À cette fin, la Ville s’engage à verser en tout une somme de 12 000 francs, en plusieurs étapes
non précisées. Qu’une institution municipale finance un collège n’est pas une innovation :
nombre de collèges jésuites des Pays-Bas méridionaux ont été financés par les dons des
particuliers et du Magistrat local
147. Le revenu régulier du collège devait se monter à 5000
francs en tout : 4000 francs de la part de l’évêque, et 1000 francs de la part de la ville pendant
cinq ans. Dès 1616, les Jésuites estiment la somme insuffisante. En effet, les Jésuites du collège
ne prévoient pas seulement d’enseigner : ils comptent également agir dans la Ville « tant aux
prédications, confessions, missions »
148, autant d’actions qui ne sont pas inscrites dans le traité
initial passé entre les Jésuites et le Conseil de Ville
149, et qui nécessitent selon eux au moins
une vingtaine de personnes. La difficulté réside dans le fait que ni la Ville ni aucune institution
ne se presse de verser les sommes qui ont été déclarées ou promises. Si on se fie aux comptes
de la Ville, les 5000 francs promis par la Ville « pour l’aliment des religieux » et les 6000 francs
pour l’aménagement ne sont acquittés qu’en 1626
150. De toutes les fondations qui se font à
Nancy entre 1592 et 1630, c’est donc incontestablement dans celle du collège que le Conseil de
Ville s’investit le plus, tout comme le Magistrat de Lille qui consacre plus de 400 000 florins
et offre le terrain pour installer un collège jésuite en ses murs
151. Pour la première fois, la Ville
exprime à travers une création de façon claire, une identité institutionnelle qui l’emporte sur les
marques ducales, ou qui commence à exister en dehors de cette dernière. En mars 1621, elle
rappelle d’ailleurs au collège que ce dernier doit arborer les armes de Nancy sur ses murs « au
146 CUNIN Bernard, Le collège des Jésuites de Nancy. Conditions de fondation et origines (1616-1633). Mémoire de maîtrise sous la direction de René TAVENEAUX. Université de Nancy II, dactylographié, 1968, p. 25.
147 MARCHAND Philippe, « Les conditions d’installation des collèges jésuites… », op. cit.
148 A.D.54, H 2219.
149 Ce traité se trouve en plusieurs exemplaires aux A.M.N., sous les références : CC 58 ; CC 61 (f.° 13 r°) ; GG 76.
150 A.M.N., CC 80.
devant et es costières »
152. C’est la dernière occurrence où le collège apparait spécifiquement
avant que la guerre et la peste des années 1630 n’obligent à sa fermeture temporaire, puisque
les comptes municipaux qui mentionnent les trois prédicateurs des Avents et Carêmes de
Saint-Epvre (en 1618-1619, 1622-1623, et 1628-1629), et celui de la paroisse Saint-Sébastien en
1625-1626, ne précisent pas s’ils viennent du noviciat ou du collège
153.
Les Jésuites sont connus pour leur investissement et leur attachement à la « culture du
spectacle »
154mise en œuvre à maintes occasions. Les fêtes organisées en l’honneur d’Ignace
de Loyola, fondateur de l’ordre, et de François Xavier, canonisés en 1622, ont eu lieu dans de
nombreuses villes comme Tulle, Avignon
155, Bordeaux
156ou Pont-à-Mousson, mettant à
contribution les établissements scolaires locaux
157. Ces dernières se sont déroulées en juillet
1623
158, et se sont trouvées être si mémorables qu’elles ont fait l’objet d’une relation rédigée
par le père Wapy, traduite en latin par le père Léonard Perrin et imprimée à Pont-à-Mousson
comme dans nombre d’autres villes
159. Mais rien dans les archives municipales de Nancy ne
prouve qu’une semblable cérémonie ait eu lieu, qu’elle se soit déroulée de la même façon que
dans les villes où les collèges jésuites sont plus anciennement implantés, ou que les cérémonies
aient atteint le faste observé à Anvers
160. Les archives jésuites consultées ne sont pas plus
loquaces sur le sujet et ne prouvent pas que la façon ordinaire qui se peut tenir en la celebration
de la feste de la canonization des SS Ignace et François Xavier
161ait été suivi comme modèle.
Quand le collège de Nancy ouvre ses portes, les Jésuites « récupèrent » les fruits du travail
mené par la congrégation des artisans, qui se trouvait au Noviciat depuis 1606
162. La
congrégation est transférée au collège en 1618, placée sous l’invocation de la Conception de la
152 A.M.N., BB 3, f.° 25 r°.
153 Prédications à Saint-Epvre : A.M.N., CC 57, f.° 102 r° et CC 60 (prédication en 1618-1619), CC 67, f.° 112 v°-113 r° (prédication en 1622-1623), CC 85, f.° 104 v° (prédication en 1628-1629). Prédications à Saint-Sébastien : A.M.N., CC 79, f.° 115 r° (prédication en 1625-1626).
154 De MARCO Rosa, « Fêtes en réseau : les Jésuites et la fête urbaine en France (1609-1643) », dans DEMEULENAERE-DOUYÈRE Christiane (dir), Les acteurs du développement des réseaux, Paris, éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2017, pp. 79-90.
155Ibid.
156 SUIRE Éric, « L’écho des cérémonies de canonisation à Bordeaux sous l’Ancien Régime », dans AGOSTINO Marc, CADILHON François, LOUPÈS Philippe (dir), Fastes et cérémonies… op.cit., pp. 17-33.
157 Cérémonie étudiée par Louis CHÂTELLIER.
158 MOISY Pierre, « L’église des Jésuites de Pont-à-Mousson », dans TAVENEAUX René (dir), L’Université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps…, op. cit., pp. 283-290.
159 De MARCO Rosa, « La description comme interprétation : les relations des fêtes de canonisation de saint Ignace de Loyola et saint François-Xavier en France (1622) ». http://www.academia.edu/2536422/_La_description_comme_interprétation_les_relations_des_fêtes_de_canonis ation_de_saint_Ignace_de_Loyola_et_saint_François-Xavier_en_France_1622_ (consulté le 23 août 2018).
160 CHÂTELLIER Louis, L’Europe des dévots, op. cit., pp. 70-72.
161 A.D.54, H 1815.
Vierge, puis sous celle de l’Immaculée Conception au plus tard en 1631
163. Elle porte donc des
noms divers : « congrégation de l’Immaculée Conception », « congrégation de la Conception
Notre-Dame », « congrégation des hommes », ou « congrégation des Messieurs ». Elle
encourage la dévotion à la Vierge, dont les fêtes ponctuent le calendrier du congréganiste et
sont l’occasion d’accueillir les nouveaux membres. Elle est agrégée à la Primaria romaine
164.
Le choix de cette protection ne doit sans doute rien au hasard : d’une part, la dévotion envers la
Conception de la Vierge est en plein essor depuis le XV
esiècle
165. D’autre part, l’Immaculée
Conception n’est pas encore un dogme de l’Église catholique, mais cette position doctrinale est
défendue par les Cordeliers, très liés à la dynastie ducale. Or, par exemple en 1631, date de la
première liste des membres de cette confrérie, les trois premiers confrères ne sont rien moins
que le duc Charles IV, son père François II, et son frère Nicolas-François. Bien d’autres
confrères sont haut placés dans la société lorraine et nancéienne : de Valleroy, secrétaire d’État
et président de la Chambre des Comptes, un chanoine de Saint-Georges et deux chanoines de
la Primatiale, les conseillers d’État Reboursel, Benoît, d’Armacourt, Collignon, et Vignolles,
Errard Maimbourg, échevin et futur membre de la Compagnie de Jésus et qui a contribué à la
fondation du collège, trois auditeurs des Comptes, le lieutenant général au bailliage de Nancy,
Jacques Callot, mentionné comme « calcographe »,… En revanche, des personnages comme le
Primat de Lorraine, Lenoncourt, le président Rennel ou les curés de Epvre et de
Saint-Sébastien sont considérés en 1631 comme étant « suspendus » de la congrégation « qui occupés
soit de leurs affaires particulières soit en leurs offices n’ont pu et ne peuvent à peine se trouver
aux assemblées »
166. En effet, l’absence aux assemblées de la congrégation est toujours passible
d’une exclusion temporaire ; pour être réintégrés, les exclus doivent bénéficier du témoignage
des autres membres ou subir un temps de probation. Mais les expulsions définitives sont rares.
On sait également que les confrères doivent offrir un cierge en entrant dans la congrégation et
un autre tous les 2 février, jour de la Purification de Notre-Dame. Ils sont tenus de suivre une
messe quotidienne, de prier, réciter le chapelet et méditer sur un des mystères de la Vierge tous
les jours, se confesser et de communier au moins une fois par mois et lors des grandes fêtes de
la congrégation (les fêtes mariales que sont la Purification, l’Assomption, la Nativité de
Notre-Dame, la Conception de Notre-Notre-Dame, l’Annonciation, et la Saint-Joseph
167), et de participer à
163 A.D.54, H 2026.
164 VAUJOUR-GUEBLÉ Élisabeth, La Congrégation de l’Immaculée Conception à Nancy (1639-1693). Mémoire de maîtrise sous la direction de Louis CHÂTELLIER. Université de Nancy II, dactylographié, 1982, p. 22.
165 PETIT Christelle, Les confréries de la Ville Neuve … op. cit., p. 55.
166 A.D.54, H 2026.
la procession qui se fait le jour de leur fête patronale, le 8 décembre. Les confrères doivent
accompagner jusqu’au cimetière celui des leurs qui décède, assister à la messe qui est dite pour
le défunt dans l’église des Minimes pour les habitants de la Ville Neuve et aux Cordeliers pour
ceux de la Ville Vieille.
La congrégation des hommes voulait accueillir les élites pour christianiser la société à
travers leur exemple
168. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve plusieurs membres de
l’administration municipale dans ses rangs. Le fonctionnement même de la congrégation ne
parait pas radicalement différent du fonctionnement du Conseil de Ville : les deux sont dirigés
par un préfet pour l’une et un gouverneur pour l’autre ; l’assemblée des conseillers a un rôle
essentiellement consultatif et représente l’ensemble de la communauté des confrères ou des
habitants ; et en dernier ressort, une haute autorité incarnée par le père de la congrégation et par
le duc de Lorraine pour la Ville intervient pour trancher les difficultés. De même, on trouve
plusieurs membres du Conseil de Ville dans les rangs de la congrégation des hommes, comme
par exemple, en 1631, les sieurs Cueullet ou Jean Le Noir. Quelques-uns sont déclarés comme
revenant à la congrégation en 1639, comme Rémond Luyton
169. Plus tard dans le siècle, entre
1661 et 1693, Jean César exerce à la fois les fonctions de receveur de la congrégation et receveur
des deniers de la Ville. Mais tous les membres du Conseil de Ville ne sont pas inscrits dans
cette congrégation, et n’y sont pas seuls. Le choix de membres de la municipalité à ces
postes-clés obéit aux mêmes raisons que le choix de gens de robe ou d’officiers ducaux : la bonne
gestion de la congrégation passe par le choix de personnes compétentes, ayant fait leurs preuves.
Toutefois le recrutement dans la congrégation de l’Immaculée Conception est très vaste : en
1631, le nombre de confrères est si élevé, et peut-être également par crainte de contagion de la
peste, que la direction décide de séparer les artisans des « nobles » pour éviter la cohue lors des
prières
170. On ne peut donc pas considérer la congrégation de l’Immaculée Conception comme
traduisant une dévotion exclusivement municipale, ou prônant une dévotion spécifiquement
nancéienne. De même, à Lyon, la filiale de la Compagnie du Saint Sacrement qui se met en
place dès 1630 regroupe nombre de notables de la ville autour des œuvres de charité et de la
dévotion au Saint Sacrement, sans être exclusive aux échevins
171.
168 CHÂTELLIER Louis, L’Europe des dévots, op. cit., pp. 266-267.
169 A.M.N., BB 42, f.° 11 r°-14 r°, Recueil de tous les notables bourgeois… op. cit. (Jean Le Noir, sellier, est le mieux documenté : commis de ville de 1625 à 1627 et en 1630, et conseiller de ville de 1631 à 1633),et A.D.54, H 2026 (registre des membres de la congrégation), qui le mentionne ouvertement comme conseiller de Ville. Son nom est mentionné à plusieurs reprises au bas des délibérations municipales des années 1631 à 1633.
170 CUNIN Bernard, Le collège des Jésuites de Nancy…,op. cit., p. 61.