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Chapitre 2 – Imagination et configuration spatiales

3.3 Métaphores spatiales et historiographie

3.3.3 Le sens du présent (Furet)

En effectuant ses portraits de contemporains soviétiques et français, Furet nous a donné plusieurs indices sur la métaphore spatiale du plancher des réalités. C’est surtout de façon négative, en cernant comment Furet énonçait les dangers pesant sur le contemporain, que nous avons pu explorer ce plancher, qui permet de distinguer entre le contemporain se débattant dans des combats d’ombres illusoires et celui assumant l’irréductible nouveauté du présent. Les légendes, les modèles idéologiques et les schèmes d’interprétation à forte teneur téléologique sont particulièrement susceptibles, selon Furet, d’être intériorisés par un contemporain, ce qui le mènerait à expérimenter le présent et à anticiper le futur uniquement en fonction de ces jumelles et de ces ornières.

Ces considérations nous donnent déjà plusieurs indices sur la façon dont l’auteur situe l’historien par rapport au plancher des réalités. Bien que Furet soit moins prolixe que Certeau et Dumont sur les lieux d’ancrage de l’historien, et donc moins porté à fonder théoriquement cet ancrage, il en parle pourtant à travers ses appréciations ponctuelles d’une œuvre ou d’un fait d’actualité, notamment dans ses comptes rendus – portant régulièrement sur l’historiographie – pour France-Observateur et, par la suite, pour Le Nouvel Observateur. L’une des jonctions mises en évidence à propos de Certeau et Dumont portait sur la relation entre l’expérience du contemporain-historien et ses pratiques de recherche. Malgré sa méfiance vis-à-vis des profondeurs et du milieu, Furet pose également la relation de l’historien avec son présent comme décisive dans ses pratiques de recherche. Mais il le fait

avec la métaphore du plancher des réalités, en restreignant considérablement la « solidarisation » de l’historien avec les entités de ce présent (groupes, communautés réelles ou projetées, etc.). En quelque sorte, alors que Dumont bornait l’activité (pertinente) de l’historien aux possibles du milieu et de son antécédence, Furet circonscrit cette activité en fonction du plancher des réalités. C’est pourquoi il pose comme critère éthique décisif le « sens du présent » (ou la « sensibilité au présent ») pour jauger les historiens, ce qui s’appliquait aussi aux contemporains vus plus tôt. Ce sens du présent constitue également une façon d’énoncer le comparable de l’ancrage au présent.

Dans « Le Catéchisme révolutionnaire », lors de la joute célèbre opposant Furet à ce qu’il nommait l’establishment universitaire des études sur la Révolution française, on retrouve un intéressant passage réflexif. Furet se confronte alors à l’historien C. Mazauric en admettant qu’« il est clair que lui et moi ne portons pas le même jugement sur le monde actuel ». En fait, c’est non seulement d’un « jugement » dont il s’agit, mais aussi d’une certaine expérience du présent :

« L’histoire qui s’écrit, bien sûr, est encore de l’histoire. Mais, sauf à tomber dans un relativisme intégral, qui consisterait à faire du présent la ligne de démarcation des différentes lectures du passé, il faut essayer de comprendre les médiations intellectuelles à travers lesquelles l’expérience et les partis pris de l’historien se fraient leur voie dans l’œuvre »223. Malgré les apparences, les mises en garde de Furet contre l’influence des temporalités extérieures intériorisée par l’historien n’impliquent pas une valorisation du passé (en soi) pour leur faire contrepoids. Certains commentateurs s’y sont fait prendre, négligeant la globalité de l’expérience de Furet au tournant des années 1970 et faisant découler de sa critique des passions idéologiques une posture. De la même façon, certains ont rangé, par effet de bascule historiographique, Furet à droite parce qu’il s’est montré sévère envers la gauche. On relève la même méprise à propos de la promotion de l’histoire quantitative ou sérielle de Furet en 1971 et en 1975. Loin d’être une apologie du « positivisme » des années 1960, il s’agissait plutôt de

contribuer aux mécanismes de défense de l’historien afin de l’extirper des récits légendaires et de le pousser vers l’élaboration de chantiers et d’interprétations insolites224.

En fait, ce n’est pas la « science en soi », dégagée des événements, qui constitue l’horizon scientifique de Furet et qui lui sert de norme pour aborder les liens entre recherche et contemporanéité. C’est le présent qui remplit cette fonction, extension temporelle du plancher des réalités qui, déjà, nous permet de repérer une différence avec les propos de Certeau et de Dumont. Alors que ceux-ci adjoignaient une vaste antécédence à leur métaphore spatiale, Furet circonscrit celle-ci en parlant des impératifs du présent. Mais ceux-ci ne sont plus associés à un socle solide du réel comme au tournant des années 1960. Il n’y a plus de boussole intégrée et l’on ne peut plus épier les processus objectifs de la modernité comme ce qui donnerait, à force de raison et de lucidité, le sens de l’Histoire en marche. Le présent est au contraire posé, au tournant des années 1970, comme le repoussoir des interprétations ou des schèmes prétendant l’enfermer dans une téléologie. C’est pourquoi le « présent », dans le corpus furetien, est souvent énoncé a contrario, à travers son non-respect, qui fait déchoir le contemporain et le chercheur dans la passion idéologique ou la surenchère dogmatique. Très peu de contemporains et de chercheurs échappent à ces dérapages provoqués par une insensibilité au présent. Tocqueville constitue à cet égard, comme on le verra plus bas, une exception qui fascine Furet.

Furet peut aussi jauger, synchroniquement, l’évolution de la discipline historique et les présents qui l’ont nourrie. C’est un exercice « salutaire » que celui d’assumer les « conditions ambiguës où s’enracinent et se mêlent l’historique et l’actuel ». Mais ce n’est pas suffisant, puisque la « simple constatation de la part du présent » doit être

« accompagné[e] d’une expertise particulière, aussi précise que possible, des contraintes de notre présent »225.

224Furet, « « L’histoire quantitative », dans L’atelier… (publié d’abord dans Annales ESC, no.26, 1971, et dans J. Le Goff et P. Nora, Faire de l’histoire, Vol. 1, Paris, Gallimard, 1974) ; et « De l’histoire-récit à l’histoire- problème », dans L’atelier… (publié d’abord dans Diogène, no.89, « Problèmes des sciences contemporaines », janvier-mars 1975).

L’énoncé est révélateur de ce qui distingue Certeau et Dumont de Furet à cet égard, notamment à propos du comparable de l’ancrage au présent. S’ils cherchent tous les trois les « contraintes » du présent pour circonscrire le rayon d’action de l’historien, Certeau et Dumont accentuent l’exploration des possibles que peut susciter l’historien au présent – et au profit de sa collectivité – grâce à sa connexion privilégiée avec les profondeurs et l’antécédence. Furet privilégie plutôt, de façon défensive, le démêlement des fils tissés entre le passé, le présent et le futur, particulièrement les schèmes impliquant une téléologie, qui font du présent le résultat prévisible du passé et une simple étape vers un futur préétabli. Pour cette raison, le récit marxiste de l’avènement du Prolétariat et celui du Progrès font partie des cibles privilégiées par Furet. Cette expertise historiographique incite donc, par ricochet, à découvrir les opérations par lesquelles un chercheur reconduit, fait remonter ou agir le passé dans le présent.

Dans les textes de Furet, le sens du présent n’est jamais gagné une fois pour toutes. On pourrait à cet égard comparer Ulysse, attaché à son mât pour résister aux sirènes, à l’historien qui fait face à de multiples tentations temporelles. Ces dangers sont d’autant plus nombreux que l’expérience brute du débordement complexifie le repérage des légendes et des reflux du passé. C’est pourquoi Furet, tout comme Certeau et Dumont, repère constamment les implications temporelles d’un énoncé, d’un postulat ou d’une opération. Le danger est de pratiquer une histoire qui reconduirait une légende ou un schème d’historicité, ce qui témoignerait de l’insensibilité au présent de l’historien et ce qui, en retour, renforcerait cette insensibilité226.

On mesure par là toute la différence entre le « présent » de ce plancher des réalités et le « présent » du milieu pour Dumont. Pour anticiper un peu sur le Chapitre 4, nous verrons que Dumont évalue l’historien en fonction de sa capacité à reconduire (autrement) un passé (potentiel), notamment en canalisant des intentions enfouies. Furet, de son côté, ne confère pas au présent l’extensibilité d’un itinéraire – encore moins celle d’un destin. Si l’historien de Furet s’inscrit dans l’histoire à travers le champ d’expérience et l’héritage de sa collectivité, ce n’est là qu’un point de départ. Comme E. Kouznetsov, il peut progressivement – et non 226Furet, « De l’histoire-récit… », p.77.

sans solitude et mélancolie – s’en dégager. L’historien de Dumont, au contraire, apparaît soudé à sa collectivité, à la fois point de départ et point d’arrivée.

Autre différence : Certeau et Dumont, en fonction de la figuration spatiale de la pression par le bas, mettaient en évidence la nécessaire sensibilité aux profondeurs (ou au milieu) de l’historien, afin que celui-ci reste connecté aux remuements issus du passé et se manifestant en « dessous ». L’historien de Furet n’est pas invité à emprunter ces souterrains, mais plutôt à demeurer sur le plancher des réalités. Un énoncé illustre bien l’activation de cette métaphore spatiale : ce qui sauve Tocqueville, selon Furet, de son penchant pour la « pensée spéculative » – grosse d’insensibilité aux événements –, c’est non seulement qu’il assume le rapport fondamentalement interprétatif avec le passé, mais aussi qu’il lie sa pensée aux « impératifs pratiques » du présent. On voit, avec cette locution et plusieurs autres, comment Furet est celui de nos trois historiens qui est le plus attaché à un référent « fort » du réel, ce qui était aussi le cas au tournant des années 1960. Pourtant, en historicisant la façon dont il utilise ce référent d’un tournant à l’autre, et en comparant cette utilisation avec celles de Certeau et de Dumont, on a remarqué que dix ans plus tard, il ne s’agit plus tout à fait de la même représentation du « réel ».

Plus spécifiquement, au niveau de la pratique, trois postures ou tentations risquent, selon Furet, d’éloigner l’historien de ces impératifs pratiques du présent : celle d’être trop « tourné vers le dépaysement dans le temps », celle de chercher à retrouver « la poésie du passé » et celle de pratiquer « la diversion dans l’érudition »227. Ces trois démissions de l’historien impliquent toutes le présent : le dépaysement n’est pas ici confrontation à la nouveauté qui émerge, mais fuite en arrière ; la recherche de la « poésie » du passé ne mène pas à la problématisation du passé, mais à la communion avec des récits légendaires ; la diversion dans l’érudition n’est pas rigueur, mais double-déni d’une actualité et des limites méthodologiques, référentielles et existentielles de tout chercheur en situation. À plusieurs égards, comme le démontre Furet, Tocqueville parvenait à déjouer ces démissions – Dumont parlerait d’« exils » définitifs –, puisque son lien avec l’histoire n’était pas constitué d’abord 227 Furet, « Tocqueville et le problème de la Révolution française », dans Penser la Révolution française…, Paris, Gallimard, 1978, p.237 et 209 (publié d’abord dans Science et Conscience de la société. Mélanges en l’honneur de Raymond Aron, Paris, Calmann-Lévy, 1971).

par le « goût du passé », mais par une « sensibilité au présent »228. Cette locution sert en quelque sorte de pendant éthique aux « impératifs pratiques » issus du plancher des réalités, tout comme l’assimilation du réel, au tournant des années 1960, était le pendant éthique de la figuration du socle solide du réel.

Spatialement, et en reprenant l’opposition haut / bas, on remarque que Furet redoute soit un investissement dans les profondeurs – chargées de messianismes, de passions idéologiques et d’irrationalité –, soit une distanciation abstraite vers le « haut », avec le placage d’un système, d’un schème ou d’une vérité sur la réalité passée. Le glissement peut donc s’effectuer vers le « bas », comme dans le cas Michelet, « visiteur de cimetières » constamment décentré par une « passion obsessionnelle » du passé, à la fois « sublime » et « lugubre », ou vers le « haut », à l’exemple de A. Soboul, qui pratique une « chirurgie » « néo-aristotélicienne » pour découper le passé en donnant aux classes sociales le statut de « catégories métaphysiques ». Ce découpage par « en haut » s’appuie sur un « marxisme d’école » et mène à une « sociologie rigide et strictement verticale » qui ne tient pas compte de phénomènes significativement situés plus « bas » comme la culture diffuse, la sociabilité des cafés, la mobilité sociale et le remodelage des statuts sociaux229. Au contraire, Tocqueville reste rivé au présent et aux impératifs pratiques, et ce, malgré son penchant pour la théorie et son héritage aristocratique, qui le met à cheval entre deux régimes d’historicité, témoin privilégié d’un monde en train de périr et d’un autre en train de naître au XIXesiècle. Mais cette résistance et ce coup de force de Tocqueville ne procèdent et ne visent pas (d’)une extirpation de la vie contemporaine : « Ce qu’il cherche, au contraire, tout au long de son existence, et qui donne à sa vie

intellectuelle sa force de pénétration et sa cohérence, c’est le sens de son présent »230.

À l’inverse, lorsque les historiens deviennent insensibles à leur présent, comme dans les cas d’A. Soboul et de C. Mazauric, ils refusent les confrontations qui mèneraient à des réaménagements de leurs postulats ou à la destruction de leur schème d’historicité, c’est-à- dire, dans ce cas-ci, un marxo-jacobinisme combinant la Révolution française et la Révolution 228Furet, « Tocqueville… », p.209.

229Furet, « Le catéchisme… », p.147 et 154. 230Furet, « Tocqueville… », p.209.

soviétique comme étapes dans l’avènement du prolétariat grâce à la lutte des classes. Ces historiens escamotent les réorientations suggérées par le présent afin de maintenir un « découpage » et le « finalisme » qui s’en nourrit231. On voit ici le rapprochement entre le traitement de l’origine par Certeau et celui du finalisme par Furet. Les effets de cette insensibilité sur la recherche sont majeurs : en exerçant une « projection mécanique et passionnelle du présent sur le passé », C. Mazauric propose des interprétations appauvries, d’autant plus qu’il « plaque un schéma marxiste sur un investissement politico-affectif »232. On peut évoquer ici deux comparables vus plus tôt, puisque C. Mazauric ne participe pas à la résistance aux cadres et refuse d’assumer un ancrage au présent, c’est-à-dire, pour Furet, à un présent en dehors d’une trame téléologique.

Terminons cette section avec une parenthèse sur la propre expérience de Furet. Plusieurs commentateurs ont souligné le rapport de Furet à son présent, soit pour en faire un aspect infâmant de sa carrière, soit pour ajouter à son apologie. Parmi les détracteurs, O. Bétourné et A. I. Hartig affirmaient que c’est une « logique institutionnelle » et un « art du recentrage » opportuniste qui expliquent les réorientations de Furet, qui aurait visé à créer, à partir d’« adeptes tournés vers une problématique plus que vers l’histoire » – propos qui ne lui aurait pas déplu ! –, un « réseau », « celui de François Furet »233. Pour R. Halévi, au contraire, Furet est incapable de se consacrer durablement à des objets ne correspondant pas à « l’expérience de son époque ». Il serait non seulement en adéquation avec son présent, mais en avance sur ses contemporains – encensement dont Certeau a également bénéficié chez plusieurs commentateurs. Cet avant-gardisme expliquerait son prophétisme et sa mélancolie précoce, qui en feraient un « disciple de Tocqueville »234.

Sans aller trop de l’avant dans la caractérologie, on remarque que Furet participe, avec une sensibilité aiguë, à une ère de désengorgement des idéologies où la critique du « haut », la résistance aux cadres et aux reflux du passé prennent appui sur les différentes expériences brutes du temps vues jusqu’ici. L’histoire croisée et comparée nous a permis de décentrer 231Furet, « Le catéchisme… », p.149.

232Furet, « Le catéchisme… », p.142 et 144 (nous soulignons).

233O. Bétourné et A. I. Hartig, Penser l’histoire de la Révolution. Deux siècles de passion française, Paris, La Découverte, 1989, p.184 et 153.

Furet, en cherchant à quoi les bifurcations de ses intérêts et de son itinéraire renvoient – au- delà de ses combats historiographiques et des arènes où, plus tard, on l’a actualisé. Nous sommes ainsi mieux préparé à aborder le paradoxe que M. Ozouf soulevait à propos de Furet, chez qui la « passion intellectuelle » sert de moteur pour « prêcher la nécessité de dépassionner la Révolution »235. Nous verrons ainsi au Chapitre 4 comment les considérations de Furet sur le rôle de l’historien contribuent à résoudre ce paradoxe.

* * *

Pour conclure cette section, remarquons d’abord à quel point Furet, comme Certeau et Dumont, inscrit l’historien dans son temps et dans sa société, jaugeant le premier selon sa capacité à s’ajuster à ce que les deux autres deviennent. À cet égard, le contexte en U.R.S.S. diffère considérablement de celui en France. Les dissidents soviétiques réagissent à un monde totalitaire, alors que les Français font face à une société bloquée qu’ils tentent de comprendre à coup de légendes et de lyrisme révolutionnaire. En quelque sorte, Furet retrouve en U.R.S.S. la clarté des combats qu’il percevait lui-même en France au tournant des années 1960, notamment autour de l’antigaullisme et de la lutte au conservatisme. Notons une différence toutefois : c’était l’obéissance aux forces du progrès qui primait alors dans les considérations de Furet, qui invitait même l’historien à épouser les « luttes de la classe objectivement progressive » de son époque236! Au tournant des années 1970, le combat des dissidents soviétiques ne peut plus s’appuyer sur cette Histoire en marche, ce que le portrait d’un E. Kouznetsov, en exil intérieur de sa société, visait à souligner.

Avec l’évanouissement des processus objectifs de la modernité, le présent conserve son statut de point d’appui solide pour Furet, même s’il n’est plus bonifié par la confiance que suscitait le régime d’historicité moderniste. La disparition d’un socle solide du réel est ainsi relayée par la métaphore du plancher des réalités, qui permet à Furet de poser les « impératifs pratiques » du présent, que l’historien ne doit pas perdre de vue. Il en découle deux qualités pour l’historien, qui servent aussi d’indicateurs à Furet : le « sens du présent » et la « sensibilité au 235M. Ozouf, « Préface » à Furet, La Révolution, de Turgot à Jules Ferry (1770-1880), Paris, Gallimard, 2007 [1988], p.xii.

présent ». Ceux-ci ne déportent pas l’historien vers les profondeurs de sa société ou vers un approfondissement de ses liens avec le milieu. Ces deux métaphores spatiales, bien que fascinantes à étudier pour Furet, menacent le sens critique et mènent à des intériorisations qui brouillent le sens du présent. En fait, l’historien doit à la fois se garder d’un « haut » et d’un « extérieur », c’est-à-dire d’un sens imposé (schème d’historicité, légende) et d’une intériorisation de cet extérieur, notamment à travers la reconduction et l’exaltation de la mémoire (affective, non réflexive) ou de l’origine. Une telle exaltation induirait une lecture du présent et du passé qui mènerait l’historien à verser dans la téléologie.

Dans la deuxième partie de ce chapitre, qui portait sur les liens entre les métaphores spatiales de nos auteurs et la place de l’historien au sein de celles-ci, nous avons pu pousser davantage la comparaison de ces métaphores. L’objectif était de vérifier si celles-ci, établies dans un premier temps en fonction du monde contemporain, étaient pertinentes pour explorer des jonctions sur le plan de la recherche. Les liens sont effectivement apparus nombreux entre les deux plans ; nous continuerons à les explorer dans les deux prochains chapitres.

Jusqu’ici, nous avons découvert que la métaphore spatiale des profondeurs permet à Certeau de jauger de quelle façon l’historien chemine dans l’antécédence (le passé) en fonction de son rapport à l’origine et de sa capacité réflexive. La figuration du milieu pour Dumont sert à délimiter le champ des possibles de l’historien, dont les pérégrinations dans le passé sont liées au devenir de sa collectivité à travers les normes qu’il débusque dans ses pratiques de