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Chapitre 7. Les perceptions des parents sur les compétences plurilingues de leurs enfants

2. LES COMPÉTENCES LANGAGIÈRES AU NIVEAU DE LA NORME

Dans cette partie, nous allons examiner les perceptions des parents sur les compétences langagières de leurs enfants au niveau des normes de langue. En examinant ces perceptions c’est également leur positionnement par rapport aux normes qui apparaissent ici. Dans le concept de normes de langue, ce sont les alternances codiques ou plus communément appelés les mélanges de langues, ainsi que le parler bi-plurilingue et les erreurs commises dans chacune des langues qui nous intéressent. Le parler bilingue est (Grosjean, 2015, p.70) « l’utilisation d’une langue qui contient des alternances de codes et des emprunts ». Par alternance de codes, nous entendons le phénomène d’un passage d’une langue à une autre à l’intérieur d’une même phrase, tour de parole ou conversation. L’emprunt, lui est, (Grosjean, 2015, p 74) « l’intégration d’éléments d’une langue dans l’autre. En général il concerne à la fois la forme et le contenu d’un mot… ». Le spanglish comme nous l’avons présenté dans notre cadre théorique est un très bel exemple de parler bilingue, alliant l’alternance codique et les emprunts. Examinons justement les différentes perceptions et sentiments des parents par rapport à ces transformations de langues dans le parler de leurs enfants.

2.1. La perception sur le spanglish et du parler bilingue

Par rapport au spanglish et au parler bilingue, nous pouvons tout de suite relever la comparaison négative du père de la famille B qui utilise le terme de « bouillabaisse » pour décrire le résultat des mélanges de langue et le résultat qui découle de ces mélanges. Sa perception du parler bilingue est clairement négative et il fait plutôt partie de ceux en faveur d’une norme stricte de la langue.

La famille A suit la même attitude vis-à-vis du parler bilingue et dès son arrivée à Porto Rico a décidé de s’en méfier. Aude en parle de la façon suivante (Annexe 4):442 « en fait quand on est arrivé on a été assez on a été assez pas choqués mais on a tout de suite fait attention au fait que ici à Porto Rico les gens ils utilisent l’anglais et l’espagnol dans la même phrase et c’était d’ailleurs pour euh enfin pour moi quand j’ai commencé à parler avec des gens ici vraiment d’une

compte qu’ils parlaient les deux à la fois c’était pour nous enfin pour moi c’était vraiment très dur de comprendre en fait ce mélange d’anglais et d’espagnol c’était encore plus un travail », 444 « pour le comprendre déjà l’espagnol l’anglais c’est c’est du travail intellectuel mais là c’était encore plus mais on s’est souvent fait la réflexion il faut qu’on fasse attention à nos enfants qui qui quand ils

parlent ils parlent une phrase une langue en fait et euh ». Il s’agit donc pour eux d’empêcher

leurs enfants d’utiliser deux langues dans une même phrase et de bien les séparer en s’exprimant avec une phrase une langue. L’entretien montre bien que c’est la règle qu’ils ont mis en place au sein de leur famille et apparemment les enfants y font attention.

2.2. Une tolérance plus grande au parler bilingue : la famille C

Cependant il est bien évident que la langue de l’environnement et de l’enseignement devient celle qui s’infiltre partout et prend le dessus. Les parents en sont bien conscients et même s’ils tentent de mettre des barrières à cette dominance, elle est souvent inévitable et les enfants l’emploient quasi-automatiquement. En fait, c’est aussi le fait que des mots très souvent employés dans une langue vont revenir dans la communication qui peut être menée dans l’autre langue. Azadée de la famille C traduit cela par faire des « raccourcis ». Cette famille a donné comme exemple, parmi d’autres, le mot de « chancletas » (terme espagnol qui se traduit par « tongs, flip-flop » en français). Coco utilise tout le temps la version espagnole et d’ailleurs les parents ne savent pas si elle connait le terme français. Elle démontre alors ici un élément monolingue dans son répertoire plurilingue (Annexe C) : 386 « elle connait pas le mot c’est pas des tongs pour elle », 387 « non jamais ce sera des tongs pour elle », 388 « même si elle te fait une phrase en français elle va te dire « chancletas » si elle est en train de parler des « chancletas », 389 « c’est ça », 390 « il y a certains mots qui sont toujours dans une langue », 391 « ouais « , 393 « et je crois même qu’elle oublie comment ça se dit en français », 395 « parce que ce sont des mots très importants pour Porto Rico par exemple les tongs comme on est tout le temps en tongs à Porto Rico on dira jamais les tongs », 397 « on dira toujours les « chancletas », 400 «et pourtant c’est plus long le mot est plus long y a quoi d’autres la « bata » la

chemise de nuit », 403 « euh dire des choses qu’elle dira tout le temps en en espagnol ». En fait de

nombreux mots très présents au niveau de la vie quotidienne sont presque exclusivement utilisés en espagnol et absents dans leur équivalence dans les autres langues. Les parents ne sont pas dupes sur la présence de ce phénomène chez leur fille puisqu’ils reconnaissent le faire aussi. Ils ne peuvent donc pas reprendre leur fille et la corriger si eux-mêmes font ces emprunts et ne s’autocensurent pas.

A la différence des familles A et B, la famille C ne semble pas s’offusquer vraiment de cet emploi du parler bilingue et le trouve assez inévitable. Ils n’ont pas installé une

politique de lutte à son encontre, mais semblent plutôt l’analyser et l’accepter assez sereinement. Cet exemple donné d’un emprunt espagnol peut aussi survenir en anglais comme le démontre cette phrase d’Azadée : 127 «j’ai l’impression de « struggle » un petit peu euh tu vois c’est u »n peu « soft » ou même des phrases entières et ça c’est marrant c’est un truc qui

s’est passé à cause de la télé de l’exposition ». Que ce soit en espagnol ou en anglais les emprunts

surviennent régulièrement dans le parler plurilingue de cette famille. Est-il perçu comme négatif ? Dans ce cas, non.

2.3. La norme de la langue maternelle : une histoire de père.

Les données de notre corpus révèlent une attitude plus stricte ou sévère des pères envers le parler bilingue ou les erreurs commises dans les langues. Que ce soit Antoine (famille A) en français ou Arturo (famille C) en espagnol, leur langue maternelle doit être transmise aux enfants de manière la plus correcte possible. Le premier l’exprime très clairement dans l’extrait suivant (annexe 4): 465 « ba moi je suis quand même attaché au français », 467 « d’une manière générale et euh je sais que ça m’insupporte quand la phrase n’est pas bien faite quand on met des mots qui ne sont pas les bons et parce que ça m’insupporte aussi dans mon travail et travailler en France avec des collègues et pourtant je suis pas forcement quelqu’un de très bon en français mais je trouve que c’est important de de par respect envers les autres de d’utiliser la langue correctement et donc ça s’applique à l’anglais quand on doit parler anglais et que c’est quelque chose d’important pour moi sur lequel j’aurais du mal à laisser les

enfants faire ». Cette volonté d’acquisition et d’utilisation d’une langue correcte se traduit

alors par des corrections, systématiques dans le cas d’Arturo (Annexe 6): 457 « oui j’essaie

de la corriger tout le temps »,460 « systématiquement », 461 « oui à l’oral surtout euh avec les

temps les temps verbaux parce que je sais que ça c’est compliqué »,463 « à l’écrit aussi ». Dans le

témoignage de ce père, la notion d’un mauvais espagnol portoricain apparait et il veut l’éviter chez sa fille : 467« oui et j’essaie vraiment de la corriger le plus possible parce que je veux pas que qu’elle c’est dommage mais je veux pas qu’elle parle comme les autres portoricains qui ne parlent pas trop bien l’espagnol et qui disent des trucs bizarres ».

La mère, quant à elle, ne partage pas cette politique systématique de la correction. Pour elle, la correction systématique des erreurs serait plus de l’ordre d’un perfectionnisme qu’elle n’applique pas dans la transmission de sa langue maternelle, le français. En fait, elle adopte une ligne de conduite plus souple avec même une envie de cultiver les petites erreurs commises par sa fille : 452« tu veux que je réponde d’abord bon ok bon déjà on la corrige souvent parfois on la corrige pas c’est très bizarre ce que euh comme l’ang-le français c’est la langue de la

exemple le dépositoire (rires) au lieu du suppositoire ou faire a briqué au lieu de fabriquer euh des

petits trucs comme ça c’est tellement mignon que même euh on ». Il est vrai aussi que le français

n’est pas la langue de scolarisation de Coco, du coup l’enjeu n’est pas le même et les erreurs commises dans cette langue sont considérées beaucoup moins importantes que dans la langue qui sera évaluée à l’école.