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SENTIMENTS DES ENFANTS PAR RAPPORT À LEURS LANGUES ET PERCEPTIONS DE

Chapitre 8. La relation entre l’école et les parents

2. SENTIMENTS DES ENFANTS PAR RAPPORT À LEURS LANGUES ET PERCEPTIONS DE

2. Sentiments des enfants par rapport à leurs langues et perceptions de leurs

compétences.

2.1. Sentiments et représentations des enfants par rapport à leurs langues

A travers le corpus constitué des entretiens des enfants, de nombreux sentiments ou représentations sur les langues apparaissent. Tout d’abord par rapport à leur langue préférée et ensuite par rapport au fait d’être trilingue.

2.1.1. La langue préférée : la langue la plus facile ou celle de la différence?

Une des questions qui est revenue lors des entretiens avec les enfants est celle sur leur langue préférée. Elle a très souvent amené l’association chez les enfants de la langue préférée comme la langue la plus facile à utiliser. Il en est ainsi pour Matéo de la famille B, qui après une petite hésitation, nomme l’espagnol étant sa langue préférée car la plus facile pour lui.

Cependant, parmi les réponses à cette question, le français est également mentionné. Il est toutefois accompagné de la présence d’un « mais » souvent lié à la difficulté de cette langue. Il en est ainsi pour Benjamin (annexe 12): 33 « d’accord quelle est la langue que tu

quand même », 36 « je sais pas j’aime bien tout simplement » et pour Max : 34 « j’aime bien le français mais le problème c’est que .. puisque je n’ai pas quand je suis dehors avec mes amis ou à l’école je peux moins pratiquer le français alors c’est plus difficile de rattraper avec les autres

langues ». Pour ce dernier la difficulté du français est bien dans le fait qu’il l’utilise moins et

qu’il sent alors qu’il a des éléments « à rattraper » dans cette langue car il ne les a pas encore acquises comme il a pu le faire dans ses deux autres langues. Par rapport à Marco, sa mention du français dans son corpus, est pertinente car il associe cette langue à sa langue du secret, celle qu’il peut utiliser sans que les autres le comprennent. Il est bien conscient alors qu’il possède un avantage sur les autres qui, eux, ne connaissent pas cette langue.

Pour Simon, la langue qu’il préfère parler est associée à celle de sa naissance (annexe 8) : 65« ..quelle est la langue que tu préfères parler », 66 « français », 68 « parce que c’est celle là

où je suis né avec ». L’enfant fait bien l’association de la langue française avec son identité

française et la revendique alors comme sa langue préférée au niveau de l’oral. Il est cependant facile aussi de faire la corrélation entre la langue préférée et celle la plus facile d’utilisation dans ce cas aussi. C’est bien entendu le français que Simon domine le plus, à tous les niveaux de compétences.

Finalement, Coco semble affectionner les langues qu’elle met en relation avec l’identité de ses parents : le français parce que c’est la langue de sa mère et l’anglais car pour elle son père est américain. C’est aussi les langues qui pour elle et à juste raison sont les moins utilisées à Porto Rico, et qui lui confère donc une particularité sur les autres enfants. Elle dit aimer l’espagnol mais il vient derrière les deux autres langues dans son ordre de préférence car il comporte un caractère ennuyeux puisque tout le monde le parle. Marco rejoint tout à fait Coco sur ce sentiment d’ennui par rapport à l’espagnol du fait de son caractère commun.

La langue qui les différencie des autres est aussi celle qui a une place privilégiée dans le cœur de ces enfants même s’ils en reconnaissent la difficulté, notamment au niveau de l’écriture et sa complexité.

2.1.2. Les sentiments liés au fait d’être trilingue

Sur ce point, tous les enfants sont d’accord : ils sont contents d’être trilingues. Pour Max et Benjamin, de la famille D, c’est « cool de parler d’autres langues ». Benjamin est celui qui note l’intérêt de parler et de comprendre la langue quand tu visites le pays. Dans un premier temps, il mentionne l’aspect « cool » et dans un deuxième temps il fait la remarque sur la difficulté de posséder à son répertoire plusieurs langues : 62 « c’est difficile mais ça vaut la peine », 64 « ba c’est difficile de se souvenir de tous les mots de parler un langage parce qu’il y en

a un que tu connais plus tout ça.. et parce que tu en as trois c’est pas facile de se souvenir de tout

quand même ». La complexité de mémorisation des langues est donc présente et le fait qu’une

langue domine sur les autres aussi. Pour Max, cet aspect de la complexité n’apparait pas, pour lui c’est plutôt le fait de pouvoir changer de langues qui est attrayant dans le fait d’être trilingue.

Les deux fils de la famille B, Marco et Mateo, se rapprochent dans leur réflexion de celles de Max et Benjamin, ils voient dans le fait d’être trilingue l’avantage de pouvoir parler et communiquer avec plus de personnes. Ils démontrent ici l’objectif de communication des langues. Marco ajoute aussi une représentation bien nette des langues et de leur fonctionnalité : l’anglais parce que tout le monde le parle, l’espagnol parce que nous sommes à Porto Rico et le français pour aller en France. Et voici ses paroles (annexe 9): 152« oui aussi que l’anglais il faut parler anglais parce que tout le monde parle anglais », 154 « ba j’habite à Porto Rico alors je crois que c’est important de pouvoir le parler la langue l’espagnol parce que tout le monde ici parle espagnol », 156« c’est vrai qu’il y a moins de monde qui le parle mais je vais en France assez souvent alors c’est aussi important de pouvoir parler avec les gens là-bas ».

Pour Simon, le fait d’être trilingue est un atout pratique (annexe 8) : 158 « les trois langues au moins ça ça m’avance au moins sur un truc parce qu’en France il y a l’espagnol et

l’anglais d’a ajouter », 160 « au moins ça c’est fait ». Il fait référence aux deux autres langues

de son répertoire, l’espagnol et l’anglais comme un apprentissage qui ne sera plus à faire une fois rentré en France. Conscient d’un possible retour en France, il se rend compte de l’avantage à déjà savoir des langues qui sont également enseignées au collège français. Il possédera un atout sur les autres collégiens qui n’auront certainement pas eu la même expérience langagière que lui.

Finalement, les paroles de Coco, traduisent une émotion forte par rapport au fait d’être trilingue. L’objectif de communication n’est pas exprimé ici comme étant la priorité au trilinguisme, mais c’est plutôt une vraie joie qui s’affiche de pouvoir connaître et utiliser les langues de ses parents. La langue est plus appréciée pour elle-même et pour son lien affectif avec les membres de sa famille que pour une utilité communicationnelle.

2.2.Les perceptions des enfants sur leurs compétences en langues

Rappelons que nos entretiens se sont faits en français, langue certes appartenant au répertoire bi-plurilingue des enfants mais qui n’est pour certains pas la langue la plus utilisée. Le corpus de données recueillies lors des entretiens réalisés avec les enfants met en relief les compétences orales et les compétences écrites dans les langues.

2.2.1. Les compétences de l’expression orale

Le corpus de Marco souligne la différenciation faite entre l’acquisition des langues en famille et celle faite en milieu scolaire. Pour lui, son apprentissage de l’anglais à l’oral aurait été le plus long. Ceci peut s’expliquer de deux façons : il ne se souvient pas vraiment de l’acquisition de ses deux premières langues puisqu’elle a été précoce mais se rappelle plus son entrée en milieu scolaire avec une langue qu’il ne connaissait pas. Le corpus de ses parents montre plutôt que son apprentissage de l’anglais s’est fait assez rapidement, environ trois mois, comme les instituteurs de l’école l’avaient présagé.

Coco, quant à elle, montre une certaine assurance dans ses compétences de langues à l’oral, elle les parle toutes bien et d’ailleurs sans accent, ce qui rappelle les paroles du père dans son entretien. Le fait de ne pas avoir d’accent dans la famille C est synonyme d’une bonne compétence de la langue orale, et cette notion apparait dans le corpus de la fille (annexe 11): 213 « et les autres ils sont euh ah ils ont pas encore le bon accent ». D’ailleurs,

son corpus traduit deux perceptions par rapport à son niveau d’anglais : elle a un bon accent et son niveau est supérieur à celui des camarades de classe. Pour Grosjean (2015, p.38), cette conception selon laquelle parler une langue sans accent serait la marque d’un bon bi- plurilingue n’est pas vrai, il affirme plutôt qu’il n’y a pas de relation entre posséder un accent et sa maîtrise de la langue. En fait, la présence de l’accent serait plus à mettre en relation avec l’âge de l’enfant au moment de l’apprentissage mais les chercheurs ne sont pas unanimement d’accord. Toujours selon Grosjean, l’âge limite pour apprendre une langue sans accent serait jusqu’à dix ou douze ans. (2015, p.39)

Simon, lui, se sent à l’aise en français, qu’il domine certainement mieux que les autres enfants de notre corpus, et en anglais pour communiquer avec le monde extérieur. Il perçoit sa compétence dans cette langue comme bonne : 164 « en anglais oh très bien », 166

« même s’il me manque quelques mots à savoir mais sinon très bien ». Il fait mention de l’aspect

oral et il est difficile de connaitre le niveau de sa compétence à l’écrit. Par contre, au moment de son entretien, Simon met en relief le rôle très secondaire de l’espagnol : il le parle très peu, privilégiant l’anglais dans ses interactions.

Les enfants de la famille D, Max et Benjamin, rejoignent Coco et ses compétences très bonnes dans les langues orales. Ce sont des enfants qui ont su développer leurs compétences orales dans les trois langues et ils n’expriment pas vraiment de difficultés sur ce point-là. Max fait même la comparaison entre des fautes qu’il peut commettre quand il parle une ou l’autre de ses langues mais en moindre quantité que d’autres personnes qu’il

connait (annexe 13) : 124« oui de temps en temps ça se passe mais je connais des personnes qui le font beaucoup plus que moi en anglais et en espagnol ».

Les quelques difficultés rencontrées chez ces enfants seraient plutôt de l’ordre de la langue écrite, ce que nous analysons dans la partie suivante.

2.2.2. Les compétences écrites dans les langues

Les enfants sont dans le cadre de l’apprentissage formel des langues de l’environnement, l’anglais et l’espagnol. Cet apprentissage formel des langues passe par l’écriture et la lecture alors que le français ne connait pas cet aspect académique, comme nous l’avons déjà souligné plusieurs fois.

Pour Marco, l’écrit de l’anglais et de l’espagnol ne pose pas de problème et il pense même que l’anglais est facile du fait qu’il ne fait pas intervenir d’accentuation écrite. Ainsi, un facteur de difficulté par rapport à l’écrit de l’espagnol et du français serait lié à l’accentuation. Il avoue plutôt une incertitude sur ses compétences en français. C’est grâce à son père et un intérêt commun pour les livres sur la mythologie grecque qu’a pu se faire son apprentissage de la lecture en français. Etonnamment, l’entretien du père souligne plutôt un apprentissage du fils en autodidacte de la lecture en français, mais les deux font référence aux livres sur la mythologie grecque. Mateo rejoint par ses paroles celles recueillies lors de l’entretien de ses parents dans le sens où il est clair sur le fait qu’il n’a pas encore acquis l’aspect écriture et lecture du français alors qu’il les a acquis en anglais et en espagnol. Que ce soit à travers l’entretien de ses parents ou le sien, c’est le français qui apparait comme la langue la moins aisée à utiliser pour Mateo.

Pour Coco, l’apprentissage des langues à l’écrit passe par la lecture, lecture qu’elle domine dans les trois langues. La lecture et l’écriture en espagnol, appris en premier, par le biais de l’école, ne lui posent aucun problème particulier car comme elle le dit, nous sommes dans une langue phonétique : « ouais ouais j’ai commencé à écrire en français euh en espagnol

c’était plus facile parce que tu sais tu le dis comme tu le dis et tu l’écris comme tu le dis quoi ». Au

niveau de l’écriture en français et en anglais, le corpus ne nous donne pas beaucoup de données dessus, sauf qu’elle reçoit l’aide de ses grands-parents maternels en français et qu’elle prend appui sur la lecture. Ce dernier point rejoint d’ailleurs la vision de sa mère qui place la lecture en amont de l’apprentissage de l’écriture et la considère comme le vecteur de l’apprentissage de l’écrit. En d’autres termes, l’écriture va s’acquérir par le biais de la lecture, et la mère a toujours entouré sa fille de livres.

Simon est l’enfant de notre corpus qui possède, nous semble-t-il, les meilleures compétences à l’écrit dans la langue française. Ce niveau s’explique tout simplement par le fait qu’il a fait son CP en France, ce qui lui a permis de former une première bonne base en lecture et en écriture qu’il continue à construire grâce aux cours du Cned, qu’il suit toutes les semaines. Par rapport à l’anglais et à l’espagnol, Simon ne laisse pas vraiment percer ses perceptions sur ses compétences en lecture ou en écriture, mais le fait qu’il vient de commencer un apprentissage plus formel de l’espagnol fait envisager que ces compétences dans cette langue sont liées à ce début d’apprentissage académique.

Les entretiens des deux frères Benjamin et Max, révèlent qu’ils se sentent tout à fait à l’aise au niveau de l’écriture dans les deux langues de l’environnement, l’anglais et l’espagnol. Max fait même mention de son niveau plus avancé en anglais que celui de l’école puisqu’il le connaissait déjà avant son arrivée à l’école et les cours qui y sont proposés sont des cours de langue seconde. Les deux frères s’accordent pour dire que c’est leur père qui leur a permis d’acquérir le français, qu’il soit oral et écrit. Max fait mention de cahiers de vacances, de livrets et aussi de livres pour cette acquisition de la langue écrite. Il évoque un livre de Jules Vernes et même s’il précise que c’est un raccourci et pas la version originale, on peut penser qu’il a développé des compétences en compréhension et en vocabulaire suffisantes pour pouvoir accéder à ce type de lecture. Benjamin, quant à lui, exprime une crainte ; celle de commencer à oublier l’écriture en français et voudrait reprendre des activités qui y sont liées. En effet cet aspect de l’acquisition langagière a été mis de côté depuis un moment au sein de la famille mais il nous semble très positif que Benjamin ressente l’envie de retourner vers l’apprentissage du français écrit. D’ailleurs le corpus de l’entretien de ses parents fait également mention d’un retour nécessaire au travail de l’écrit en français.

Après ce tour d’horizon sur les sentiments et les perceptions des enfants sur leurs langues et leurs compétences, il est temps de passer aux perceptions qu’ils ont sur l’aide et le rôle de leurs parents dans leur plurilinguisme ainsi que de discerner des divergences dans les corpus d’un côté des parents et de l’autre, des enfants.