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2.4.1 Le vécu du prématuré

Dès sa naissance, le bébé prématuré doit faire face à en environnement peu accueillant et surtout très dystimulant. « Coincé » dans son incubateur, il a peu de liberté de mouvements. Par ailleurs, sa vision est déformée par les parois en plexiglas de l’incubateur, ce qui entrave les interactions visuelles, notamment avec ses parents. La couveuse représente également une barrière aux flux olfactifs, et en particulier à l’odeur, si importante, de sa maman. Ces éléments nous amènent à dire qu’il s’agit d’un environnement peu stimulant pour le bébé prématuré du point de vue moteur, visuel et olfactif.

Par contre, ce lieu est également hyperstimulant si nous considérons les nombreuses stimulations perturbantes, voire douloureuses auxquelles doit faire face le nouveau-né prématuré. Ainsi, le bruit incessant des machines et du personnel peut se révéler extrêmement stressant pour lui. De même, la lumière agressive est très gênante, notamment pour la mise en place du rythme circadien*, déjà perturbé chez le prématuré. Cette absence de régularité au niveau du sommeil ne favorise donc pas le développement neurologique de l’enfant.

Par ailleurs, les soins médicaux sont, selon Palix81, difficilement vécus par le bébé prématuré. Ils peuvent se révéler stressants, voire traumatisants pour le petit, et ce malgré toutes les précautions et la délicatesse du personnel soignant, à cause notamment du seuil de douleur plus haut chez les prématurés.

81

PALIX C., (2003). Bien traiter le bébé dès l’aube de la vie, Journal de Pédiatrie et de Puériculture, vol.16, n°2, pp 108-112, Marseille.

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2.4.2 Rencontre avec un bébé différent : « le deuil de l’enfant imaginaire »

Heureusement, ces dernières années ont vu évoluer les responsabilités données aux parents dans les tous premiers moments de la vie de leur enfant, et ils peuvent assez rapidement aller à la rencontre de leur tout-petit dans le service de néonatalogie.

Cependant, cela reste une situation peu commune et vécue difficilement par certains parents. En effet, cette situation semble peu naturelle compte-tenu du contexte et de l’environnement surmédicalisé ainsi que de l’état de santé du bébé. Le bébé a en effet un aspect qui peut être inquiétant pour la maman ; il est petit, d’allure frêle et fragile. Binel évoque ainsi les propos d’une maman de prématuré : « On ne voyait que ses mains et son petit visage tout plissé, crispé ; il m’a fait pitié, j’ai pleuré… »82. Rien que le fait de le regarder donc, peut devenir une épreuve pour les parents. Ainsi, au début, et en particulier si le bébé est très petit, la mère peut éprouver des sentiments ambivalents et être partagée entre l’espoir qu’il survive et des désirs de mort très culpabilisants, par peur des séquelles possibles engendrées par la prématurité.

Les parents vont donc devoir s’adapter à cette nouvelle situation et faire encore une fois un travail de deuil pour pouvoir investir cet « être inachevé »83 qui « paraît privé de ce qui fait du bébé un être beau, riche et doué par la nature, par le biais de son père et de sa mère »84. Selon Lebovici, ce deuil est à la fois perte objectale et blessure narcissique. La mère doit faire un trait sur cet enfant imaginaire tant fantasmé pour pouvoir accepter ce petit être né trop tôt qui n’est pas totalement conforme à ces désirs.85 Elle va devoir investir ce nouveau-né et lui attacher de nouveaux espoirs. Ce travail de deuil aura bien évidemment « des conséquences directes sur l’investissement affectif des parents à l’égard de leur enfant »86.

82

BINEL G. (2000). Prématurité et rupture du lien mère-enfant. La naissance inachevée. Paris, Gaëtan Morin Editeur, p 118.

83

RELIER J-P. (1993). L’aimer avant qu’il naisse. Paris, Robert Laffont, p 23.

84

LEBOVICI S. (1983). Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les interactions précoces. Paris, Le Centurion, p 236.

85

Ibid, p 71.

86

BINEL G. (2000). Prématurité et rupture du lien mère-enfant. La naissance inachevée. Paris, Gaëtan Morin Editeur, p 64.

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2.4.3 Des interactions perturbées sur le plan quantitatif et qualitatif

Dans ce contexte particulier, peu propice à l’intimité, force est de constater que les interactions précoces vont se voir diminuées. Pourtant, cette intimité est très importante pour pouvoir reconstruire une certaine harmonie entre maman et bébé.

Klairs et Kennell87 appellent « bonding » la « relation spécifique et privilégiée qui est caractérisée du côté de la mère par la tendance à toucher, caresser, tenir, soigner, entrer en contact œil à œil avec son bébé. » 88 Cette tendance va bien entendu être entravée dans le cadre de la prématurité, en tous cas au départ.

Sur le plan quantitatif, les parents ne peuvent pas voir et toucher leur enfant autant qu’il le feraient à la maison. Par ailleurs, les soins prodigués au tout-petit et les règles d’hygiène à respecter obligent les parents à se plier à certaines contraintes.

Sur le plan qualitatif, la maman peut se montrer maladroite envers son bébé les premières fois qu’elle veut le toucher. Selon la manière dont elle a vécu sa grossesse, elle peut même avoir une attitude de rejet face à son enfant. Mais en règle générale, elle a plutôt peur de lui faire mal ou de ne pas savoir comment faire.

Cependant, un des obstacles les plus importants dans les interactions est constitué par la présence de l’incubateur. Celui-ci apparaît comme une véritable barrière qui renforce encore plus la séparation mère-enfant, comme nous l’avons déjà évoqué précédemment. Relier l’apparente même à une « cage de verre ».

Par ailleurs, le contexte bruyant et lumineux et la présence quasi-constante du personnel soignant amènent un stress supplémentaire qui entrave également la qualité de ces interactions précoces.

De plus, dans le service de néonatologie, les moments de portage et de soins effectués par la maman elle-même sont plutôt rares.

Le holding, (fait de le tenir, de soutenir, de protéger l’enfant, tant sur le plan corporel que sur le plan psychique) ainsi que le handling (manipulation, maniement corporel par la mère, qui éveille chez l’enfant la perception de son corps et lui permet d’édifier son Moi

87 KLAIRS M.H.et KENNELL J.H., in LEBOVICI S. (1983). Le nourrisson, la mère et le psychanalyste, les

interactions précoces. Paris, Paidos, Le Centurion, chap V, p 68-69.

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49 Corporel)89, décrits par Winnicott90 comme essentiels à la bonne mise en place et évolution des relations mère-enfant (Cf. partie 1.2) sont profondément diminués.

Or, le nourrisson, comme premier moyen de communication, en dehors du regard, utilise essentiellement le dialogue tonico-corporel, qui correspond aux échanges toniques qui existent entre la mère et son bébé.

L’expression des émotions et désirs passant par les variations posturales, ce dialogue est essentiel dans la mise en place du lien d’attachement. C’est en partie par ces contacts corporels que ce lien s’établit lors des premières semaines de vie. D’après David, il faut « rappeler l’importance des soins corporels amoureusement prodigués qui fondent le narcissisme, le sentiment du bébé d’être bien et bon. C’est la force de cet enracinement corporel premier de l’attachement maternel qui assure à l’enfant la poursuite, la continuité et donc la maturation de ce lien »91. Nous comprenons donc bien en quoi la prématurité perturbe l’établissement de ce lien. Soulignons d’ailleurs que si des aléas sont intervenus dans l’établissement de ce lien d’attachement, il persistera, selon Binel92, une fragilité dans la relation.