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Chapitre 8. La relation entre l’école et les parents

3. LES ACTIONS DES PARENTS PERÇUES PAR LES ENFANTS

Une chose est certaine quand nous lisons le corpus de données recueillies lors des entretiens faits avec les parents et les enfants : les parents sont présents, voire très présents, dans le plurilinguisme de leurs enfants. Maintenant, la question est de savoir si les enfants ont conscience de cette implication parentale et comment celle-ci leur apparait. Il sera donc

question d’analyser la présence de divergences ou de convergences dans les entretiens entre parents et enfants.

3.1. La contrainte de parler une langue plus qu’une autre

Dans notre corpus de données recueillies chez les enfants, c’est dans les paroles recueillies chez Benjamin de la famille D que nous relevons ce point (Annexe 12) : 100 « ma mère elle me fait me souvenir parler français quand elle est là l’espagnol avec les amis etc. », 122 « euh ma mère essaie de se souvenir tant qu’elle se souvienne elle nous le dit », 124 « euh après quelques phrases on oublie c’est pas facile », 126 « on est trop habitué à l’anglais », 112 « ils préféreraient qu’on parlerait français ou espagnol l’anglais ils veulent qu’on ne parle pas parce qu’on en connait déjà assez », 117 « donc ils voudraient que vous parliez un peu plus », 118 « le français et l’espagnol mais le français surtout le français parce que l’espagnol on peut le faire avec

les amis », 120 « et le français c’est vraiment en famille qu’on peut le pratiquer ». Les parents,

notamment la mère, interviennent très régulièrement au niveau des interactions langagières de leurs enfants dans le but de les faire revenir à l’utilisation de la langue censée être parlée dans le contexte donné. Ainsi, en contexte familiale, les parents rappellent à l’ordre leurs enfants sur l’utilisation du français et en contexte amical, c’est sur celle de l’espagnol. Dans les deux cas, c’est l’anglais qui a usurpé la place des deux autres langues, au grand dam des parents qui tentent constamment de faire revenir les deux autres langues dans les pratiques langagières de leurs enfants.

L’emploi de plus en plus dominant de l’anglais ne semble pas être un signe de mauvaise volonté de la part des enfants, mais comme le souligne Benjamin, c’est devenu une habitude et par extension un automatisme et un réflexe naturel. La langue « naturelle » des enfants est devenue l’anglais, et le fait que tout leur entourage à Porto Rico le comprenne, sache le parler et l’utiliser a certainement exacerbé cette tendance. En tout cas, c’est l’intervention des parents dans l’usage des langues de leurs enfants dans cette famille D qui révèle une divergence entre les perceptions de chacun sur leur plurilinguisme. En effet, les parents sont certains que leurs enfants n’apprécient pas le fait d’être trilingues. Ils mettent surtout en cause la présence de cette contrainte d’usage des langues afin de préserver les trois langues et de leur conserver une place dans les pratiques langagières. Voici les paroles des parents sur ce sujet (annexe7) : 182 « oh oui ils en sont très conscients mais euh ça ne veut pas dire que je crois qu’ils sont conscients qu’ils n’ont pas choisi d’être trilingues » 184 « ouais ils sont conscients des embêtements que ça leur apporte et que tous les jours on est après eux à dire parle français parle français ou parle espagnol », 186 « oui c’est quand les voisins sont là parle

constamment à ne pas parler seulement anglais » 189 « et ça ne leur plait pas beaucoup de gens leur disent ah vous en avez de la chance c’est extraordinaire d’être trilingue mais jamais eux ils n’ont dit

qu’ils étaient contents d’être trilingues enfin je ne me souviens pas une seule fois ». L’hypothèse

est alors émise d’une fierté non exprimée : 195 «alors peut-être qu’intérieurement ils en sont fiers je ne sais pas quand les gens les félicitent mais pas une seule fois je me souviens de »

196 « non » 198 « de eux-mêmes » 199 « non » 200 « d’exprimer qu’ils étaient contents

d’être trilingues » 201 « non pas un jour..] » .

Cet extrait expose une certaine frustration des parents par rapport à cette situation et sous-tend le désir d’entendre une satisfaction de la part de leurs enfants sur leur plurilinguisme. Or, du côté des enfants, à aucun moment le terme « d’embêtement » n’apparait. C’est vrai que Benjamin utilise celui de « difficile » dans l’extrait cité plus haut, puisqu’évidemment cela leur demande des efforts supplémentaires mais il n’associe aucune connotation négative dans le fait d’être trilingue. Rappelons que lui et son frère exprime plutôt un plaisir à l’être !

Les parents de cette famille sont très impliqués dans leur rôle de facilitateurs des langues chez leurs enfants et le fait de ne pas avoir un retour direct positif de la part de leurs enfants installe chez eux une frustration et le sentiment qu’être trilingue n’est pas apprécié. Et pourtant, il l’est pour Ben et Max.

3.2. L’aide aux devoirs, à la lecture et à l’écriture

Le corpus des enfants fait mention de l’aide de leurs parents au niveau des devoirs, celui de la mère, Veronica dans la famille B et celui du père et des grands-parents dans la famille C. Ils reçoivent donc une aide quasi-quotidienne par rapport à un enseignement académique d’une langue ou d’une autre matière.

C’est par contre dans la langue considérée comme étrangère à Porto Rico, à savoir le français, que les parents doivent intervenir s’ils veulent que leurs enfants acquièrent la lecture et l’écriture. Ici, il n’est pas question de Simon, qui lui, reçoit l’aide extérieur du Cned et de la maman de son amie francophone pour continuer sur sa bonne lancée de développement de l’écrit. C’est au sein des autres familles que l’intervention des parents peut être reconnue ou non par les enfants. Et en effet, les enfants reconnaissent l’aide apportée au moins par un de leurs parents, voire les deux et rejoignent ce qui a été dit par leurs parents eux-mêmes.

Pour Max et Benjamin, il ne fait pas de doute que le père leur a permis de parler le français mais aussi de le lire et de l’écrire. Ils mentionnent aussi leur mère à un moment

donné ou un autre pour son aide dans l’acquisition de ces mêmes compétences. Marco mentionne le fait que c’est grâce à son père qu’il a pu avoir accès à la lecture en français ; par contre, cette mention n’apparait pas chez son frère qui n’a pas encore expérimenté l’aspect écrit de la langue française. Finalement, même Coco, évoque l’aide de sa mère dans le développement de l’écrit en français: 126 « ma maman elle me lit beaucoup donc euh la j’ai beaucoup d’histoires et euh j’ai beaucoup d’histoires beaucoup de livres là-bas aussi donc euh ouais

j’apprends à lire », 128 « et euh à euh à à écrire elle m’a aidé mais à lire euh moi j’ai appris. Les

enfants sont donc conscients de l’implication d’un ou des parents à un moment donné dans leur processus d’apprentissage de la langue.

3.3. Correction des erreurs, des mélanges de langues et aide à trouver le mot manquant.

La majorité des enfants de notre corpus est consciente des erreurs ou des mélanges de langues pouvant être commis dans l’usage de leurs langues.

Simon se rend compte que pour lui, le mélange de langues intervient entre l’anglais et le français car comme il le dit lui-même, il fait de l’anglais de manière très intense depuis deux ans. Il semble qu’il reçoit et accepte les corrections de la part de ses parents mais qu’en même temps il leur demande de l’aide quand il recherche un mot, que ce soit dans n’importe quelle langue. L’intervention des parents se fait donc à trois niveaux ; celui des erreurs dans une langue, celui des mélanges de langues et finalement dans la recherche de vocabulaire.

Pour les enfants de la famille B, la correction est reconnue comme systématique comme l’indiquent ces paroles (annexe 10) : 168 « oui tout le temps mon mon papa il est en train de me

corriger » et bien définie au niveau des deux langues familiales :172 « uniquement le français

ma mère elle le fait en espagnol aussi ». Selon Mateo, la mère intervient pour faire des

corrections en anglais mais seulement dans le cadre des devoirs en langue anglaise. Sinon, les alternances codiques ne surviendraient pas trop fréquemment dans leur parler bi- plurilingue mais seraient corrigées de toute façon par un des parents. Matéo évoque des difficultés parfois à trouver ou à comprendre des mots en français et emploie alors un terme en anglais pour se faire comprendre. C’est son père alors qui va l’aider à se repositionner en français en lui fournissant le mot manquant.

Ben et Max de la famille D, commettent également des erreurs et des mélanges de langues, même si Max pense qu’il en commet moins que d’autres, comme nous l’avons mentionné précédemment ! De toute façon, les parents interviennent, notamment dans le cas d’une recherche de mots. Dans le cas de figure d’un mot manquant en espagnol, la recherche

Finalement, le cas de Coco est différent dans le sens où son assurance dans ses compétences langagières est tellement grande qu’elle affirme qu’elle s’autocorrige et qu’elle corrige même sa mère en anglais ou même dans ses autres langues ! 161 « c’est la même chose », 162 « et qu’est-ce qu’ils font tes parents alors quand tu fais une erreur », 163 « ba rien (rires) », 164 « ils te corrigent ou », 165 « non moi je me corrige moi-même je fais euh comme euh je dis quelque chose mal et (bruit de bouche) smilest au lieu de smallest bein je dis ça », 169 « maintenant oui avant ma maman je corrige ma maman », « d’accord en anglais tu la corriges » 171 « et en français aussi (rires) et en espagnol ». Elle démontre toutefois une très bonne connaissance des langues et parvient à faire des connections entre elles, ce qui lui permet alors de ne pas faire de mélanges de langues :189 « non mais non je fais des erreurs mais pas d’autres langues », 193 « non enfin par exemple moustache c’est la même

chose que mustache en anglais donc euh c’est pas une erreur mais c’est comme ça ». Ce dernier

extrait démontre bien que l’enfant s’appuie sur ses différentes langues pour construire du savoir ce qui démontre déjà une certaine maturité dans les connaissances de ses différentes langues.

Nous avons donc examiné le versant du corpus correspondant aux enfants. Nous ne pouvons terminer notre étude sans un mot sur le devenir des langues chez ces enfants.

Chapitre 10. Le devenir des différentes langues dans le répertoire