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Le sexisme visuel du cinéma narratif selon Laura Mulvey ! 56!

Dans le document Lubitsch, un cinéaste féministe ? (Page 57-60)

A travers son étude sur le plaisir visuel, Laura Mulvey a laissé une emprunte indélébile dans le domaine de la théorie du cinéma féministe en publiant dans

Screen en 1975 son article « Visual Pleasure and narrative Cinema ». Le point de

départ de son analyse est le phénomène de la pulsion scopique. Inspiré du vocabulaire freudien, ce terme permet de désigner le lien fondamental entre le film et le spectateur. «  De nombreux analystes ont remarqué dans les années 1920 que le spectacle cinématographique reposait sur le désir de voir et, depuis le parlant, d’écouter, désirs correspondant à la «  pulsion scopique  » et à la « pulsion invocante » (…). La pulsion scopique suppose une distance entre le sujet et l’objet du regard, elle est à la base du voyeurisme. Ce désir voyeuriste est au centre du dispositif cinématographique  ». Mulvey se sert de ce concept pour 83

dénoncer « la polarité sexuelle de ce dispositif au sein duquel c’est un spectateur masculin qui observe une actrice féminine  ». 84

Selon Mulvey, le cinéma narratif traduit le déséquilibre sexuel présent au sein de la société. Ainsi, « le plaisir de voir a été séparé entre masculin/actif et féminin/ passif  ». Dans le cinéma hollywoodien, le personnage féminin est réduit à être 85

un objet passif du regard. « Laura Mulvey prétend que le regard dominant au cinéma est toujours masculin. Les spectateurs sont encouragés à s'identifier au

Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, 2ᵉ édition, Paris,

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Armand Colin, 2008, p.204 Ibid.

84

Laura Mulvey, Visual and Other Pleasures, Londres, Macmillan, 1989, p.19, traduction de

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regard du héros masculin et à faire de l'héroïne un objet passif du spectacle érotique   ». Mulvey distingue deux processus différents au sein de la pulsion 86

scopique. Le premier, qui est ce qu’elle considère comme la pulsion scopique active, «  résulte du plaisir à utiliser une autre personne comme objet de stimulation sexuelle  », et implique « une séparation entre l’identité érotique du 87

sujet et l’objet de l’écran  ». 88

Le second invoque le narcissisme du spectateur et son désir «  de s'identifier avec un visage et une forme humaine qu'il reconnaît comme étant similaires aux siens. Ici, [ Mulvey ] se réfère à Lacan, qui propose que l'identité humaine ou l'égo est formée durant le stade du miroir, quand un bambin se rencontre pour la première fois en tant qu'entité distincte, typiquement à travers son reflet dans le miroir. L'enfant s'identifie joyeusement avec le reflet du miroir  ». C’est donc 89

à travers la pulsion scopique que le spectateur est capable de s’identifier au personnage masculin sur l’écran, d’embrasser son regard et ainsi de désirer mais aussi de prendre possession du personnage féminin observé. « Dans le cinéma narratif, la femme joue un «  rôle exhibitionniste traditionnel  » - son corps est retenu comme un objet érotique passif pour le regard du spectateur masculin,

Shohini Chaudhuri, Feminist film theorists, Londres, Routledge, 2006, p.31, traduction de

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l’auteur, « Laura Mulvey argued that the controlling gaze in cinema is always male. Spectators are encouraged to identity with the look of the male hero and make the heroine a passive object of erotic spectacle ».

Laura Mulvey, op.cit, p.18, « The first, scopophilic, arises from pleasure in using another person

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as a object of sexual stimulation through sight ».

Ibid, p.18-9, « One implies a separation of the erotic identity of the subject from the object on the

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screen ».

Shohini Chaudhuri, op.cit, p. 34 « Cinema also develops scopophilia in its narcissistic aspect,

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exploiting the viewer’s desire to identify with a human face and form that they recognize as being similar to their own. Here, she refers to Lacan, who proposed that human identity or the ego is formed during the Mirror Stage, when an infant first encounters itself as a separate entity, typically through its reflection in a mirror. The infant joyfully identifies with its mirror image ».

pour qu'il puisse projeter ses fantasmes sur elle   ». Pour Mulvey, la femme 90

connote ce qu’elle appelle « to-be-looked-at-ness », que l’on peut traduire par l’incarnation du fait même d’être regardée. «Nous pouvons voir, dans la plupart des films classiques hollywoodiens, que l’héroïne est un objet pour être vu  ». 91

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Selon Mulvey, ce besoin de contrôler la femme à travers le regard est dû à la peur de la castration que la femme créé chez l’homme qui la regarde. Shohini Chaudhuri explique que Mulvey s’appuie sur le travail de Freud pour analyser les origines de cette crainte. «  Cette angoisse de la castration est liée à la découverte traumatique de l'enfant que sa mère n'a pas de pénis; en conséquence, d'après la théorie freudienne, l'enfant en déduit qu'elle est castrée  ». Le voyeurisme du spectateur ravive ce traumatisme. Le film cherche 92

alors à dominer le personnage «  castré  » en «  enquêtant sur la femme et en révélant sa culpabilité (à savoir sa « castration »), puis en la punissant ou en la sauvant  ». 93

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Au delà de ce contrôle du personnage féminin à travers la puissance active du regard, les films, d’après Mulvey, cherchent également à nier cette castration à travers le fétichisme. Cette pratique permet une surévaluation d’une partie du corps de la femme pour oublier son absence de pénis, à travers des gros plans

Ibid. p. 35 « In narrative cinema, woman plays a « traditional exhibitionistic role » - her body is

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held up as a passive erotic object for the gaze of male spectators, so that they can project their fantaisies on to her ».

Ibid. « We can see, in almost any classic Hollywood film, that the heroine is an object to be

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looked at ».

Ibid. p.36 « This castration anxiety is related to the child’s original trauma of discovering the

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mother does not have a penis; consequently, according to Freudian theory, the child assumes she is castrated ».

Ibid. « Film masters the castration anxiety by investigating the woman and revealing her guilt (i.e

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qui vont isoler certains membres corporels. Dotée «  d’une extrême perfection esthétique, qui divertit l’attention sur son pénis « manquant  » » l’image de la 94

femme est rendue plus rassurante. Chaudhuri écrit que « le fétichiste refuse de croire que la femme est castrée. Il utilise le fétiche pour couvrir et rejeter la vue de cette « blessure », surévaluant d’autres, inoffensives parties de son corps. Le rejet est tel qu'il permet au fétichiste de croire que la femme a un pénis tout en sachant en même temps qu'elle n'en a pas   ». 95

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Dans le document Lubitsch, un cinéaste féministe ? (Page 57-60)