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LES OBSTACLES OU SUCCÈS RENCONTRÉS DANS CES POLITIQUES LANGAGIÈRES

Chapitre 4. Les politiques langagières familiales

3. LES OBSTACLES OU SUCCÈS RENCONTRÉS DANS CES POLITIQUES LANGAGIÈRES

Le corpus révèle que les parents sont bien conscients qu’ils ont un rôle à jouer dans le développement du répertoire plurilingue de leurs enfants et le fait que chaque famille ait mis une stratégie ou aide langagière en place le prouve. Chacun doit vraiment participer de manière active dans cette politique pour obtenir des résultats. C’est maintenant ce qui va nous intéresser dans cette prochaine partie en nous penchant premièrement sur les obstacles ou difficultés rencontrés et deuxièmement sur les succès.

3.1 Les obstacles rencontrés et perçus par les parents

Des difficultés peuvent apparaitre dans la mise en place et le maintien de la politique langagière familiale, elles peuvent être liées au contexte linguistique de Porto Rico mais aussi à des éléments plus internes à la famille. D’ailleurs dans le corpus, le verbe « essayer » est mentionné au sein des familles B et D. Ce sont toutes deux des familles de parents mixtes qui ont décidé de garder une place au français, surtout dans la famille D qui l’a installé comme langue privilégiée de la communication familiale.

3.1.1. L’insertion de l’anglais dans la langue de communication familiale

L’anglais est langue officielle au même titre que l’espagnol à Porto Rico et par là il est présent à de multiples niveaux : médias, tous les produits importés, langue d’enseignement ou langue enseignée comme langue seconde à l’école, les livres scolaires,

mais aussi dans l’enceinte du lieu familial à travers la télévision et les jeux vidéo, qui font partie de leur quotidien. Les enfants de notre corpus n’échappent pas à cette exposition, d’autant plus qu’ils résident dans la zone métropolitaine où le bilinguisme est plus important que dans le reste de l’île. Cet aspect intrusif de l’anglais est, il nous semble, surtout vécu au sein de la famille D et cela dans un ressenti plutôt négatif. Rappelons que la mère est américaine mais que la langue privilégiée de communication familiale est le français. Les enfants, plus petits, communiquaient entre eux en français (Cf. Annexe 7): « 82 « et pendant

très longtemps ils ont parlé entre eux en français ».Toutefois, ils ont changé il y a deux ou trois

ans pour l’anglais, après un voyage dans leur famille américaine, au grand malheur de leurs parents qui tentent de les faire revenir au français, mais sans succès pour l’instant. Ils regrettent la place de plus en plus importante de l’anglais dans leur famille comme l’atteste ces paroles, notamment avec l’emploi du superlatif « pire »: « 27 « et même en famille maintenant c’est pire que y a quelques ans qu’il y a quelques ans ils parlent plus hein plus en plus

chaque année plus anglais entre eux ». Ce phénomène de la dominance de l’anglais dans cette

famille serait donc à mettre en relation avec la famille américaine et au fait que la langue d’origine de la mère soit l’anglais. Ainsi, bien qu’elle soit tout à fait partie prenante dans la politique langagière familiale installant le français comme langue de communication familiale, les enfants ont bien associé leur mère à la langue anglaise et l’utiliseraient de plus en plus avec elle. Ceci, plus le fait que la plupart de leurs centres d’intérêts sont en anglais et que leurs copains parlent aussi cette langue fait pencher la balance du côté d’une utilisation exponentielle de celui-ci. Pourtant la langue d’enseignement des enfants à l’école est l’espagnol.

3.1.2. La langue d’enseignement, celle utilisée pour les devoirs

Quand l’enfant fait sa rentrée à l’école, il passe une grande partie de sa journée dans un lieu autre que la famille et du coup l’exposition à la langue scolaire va bien évidemment provoquer des changements dans son répertoire plurilingue et l’utilisation de ses langues. Immergé dans cette nouvelle langue, l’enfant acquière rapidement un vocabulaire de plus en plus important et lié à des matières spécifiques. Les parents se voient alors dans l’obligation d’utiliser ce vocabulaire et finalement la langue d’enseignement quand ils aident leurs enfants avec leurs devoirs. C’est ce qu’explique très bien le père dans la famille B (Annexe5): « 53 « en tout cas pour le français c’est facile moi de toute façon je leur parle qu’exclusivement français sauf dans un cas particulier c’est lorsque moi par exemple je suis on va dire le tuteur de maths », 55 « en général et or comme leurs cours sont en anglais », 57 «si tu

vocabulaires qu’ils n’ont pas entendu qu’ils ne connaissent pas ça complique l’apprentissage donc lorsque je leur donne des cours ou que je les aide avec leurs devoirs de maths eh bien je suis obligé de leur parler anglais pour être certain que le langage que j’utilise est le même que celui que dit le

professeur ». La langue de l’école est réutilisée par souci de simplification et de

compréhension dans la communication. Cela veut dire que la langue de la famille perdra tout un pan au niveau de son lexique. L’enfant développera le lexique lié aux mathématiques dans une langue seulement et ce ne sera pas celle privilégiée au sein de la famille. Ce dernier point renvoie au principe de complémentarité selon lequel tout bi-plurilingue (Grosjean, 2015, p.41-42) « apprennent et utilisent leurs langues dans des situations différentes, avec des personnes variées, pour des objectifs distincts. » Ainsi chaque domaine ou activité correspondra à une langue en particulier.

3.1.3. La langue d’origine dans les couples mixtes

Comme nous avons pu le noter précédemment, ce n’est pas chose aisée que de décider de parler une autre langue que sa langue première avec ses enfants et des limitations peuvent survenir.

Tout d’abord, même si le parent connait et utilise bien la langue privilégiée de la famille, il est rare qu’il entretienne la même relation d’intimité qu’avec sa langue et qu’il la domine aussi bien. Arturo (famille C) et Mary (famille D), tous deux utilisant leur langue seconde ou troisième langue comme langue privilégiée de communication familiale, avouent avoir recours à leur langue d’origine, l’espagnol pour le premier et l’anglais pour la seconde quand ils sont fatigués. L’utilisation d’une langue dans le contexte familial, autre que la langue d’origine, n’est pas à l’abri du retour de celle-ci. En fait c’est très souvent dans sa langue d’origine que les individus s’expriment lorsqu’ils sont en proie à des émotions fortes et la famille est sans doute un milieu fort propice à l’émergence de ces émotions.

3.2 Les éléments de réussite

Par rapport aux éléments de réussite de cette politique langagière familiale mise en place, nous pouvons tout de suite souligner les compétences dont font preuve les enfants de notre corpus dans leurs trois langues. Cette réussite serait à mettre en relation, il nous semble au fait que les parents soient bien conscients de privilégier la langue minoritaire au sein de leur famille et que chaque langue soit bien associée à un contexte.

3.2.1 Meilleurs résultats avec la langue minoritaire privilégiée en famille

Cette politique est bien celle d’une langue associée à un contexte particulier et par rapport à notre corpus, c’est celle qui a été adoptée en majorité. En effet, la langue minoritaire, le français, ne peut se développer dans le répertoire plurilingue des enfants que s’ils y sont fortement exposés. Ainsi si les deux parents choisissent de mettre en place cette langue comme langue de communication familiale, elle a plus de chance de s’installer que si un des deux parents la transmet seul. En instaurant la langue minoritaire, qui ne se parle pas à l’extérieur de la maison, comme langue familiale et ce, parlée par tous les membres de la famille, c’est en multiplier les interactions et les opportunités de l’utiliser. D’après Annick de Houwer, (citée par Abdelilah-Bauer, 2012, p.87), la langue minoritaire pratiquée en famille et cela par les deux parents reçoit de meilleurs résultat et mène à un maintien plus durable du bi-plurilinguisme.

En effet, quand chaque parent décide d’utiliser sa propre langue avec ses enfants, les interactions se complexifient quand tous les membres de la famille sont présents. Quelle est la langue utilisée alors ? Il peut être difficile pour le parent de garder une consistance dans l’utilisation de sa langue, surtout si c’est la langue minoritaire, ou que son conjoint de la parle pas. Si la langue de l’environnement est aussi celle d’un des parents et qu’il l’utilise avec ses enfants, il va sans dire que l’autre langue, ne pourra atteindre le même taux de transmission.

3.2.2. Compartimenter les langues pour une clarté dans les pratiques langagières

Les enfants du corpus réussissent assez bien à compartimenter les langues et à s’adresser aux uns et aux autres, au sein de la famille ou à l’extérieur, dans la langue correspondante au contexte. Hélot compare la famille et la société en affirmant que « diverses langues ne peuvent coexister que si à chacune sont assignées des fonctions différentes. » (2007, p. 71). Azadée mentionne le fait de compartimenter les langues et d’assigner à chacune d’elle un contexte ou une personne bien précise, (annexe 6) :192 « alors si c’est pas je pense que c’est pas mal de compartimenter en secteur différent c’est-à dire la télé par exemple les divertissements la famille l’école l’extérieur qu’il y ait plusieurs secteurs comme ça pour que ça se compartimente dans le cerveau de l’enfant parce que ça lui permet de mettre chaque chose à sa place tandis que si à la maison on parle plus- trois langues par exemple à la maison euh ça va se compliquer sauf si enfin ça c’est mon avis sauf si chaque personne a une langue par exemple papi parle anglais grand-mère parle telle langue donc je dois m’adresser à eux forcément comme ça… ».

Cette structuration au niveau des pratiques et des contextes liés aux langues créerait un milieu langagier dans lequel l’enfant se sentirait plus en confiance et plus à l’aise. En effet,

il saurait automatiquement quelle langue utiliser pour tel domaine ou avec telle personne. Il faut souligner que l’enfant, déjà tout petit, a besoin de structuration pour sa construction identitaire et cela s’étend donc à sa construction langagière.

Après avoir analysé les différentes politiques langagières ainsi que leurs différentes facettes d’utilisation, nous allons nous tourner vers les conditions favorables au développement du bi-plurilinguisme des enfants à Porto Rico.

Chapitre 5. Les conditions favorables au développement du bi-