextes dif-

férents. Le premier correspond à la modélisation de la perméabilité de la tête de clou (dont la caractérisation serait nécessaire). Le second est un contexte comparatif pour montrer l’impact d’une modélisation isotrope ou orthotrope de la perméabilité sur l’imprégnation de la pièce.

La loi de comportement définie à l’équation 5.28 (page 124) est utilisée pour modé- liser le comportement des préformes. Pour être cohérent avec la définition de la perméa- bilité, le comportement transverse simulé correspond à la configuration AU_UD_0. Le drainant est modélisé comme un milieu isotrope dont la déformation est négligeable de- vant celle de la préforme (Module d’Young de 210 MPa). Enfin, le comportement de la tête de clou est défini pseudo-isotrope non-linéaire de coefficient de Poisson nul compte tenu de la rigidité bien supérieure à celle des préformes. En 2D, la loi de comportement de ce matériau s’écrit :                S11 S22 S33 S12                =                f(E11) 0 0 0 f(E22) 0 0 f(E33) 0 sym Gt                               E11 E22 E33 2E12                (6.6)

où la fonction f qui caractérise la relation S = f (E) est issue des caractérisations réa- lisées dans la direction transverse de la configuration AU_UD_0. On peut remarquer ici que même si les simulations sont réalisées avec un état de déformations planes, l’utili- sation d’un état de contraintes planes n’entraînerait pas de modification sur le résultat, compte tenu de la définition du module de Poisson à la valeur nulle. Enfin, le module de cisaillement est approché par Gt ≈ E2t ou Et désigne le module tangent de la relation

S22= f(E22).

Simulations et résultats

Trois simulations ont été réalisées mettant en avant le caractère déformable des pré- formes et la simulation d’une perméabilité isotrope ou orthotrope pour la peau et le raidis- seur. Les configurations simulées sont définies dans le tableau 6.6. Les deux premiers cas de simulation sont réalisés sans simulation de la déformation des renforts et en utilisant des épaisseurs équivalentes pour un tv f ≈ 61% (correspondant au tv f du drapage sous une pression de 1 bar). Le troisième cas prend en compte la déformation des renforts et l’évolution de la perméabilité qui en résulte.

Permabilité Comportement mécanique Cas de simulation Peau Raidisseur Tête de clou Peau Raidisseur Tête de clou

1 isotrope isotrope isotrope - - - 2 orthotrope orthotrope isotrope - - - 3 orthotrope orthotrope isotrope orthotrope orthotrope isotrope

Tableau 6.6: Définition des paramètres matériaux utilisés pour les trois cas de simulation. Les simulations ont été réalisées avec les paramètres définis dans le tableau 6.2. Une

redéfinition automatique des pas de temps a été opérée selon les paramètres définis dans le tableau 6.7. Les maillages utilisés pour ces simulations sont non-structurés et comptent environ 15 000 nœuds pour environ 30 000 éléments (mais avec des épaisseurs de dra- pages différentes du fait de la configuration initiale compactée pour les simulations sans déformations). Le tableau 6.8 présente les ordres de grandeurs des temps nécessaires à ces cas de simulation (réalisés sur un cœur d’un ordinateur de bureau classique en utilisant MUMPS en sa version non-parallélisée3). Ces temps montrent que la simulation de la

déformation et les traitements associés (mise à jours des géométries et du tv f ) sont long et coûteux en temps de traitement.

2D Paramètre Valeur

Ls(m) 0,0001 pour t ∈ [0; 0, 01] puis 0,0025

Ld(m) 0,0001 pour t ∈ [0; 200] puis 0,001

∆t0(s) 0,0001

Tableau 6.7: Paramètres du modèle pour le calcul des pas de temps automatiques.

Cas de simulation Temps de calcul 1 et 2 ≈ 1650 s (≈ 30 min)

3 7035 s (≈ 2h)

Tableau 6.8: Temps de calculs associés à la simulation de l’infusion du raidisseur en « T ». La figure 6.21 présente la position du front de fluide en noir et les champs de pression obtenus à différents temps de remplissage dans les conditions de simulation 1 et 2 (ta- bleau 6.6). Au temps t = 0 s les champs de pression initiaux obtenus dans les préformes montrent des différences notables (pertes de charge associées au fluide modélisant l’air) et, notamment, le gradient de pression dans le cas isotrope est uniquement présent dans la partie verticale du raidisseur. Au cours de l’imprégnation, l’évolution du front de fluide dans la préforme est également sensiblement éloignée car l’inclinaison du front de fluide est différente dans ces cas de simulation. Qualitativement, la simulation réalisée en iso- trope montre des difficultés d’imprégnation sur la partie droite du raidisseur (point « a » présenté sur les figure 6.20 et 6.21 ) alors qu’une simulation réalisée en orthotrope montre des difficultés d’imprégnation principalement présentes au niveau du pied du raidisseur.

La figure 6.22 présente les mêmes évolutions, obtenues avec la modélisation de la déformation des préformes orthotropes (cas de simulation 3). Sur ces prises de vues, le champ de pression et le front de fluide sont représentés sur la géométrie déformée alors que le maillage affiché représente la géométrie initiale non déformée. Des grossissements sont réalisés afin d’avoir une meilleure visualisation de la position du front de fluide. La phase de remplissage du drainant pour t = 5, 1 s est représentée sur cette figure ainsi que la position du front de fluide à des temps comparables à ceux présentés pour le cas de

3. MUMPS (MUltifrontal Massively Parallel sparse direct Solver) est un logiciel développé pour ré- soudre des systèmes linéaires creux de très grande dimension. Il est donc très adapté à la résolution des systèmes éléments finis.

6.3 Vers un changement d’échelle de modélisation 157

Figure 6.21: Représentation du champ de pression et de la position du front de fluide pour les infusions réalisées avec des perméabilités isotropes et orthotropes.

simulation 2 de la figure 6.21. Les grossissements mettent en évidence que cette straté- gie d’infusion introduit des risques de zones sèches sur toute la surface du raidisseur et principalement dans la zone à forte courbure. Sur une pièce réelle, ces défauts seraient facilement détectables car placés en surface de la pièce. Par contre, la représentation pro- posée au temps t = 1204 s montre également un défaut d’imprégnation de la tête de clou. Ce risque est plus critique car c’est une zone difficile à contrôler post-infusion par des méthodes d’analyse non-destructives. Toutefois, ce phénomène est dépendant des per- méabilités associées aux matériaux utilisés (car il n’est pas présent sur l’infusion isotrope sur la figure 6.21). Ce problème montre ainsi qu’il est nécessaire et primordial de savoir caractériser l’ensemble des matériaux utilisés sur cette structure.

Enfin concernant l’évolution temporelle du remplissage des préformes, la figure 6.23 présente le taux de remplissage défini par la relation :

Taux de remplissage = Volume/surface de la préforme

Volume/surface de la préforme imprégnée (où φf >0)

Figure 6.22: Évolution du front de fluide et du champ de pression à différents temps de l’infusion d’un raidisseur en « T ».

6.3 Vers un changement d’échelle de modélisation 159 Ces courbes montrent que le remplissage obtenu avec une perméabilité isotrope (dans la peau et le raidisseur) est très différent des résultats obtenus avec une perméabilité orthotrope. Le début du remplissage de la préforme (après le remplissage du drainant) commence à partir de 150 s contre un temps d’une dizaine de seconde en conditions or- thotropes. Ensuite, l’écart augmente progressivement durant toute l’infusion. Numérique- ment, la préforme est imprégnée après plus 50 000 s (soit près de 14 h) ce qui n’est pas réaliste vis-à-vis de la fenêtre d’infusion et de l’avancée de la réticulation de la résine. Concernant les deux configurations caractérisées par des perméabilités orthotropes avec et sans simulation de la déformation, un écart apparaît après un taux de remplissage d’en- viron 40%. Cet écart augmente jusqu’à atteindre 4% en terme de taux de remplissage. Contrairement aux observations réalisées sur l’infusion d’une plaque, l’infusion d’une pièce complexe montre une influence de la déformation de la préforme sur les temps de remplissage. Néanmoins, devant les incertitudes et les enjeux associés à la caractérisation de la perméabilité, ce phénomène n’est pas du premier ordre.

0 20 40 60 80 100 120 0 500 1000 1500 2000 T aux de remplissage de la préforme (%) Temps (s)

Simulation orthotrope avec déformation (tvf variable) Simulation orthotrope sans déformation (tvf ≈ 61%) Simulation isotrope sans déformation (tvf ≈ 61%)

Figure 6.23: Évolution du remplissage des renforts pour les trois cas de simulation.

Afin d’aborder le respect des tolérances dimensionnelles des pièces, la figure 6.24 présente l’évolution du taux volumique moyen aux point (a) et (b) de la figure 6.20. Si au- cune variation n’est observée proche de la prise de vide (point (b)) la variation de l’épais- seur du pied du raidisseur implique une diminution du taux volumique de fibre jusqu’à atteindre un taux inférieur à 57%. Ainsi, même si l’influence du gonflement n’est pas décisive pour la prédiction du temps de remplissage (sur les matériaux de l’étude), cette simulation montre qu’elle est essentielle pour valider une stratégie d’infusion vis-à-vis des tolérances dimensionnelles des pièces.

50 52 54 56 58 60 62 64 0 500 1000 1500 2000 T v f mo yen du stratifié (% ) Temps (s)

Evolution au point (a) (%) Evolution au point (b) (%)

Figure 6.24: Évolution du taux volumique moyen en deux points caractéristiques de la géométrie.