Nancy entre donc dans le XVII
esiècle avec une configuration géographique bipartite :
d’une part la Ville Vieille, un espace déjà largement dominé par les souvenirs de la dynastie
ducale de Lorraine, où le maillage religieux, déjà important, vient d’être renforcé par la division
de la paroisse originelle en deux ; et d’autre part la Ville Neuve, un espace où les membres de
la famille ducale et des familles nobles du duché peuvent apposer leur propre marque par des
fondations propres à montrer à la fois leur piété et leur puissance. Alors que la Ville Vieille
était en somme saturée, le nouveau quartier offre une opportunité particulièrement vaste de
créer une cité idéale, conçue selon les plans de Girolamo Citoni sur un plan régulier de rues
droites et surtout vierge de tout couvent. Or l’époque de la Réforme catholique est celui de la
multiplication des ordres religieux, chargés de porter les idéaux de contemplation, de dévotion,
190 A.M.N., GG 10. Les mais sont signalés mais pas payés.
191 A.M.N., GG 5.
de prédication, d’éducation, … et les ducs de Lorraine se présentent comme champions de la
Réforme catholique. Tous les facteurs convergent pour faire de « Nancy la neuve » un terrain
expérimental pour édifier une cité sainte en plus d’être une capitale digne des ambitions
européennes de ses souverains. La Ville Neuve plus que la Ville Vieille constituent, de plus, un
territoire où le pouvoir doit s’exercer, se montrer et se mettre en scène. Or le palais ducal,
symbole du pouvoir étatique, demeure dans la Ville Vieille : il existe donc une place à prendre
à côté de lui et une influence à construire, dans la Ville Neuve, en lui restant évidemment
soumis.
II. Une « ville-couvent »
193? Nancy forteresse du catholicisme.
La fin du XVI
eet le début du XVII
esiècle constituent une période de profonde
transformation pour la ville de Nancy, comme on l’a vu. Ces transformations sont la suite de
changements plus anciens survenus dans les structures mêmes de l’État lorrain quand celui-ci
s’est construit, à partir de la fin du XV
esiècle, en s’inspirant des us en vigueur dans les États
français et bourguignons
194. Comme on l’a vu avec la création du Conseil de Ville, Nancy est
en partie l’objet de certaines de ces transformations. Mais d’autres changements surviennent à
Nancy même, sans que la Ville en soit à l’origine, alors même qu’ils doivent, dans l’esprit des
ducs de Lorraine, glorifier la dynastie tout en marquant le statut de capitale de la ville. Parfois
même ces changements passent inaperçus dans les archives municipales.
C’est le cas des tentatives successives de Charles III, Henri II et Charles IV de créer un
évêché entièrement lorrain, dont Nancy serait le siège diocésain. Un projet similaire avait déjà
été suggéré par le cardinal Charles de Lorraine (1524-1574), frère cadet de François de Guise,
lors de la dernière session du concile de Trente (1562-1563), en suggérant qu’on transfère les
sièges épiscopaux à Nancy, Bar-le-Duc et Saint-Dié
195. En 1570, une Bulle commissoire du
Pape Pie V (1566-1572) lui accorde les pleins pouvoirs pour ériger des évêchés en ces villes.
Pour justifier ces érections, on avance en premier lieu que les évêques de Toul, Metz, et Verdun
ne peuvent remplir les fonctions épiscopales dans leurs trop vastes diocèses. Mais Nancy,
Bar-le-Duc et Saint-Dié, villes qualifiées d’illustres, magnifiques et « très recommandables », ont
193 L’expression est empruntée à René TAVENEAUX, « La Lorraine, terre de catholicité », dans L’art en Lorraine au temps de Jacques Callot. Exposition du Musée des Beaux-Arts, Nancy, 13 juin-14 septembre 1992. Paris, réunion des Musées Nationaux, 1992, p. 44.
194 MARTIN Philippe, « Les funérailles de Charles III », dans MARTIN Philippe (dir), La pompe funèbre de Charles III… op. cit., pp. 7-16.
195 BOQUILLON Françoise, La cathédrale de Nancy Notre-Dame de l’Annonciation. Haroué, éditions Gérard Louis, 2012, p. 14 ; et PFISTER Christian, Histoire de Nancy, op. cit., vol. 2, p. 666.
leurs propres atouts : une population qui a beaucoup augmenté, qui a conservé la foi catholique
alors que ses voisins d’Allemagne et de France, ce qui mérite récompense. La promotion au
rang d’évêché est considérée comme un moyen d’écarter l’hérésie. « L’étendue de la belle
province de Lorraine » a droit à quelques égards, tout comme la gloire de Dieu, de l’Église,
l’accroissement de la foi
196. Le diocèse n’est donc pas envisagé ici comme un espace donné où
s’exercent les relations entre pouvoirs ecclésiastiques et laïques, ni même comme un espace
géographique
197: nulle part il n’est question des limites des diocèses, ni des négociations qu’il
faudrait engager avec les évêques et les chapitres de Toul, Metz et Verdun pour les convaincre
de céder une partie de leurs juridictions. Aucun pouvoir laïque n’est expressément nommé ;
tout au plus l’allusion aux égards dûs à la Lorraine concerne-t-elle le duc Charles III. Ces
diocèses lorrains ont une définition fondée sur la lutte contre l’hérésie et sur la démographie,
sans préciser par ailleurs le nombre d’habitants minimum requis pour former un diocèse.
Ce premier projet d’évêchés lorrains n’avait pas eu de suite. Beaucoup d’historiens
198ont
attribué cet échec à l’influence française, ce qui n’est que partiellement vrai : le cardinal de
Lorraine lui-même, chargé par le Pape de diriger des négociations, est loin d’y avoir consacré
tous les efforts possibles, étant le premier à perdre de l’influence dans ses propres domaines
199.
À partir de 1597, Charles III tente à nouveau d’obtenir du Pape Clément VIII (1592-1605)
l’érection d’un diocèse dont le siège serait Nancy
200. Politiquement, ce diocèse aurait permis
d’échapper à l’influence française : bien que non reconnue avant 1648, l’occupation des Trois
Évêchés de Metz, Toul et Verdun par la France, depuis 1552, pouvait être perçue comme une
menace pour l’indépendance lorraine ; leurs titulaires pouvaient en effet être désormais choisis
par le roi de France, en vertu du Concordat de Bologne (1516). Le projet prévoit un
démembrement partiel des diocèses de Toul et de Metz, prenant 70 paroisses au premier et 40
au second. Les revenus de l’évêque et de son chapitre auraient été constitués par ceux des
prieurés de Clairlieu, Saint-Martin de Metz, Saint-Nicolas, Varangéville, Saint-Dagobert de
Stenay et de Salonne, de la collégiale Saint-Laurent de Dieulouard, et de trois canonicats de la
collégiale de Saint-Dié
201, tous établissements ecclésiastiques en déclin et qui auraient été
196 A.D.54, G 282.
197 CHAIX Gérald (dir), Le diocèse. Espaces, représentations, pouvoirs. France, XVe-XXe siècles. Paris, éditions du Cerf, 2002, pp. 9-16.
198 Notamment BELLOT-HERMENT François Alexis Théodore, Histoire de Bar-le-Duc, collection Monographies des villes et villages de France, Paris, Res Universis, 1863, réédité en 1990.
199 TALLON Alain, La France et le Concile de Trente (1518-1563). École Française de Rome, 1997, pp. 791-792 ; et SIMIZ Stefano, « Les chemins de la réforme : contacts et déplacements des clercs entre Champagne et Lorraine, v. 1550-v. 1650 », dans BUR Michel et ROTH François (dir), Lorraine et Champagne, mille ans d’histoire. Annales de l’Est. N° spécial 2009. Nancy, 2009, pp. 283-295.
200 B.N.F., collection de Lorraine, n° 590, f.° 66 r°.