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B. Les Journées Cinématographiques de Carthage:

2) Sessions de 1978 à 1984 : un tournant dans les JCC

- La 7 ème session de 1978

Cette session a connu le troisième retour de Chedly Klibi au ministère de la Culture pour une courte période ; après quatre ans de chambardement, les organisateurs ont renoué pour la deuxième fois avec la tradition voulant que le président directeur général de la SATPEC ait la responsabilité de ce festival.

Le nouveau titulaire Hamadi Essid, fin et ambitieux, a mis les bouchées doubles pour en faire une session mémorable. Sur la base des multiples entretiens que nous avons eus ainsi que certains articles, nous avons constaté que la session de 1978 s’est ouverte aux autres pays du Tiers-monde, en révélant aux cinéphiles et festivaliers le cinéma latino-américain, très en vogue en ces années soixante- dix, caractérisé par diverses luttes contre l’impérialisme occidental et américain. Ce genre cinématographique qu'ils ignoraient était particulièrement représenté par le cinéma argentin.

Cette session a plu aux cinéphiles mais n’a pas eu grand succès auprès des professionnels, la quasi-totalité des protagonistes que nous avons interviewés gardent un souvenir négatif de cette session. En effet, cette dernière bien que singulière a suscité beaucoup de controverses.

69 Sidney Sokhona est un des précurseurs du cinéma mauritanien. Il a réalisé deux longs-métrages: Nationalité:

immigré en 1975 et Safrana ou le droit à la parole en 1977.

70 L’Olivier est un film documentaire sur la Palestine réalisé par le collectif groupe Cinéma de Vincennes,

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Les associations cinématographiques tunisiennes, la FTCC et la FTCA l’ont carrément boycottée avec le consentement tacite de Tahar Chériaa sous prétexte qu’elles n’ont pas été associées à son organisation. Selon le fondateur de cette manifestation, cette session s’est écartée des principes fondamentaux du festival. Pour ce dernier c’est un tournant des JCC pour les raisons suivantes :

• la contribution financière de la société libyenne El Khayala

• la dotation de prix nouveaux : prix Jugurtha

• l’élaboration de trois affiches du festival

• l’invitation accrue des stars arabes, particulièrement égyptiennes, au détriment des cinéastes africains.

Les associations n’étaient pas les seules à en vouloir à cette orientation, l’administration a mal pris la diminution de son rôle dans la préparation et la tenue de cette édition. Cette session a vu son règlement intérieur substantiellement modifié : tout en sauvegardant la compétition officielle des pays arabes et africains, elle a décidé d’ouvrir d’autres compétitions :

un Forum Tri-continental du film doté d’un prix spécial «Jugurtha», destiné aux films d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie qui ne pouvaient pas participer à la compétition officielle

• un Festival International du film pour Enfants ouvert à des films de toutes origines, doté de prix spéciaux décernés par un jury d’enfants

• une Section Information ouverte aux films de toutes origines

• un Marché International du film

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Il nous semble que le conflit entre le gouvernement et la centrale syndicale qui a abouti aux événements sanglants du 26 janvier 1978 (appelés Jeudi noir) où il y a eu des morts, des blessés et de nombreuses arrestations, n’a pas affecté le déroulement de cette session.

- La 8 ème session de 1980

En 1979, les accords de Camp David ont été signés entre l’Egypte et Israël ; par conséquence, l’Egypte a été boycottée par l’ensemble des pays arabes, le siège de la ligue arabe a été transféré du Caire à Tunis. Chedly Klibi a été nommé secrétaire général de l’organisation panarabe. En 1980, la Tunisie connait une secousse politique due à l’intervention d’un commando venu de Lybie qui a déclenché des combats avec les forces de sécurité et l’armée tunisienne à Gafsa, dans le sud ouest du pays. Suite à cela, Hédi Nouira, victime d’une attaque cérébrale, est remplacé par Mohamed Mzali71 sur décision du président Habib

Bourguiba. Mohamed Mzali entame rapidement une réorientation de la politique étrangère tunisienne en direction des pays du Golfe.

Foued Mebazaâ72, alors ministre de la Culture, a nommé à la session de 1980

Hassen Akrout73 en tant que président du comité Directeur des JCC, qui sont donc dirigées pour la troisième et la dernière fois par un président-directeur général de la SATPEC.

Vraisemblablement en raison du boycott arabe envers l’Egypte après les accords de Camp David, nous constatons qu'à cette session il n’y a eu aucune

71 Mohamed Mzali est un homme politique, il est nommé le 23/04/1980 premier ministre par Bourguiba, en 1984,

il cherhce à rallier les islamistes et gagne leur appui dans la course pour la succesion du président Bourguiba. Il est proche de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe.Il est limogé de ses fonctions le 08/07/1986 par Bourguiba et quitte le pays clandestinement vers la France.

72 Foued Mebazaâ est un homme d’Etat tunisien, il est nommé ministre des Affaires Culturelles de 1979 à 1981. Il

est devenu président de la République Tunisienne par intérim le 15/01/2011 jusqu’à 23/10/2011.

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présence égyptienne ni au niveau des membres de jury ni au niveau des prix décernés. Pour la deuxième fois, la Tunisie reçoit un Tanit d’or pour le film

«Aziza» de Abdelatif Ben Ammar.

- La 9 ème session de 1982

Suite à l’invasion du Liban par l’armée israélienne durant l’été 1982, suivie par le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila en début d’automne de la même année, l’Etat tunisien a suspendu toutes les manifestations culturelles de cette saison, sauf la 9ème session des JCC. Le ministre de la Culture, Béchir Ben Slama74 a nommé un de ses conseillers, le réalisateur Rachid Ferchiou75, directeur

des JCC pour les sessions de 1982 et 1984.

Celles-ci ont connu une présence massive des stars arabes, particulièrement égyptiennes, au détriment des cinéastes africains, ce qui a déplu aux associations cinématographiques et aux critiques de cinéma. De surcroit, l’arabité a pris le dessus sur l’africanité avec des conséquences désastreuses qui vont se prolonger durant des années. Il faudra attendre la 14ème session des JCC, en 1992, pour voir les relations arabo-africaines se ressouder.

Ce festival à l’origine militant est devenu, lors de ces deux sessions 1982 et 1984, celui des paillettes ! La session de 1982 rend un vibrant hommage au cinéaste égyptien Youssef Chahine. Le Tanit de bronze n’a pas été décerné à un long métrage et aucun film de court métrage n’a été récompensé, cela en contradiction avec le règlement des JCC.

74 Béchir Ben Slama est nommé le 02/01/1981, ministre de la Culture jusqu’au limogeage du gouvernement Mzali

en 1986, depuis il se consacre totalement à l’écriture (voir annexe N°8, p.429).

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59 - La 10 ème session de 1984

La Tunisie connaît encore une fois des émeutes sanglantes au mois de janvier appelées «les émeutes du pain de 1984» suite à l’augmentation des prix des céréales et du pain, base de l’alimentation des Tunisiens. Les JCC n’ont pas été affectées par ces événements sanglants à l’instar de la session de 1978.

Durant une décennie de 1966 à 1976, la responsabilité de l’organisation des JCC était partagée entre les différents responsables du ministère de la Culture et les présidents-directeurs généraux de la SATPEC, Tawfik Tordjman en 1970, Hamadi Essid en 1978 et Hassen Akrout en 1980.

A partir des années quatre-vingts, on voit apparaitre à la tête du festival des personnalités extérieures indépendantes comme Rachid Ferchiou, réalisateur, directeur des sessions de 1982 et de 1984 ainsi que Ahmed Baha-EddineAttia76,

producteur, en 1992 soit une décennie après.