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Sport et chômage : des catégories à l‟entrecroisement des mondes sociau

C. Segmentation et entrecroisement : la mise en mouvement

Activité primaire, site et technologie sont étroitement liés et forment, en quelque sorte, l‟ossature du monde social. Au-delà de ces éléments considérés de façon analytique, ils constituent donc un ensemble uni et caractéristique de chaque monde social. Par conséquent, lorsque l‟on parle du beach-soccer, du fùtsal et du football traditionnel, il est fait référence à trois ossatures singulières et bien distinctes, et donc à trois mondes sociaux bien différents. Pour autant, difficile de nier une identité de fond entre ces trois mondes sociaux qui ont trait au monde social du football. De surcroît, certains membres du monde social du football traditionnel participent également au monde social du fùtsal. Il faut par

conséquent admettre qu‟un individu puisse, selon les contextes, adhérer à différents registres de catégorisation. A travers cet exemple, il s‟agit d‟illustrer ici la double caractéristique de chaque monde social selon Strauss : la segmentation et l‟entrecroisement. Ces deux propriétés permettent à l‟auteur de conférer une dimension processuelle aux mondes sociaux qui deviennent pour lui des moyens « de mieux comprendre les processus du changement social » (Strauss, 1992, 269).

1. Tout monde social est le segment d‟un autre

Segmentation et entrecroisement sont étroitement imbriqués et n‟observent aucun rapport d‟antériorité ; chacun est à la fois la cause et la conséquence de l‟autre. Mais commençons, pour décrire ce qui relève bien d‟un processus, par la segmentation. Nous l‟avons dit, selon Strauss, les mondes sociaux sont caractéristiques de n‟importe quel domaine particulier. Il existe par exemple un monde social de la course à pied comportant activité primaire, sites et technologies. Mais les mondes sociaux sont imbriqués dans un ensemble d‟entrelacs comme le sont les mots dans le réseau conceptuel du langage. La course à pied est, par exemple, une façon de faire du sport, et le sport lui-même constitue un monde social propre. Certains mondes sociaux sont donc à la fois des mondes sociaux à part entière tout en étant des segments d‟un monde social plus large. Ainsi, le sport se divise en autant de conceptions du sport qui ne se recoupent pas nécessairement avec les taxinomies légitimes du sport basées sur les formes de pratique (sport de raquette, sport de glisse, sport-collectif, sport de combat, etc.). De la même façon, la course à pied se divise également en divers segments correspondant à diverses conceptions du monde social de la course à pied (différence dans la version de l‟activité primaire, des sites ou des technologies). Ainsi, chaque segment peut constituer un monde social dès lors qu‟il recouvre une combinaison de caractéristiques (activité, sites, technologies) particulière. L‟étude des mondes sociaux ne se limite donc pas à des critères tels que le nombre de membres adhérant à un monde, même si évidemment une simple dyade constituant un monde social aura probablement peu d‟impact sur les processus de changement social.

Ajoutons également qu‟un monde social, qui est toujours le segment d‟un autre monde social, n‟est pas complètement autonome et indépendant bien qu‟il possède sa combinaison propre de caractéristiques. A ce propos, le concept d‟ensemble interactif de Dilthey, très

proche du concept de monde social, apporte une nuance que Strauss nous semble avoir formulée de façon moins explicite. Watier la résume ainsi : « La première propriété d‟un ensemble interactif est donc de donner un cadre à des processus qui se rapportent à lui » (2002, 29). En cultivant une conception alternative du chômage, les chômeurs militants ne forment pas un monde social qui soudainement se décrocherait du monde social du chômage et qui serait indépendant. Le premier n‟existe qu‟en fonction du premier. C‟est pourquoi, les enquêtes sociologiques portant uniquement sur les points de vue indigènes, comme s‟il convenait de rétablir la balance de la vérité, risquent de passer à côté de l‟essentiel. Autrement dit, toutes les catégorisations qui semblent relever d‟une émancipation des cadres institutionnels et légitimes sont d‟abord à considérer sous l‟angle de leur relative dépendance. Un écueil similaire apparaît dans la thèse du temps vide subi par les chômeurs qui décrit cette épreuve comme une expérience subjective de l‟absence de relations sociales et d‟activités significatives pour l‟individu. Mais c‟est oublier que cette subjectivité, si elle existe effectivement compte tenu du défaut d‟opérativité de la catégorie institutionnelle du chômage, s‟inscrit malgré tout dans une intersubjectivité. « Le temps de chômage ne peut être seulement considéré comme une durée subjective, expérientielle. Il se compose tout d‟abord de qualités différenciées issues des rapports sociaux qui contribuent directement à catégoriser certaines expériences comme du chômage » (Demazière, 2006, 124). La perspective en termes de monde social permet de ne pas céder à cette tentation de décrocher le discours indigène du discours officiel, comme son illégitimité sociale lui donnait une plus grande légitimité sociologique.

2. Entrecroisements contradictoires et changement social

Il y a là une forme d‟entrecroisement entre les mondes sociaux et leurs multiples segments qui sont en quelque sorte des déclinaisons. Mais il existe, selon Strauss, une forme d‟entrecroisement qui n‟implique pas nécessairement une telle imbrication verticale. Les mondes sociaux du sport et du chômage se croisent lorsqu‟un chômeur intervient dans un segment du monde social du sport. Seulement, dès lors que les catégorisations légitimes de ces deux mondes les présentent comme contradictoires, cette double appartenance nécessite un travail d‟adéquation ou de mise en correspondance en réponse à la contradiction apparente. Et quelle que soit l‟adéquation qui sera construite par le chômeur

sportif, il produira un discours qui décalera les conceptions légitimes du sport et du chômage puisque celles-ci buttent sur une inadéquation. La mise en mots de l‟expérience sportive du chômeur produit alors une conception alternative du sport et/ou du chômage, ou se rallie à une conception alternative existante. Dans ce cas, l‟entrecroisement des mondes sociaux du sport et du chômage, ou plus précisément de certains de leurs segments portés par les membres qu‟ils comportent, entraîne une segmentation. Mais « cette segmentation aboutit [également] à l‟entrecroisement de micro-mondes spécifiables » (Strauss, op.cit., 274) comme nous l‟avons décrit plus haut. Il y a donc un rapport d‟entraînement réciproque entre ces deux caractéristiques qui sont donc deux temps d‟un processus animateur du changement social. Des mondes disparaissent, se divisent ou se multiplient quand d‟autres apparaissent et se confondent, faisant de la société un ensemble d‟une fluidité difficilement saisissable : « C‟est un univers où la fragmentation, l‟éclatement et la disparition sont les images en miroir de l‟apparition, l‟émergence et la fusion » (Ibid., 275).

Voilà une façon d‟envisager la dynamique d‟une société qui paraît appropriée quand celle- ci se caractérise par un défaut d‟opérativité des catégories institutionnelles. Moins elles ont de prise sur les individus, plus elles se dilatent formant ainsi des mondes sociaux globaux (sport, chômage) comportant une multitude de segments négociés. Une perspective qui, par conséquent, accorde une place déterminante (mais non exclusive) aux catégorisations indigènes, voire aux univers de discours dirait strauss reprenant la formule de Mead, c'est- à-dire finalement, aux mises en mots des mises en ordre particulières des acteurs.

Dans une telle société, il y a de fortes chances que le processus qui vient d‟être décrit existe intensément et que les entrecroisements entre mondes soient nombreux. Dans ce cas, une référence au concept de cercle social de Simmel, qui converge avec celui de Strauss à propos du principe d‟entrecroisement, indique que ces imbrications multiples participent à singulariser l‟individu. Nous cédons ici à la tentation d‟une longue citation tant l‟extrait est explicite :

« Les groupes dont l‟individu fait partie constituent en quelque sorte un système de coordonnées tel que chaque coordonnée nouvelle qui vient s‟y ajouter le détermine de façon plus exacte et plus nette. L‟appartenance à l‟un d‟entre eux laisse encore une marge d‟action assez vaste à l‟individualité ;

mais plus ils sont nombreux, moins il y a de chances que d‟autres personnes présentent la même combinaison de groupes, que ces nombreux cercles se recoupent encore en un autre point. Nous ne connaissons plus un objet concret dans son individualité quand on le range sous un concept générale en fonction de l‟une de ses qualités, de sorte que chaque chose, pour parler comme Platon, participe à autant d‟idées qu‟elle possède de qualités, ce qui lui donne sa détermination individuelle : il en va exactement de même pour la personne face aux cercles dont elle fait partie » (Simmel, 1908, 416)

La tournure de cet extrait interpelle en ce que Simmel ne semble pas y présenter un individu qui navigue de cercles en cercles mais au contraire, les cercles auxquels il appartient se rencontrent en lui pour déterminer un système de coordonnées dont la singularité croît avec le nombre de cercles recoupés. Ceci rapproche Simmel, non seulement de Strauss, mais également de Dilthey dont nous résumions plus haut la position par une formule bien moins habile mais néanmoins claire : l‟individu comme carrefour des mondes. En filigrane de cette formulation de Simmel, on peut y voir, mais c‟est là un point de vue personnel, la possibilité d‟admettre un individu qui est multiple de façon synchronique. Non seulement l‟appartenance multiple est possible et l‟individu peut donc recouvrir plusieurs identifications mais il serait tout cela à la fois. Cette forme de multiplicité oblige à un travail d‟uniformisation, de mise en cohérence ou comme nous le disions, d‟adéquation des mondes sociaux. Par conséquent, la crise des institutions de la première modernité, le défaut d‟adhésion cognitive des individus aux cadres légitimes, ou encore le déchirement entre socialisation et subjectivité relevée par certains sociologues (Dubet, 2002 ; Kaufmann, 2004) ouvre à une distance à soi qui consiste en un travail subjectif d‟harmonisation de sa multiplicité eventuellement contradictoire. Il y a donc un lien étroit entre l‟activité réflexive et la distance à soi d‟une part et la multiplication des entrecroisements de mondes sociaux contradictoires comme Berger et Luckmann l‟ont suggéré : « Une société dans laquelle des mondes contradictoires sont généralement disponibles au niveau du marché entraîne des constellations spécifiques de la réalité (…). La conscience générale de la relativité de tous les mondes s‟accroîtra, y compris celle de son propre monde qui est maintenant appréhendé subjectivement comme « un monde », plutôt que comme un « le monde ». Il s‟ensuit que sa propre conduite institutionnalisée

peut être appréhendée comme « un rôle » duquel on peut se détacher soi-même dans sa propre conscience, et qu‟on peut jouer grâce à un contrôle instrumental. » (Berger et Luckmann, 2006, 283) Le travail subjectif se fait toutefois dans l‟interaction avec les cadres, qui n‟ont pas disparu pour autant, des mondes sociaux globaux et des versions institutionnelles.

Ce travail d‟harmonisation procéderait par ajustement de conceptions antagonistes de cercles ou de mondes sociaux. Si le croisement du sport avec le chômage semble entraîner des rôles contradictoires, les récits des chômeurs sportifs constituent des occasions d‟ajustement entre ces deux appartenances. Autrement dit, l‟individualisation au sens où la combinaison des mondes sociaux qui se rencontrent en un seul individu tend à devenir inédite, participe à des modifications (par ajustement) des conceptions légitimes de ces mondes sociaux. Or de tels décalages génèrent la segmentation du monde social. Concrètement, un sportif devenant chômeur ajustera sa conception du chômage, du sport ou des deux afin d‟établir un lien cohérent préservant l‟illusion de son unité.

Et c‟est bien ce principe d‟unité qui est au principe de ce processus. Bien que l‟individu soit un processus, l‟acteur cherche constamment à « stabiliser, fermer et hypostasier son identité » (Kaufmann, 2001, 88). La recherche d‟une cohérence globale conduit à l‟interprétation de croisements contradictoires de mondes sociaux qui en deviennent transformés, segmentés. C‟est pourquoi, cette « compétence gestionnaire individuelle » (Ibid., 172) au service d‟un bricolage de « liens entre séquences d‟identification » (Ibid., 79) semble un élément moteur de la construction sociale de la réalité dans un contexte où les catégories officielles n‟impriment plus leurs marques. Simmel avait du reste soulevé cette question du croisement contradictoires des cercles sociaux à comprendre, non comme un dysfonctionnement marginal de l‟ensemble social, mais comme un moteur de sa construction. Par la même occasion, il fournit les bases d‟un dépassement de la dualité classique entre individu et société : « Si la pluralité des appartenances sociologiques engendre des conflits internes et externes, qui menacent l‟individu de dualité psychique, voire de déchirement, cela ne prouve pas qu‟elles n‟ont pas d‟effet stabilisateur, renforçant l‟unité de la personne. Car cette dualité et cette unité se soutiennent mutuellement : c‟est justement parce que la personne est une unité qu‟elle court le risque d‟être divisée ; plus la variété des intérêts de groupe qui se rencontrent en nous et veulent s‟exprimer est grande, plus le moi prend nettement conscience de son unité. » (Simmel, 1908, 417). Il y a donc

une croyance en un moi unifié et stable, un moi abstrait dirait Kaufmann, que la pluralité des appartenances est susceptible de déstabiliser. Face à cette menace, une double identification potentiellement contradictoire au regard des conceptions légitimes, peut faire l‟objet d‟un travail subjectif (intersubjectif car dépendant des cadres qui existent) de réinterprétation qui peut porter sur la définition des mondes sociaux en question. Ce qui ne signifie pas évidemment que toutes redéfinitions indigènes d‟une catégorie aboutissent systématiquement à un changement social significatif. Certains auteurs ont essayé de de réperer les conditions du changement des cadres légitimes de définition de la réalité. Bourdieu remarque par exemple que la conversion des catégories indigènes, c'est-à-dire la réalisation d‟un énoncé permettant la subversion hérétique selon ses termes, suppose « une crise objective capable de rompre la concordance immédiate entre les structures incorporées et les structures objectives dont elles sont le produit et d‟instituer une sorte d‟épochè pratique, de mise en suspens de l‟adhésion première à l‟ordre établi » (Bourdieu, 1982, 150). Or, nous l‟avons vu, quel que soit le positionnement paradigmatique adopté, il semble difficile aujourd‟hui de contester l‟existence d‟une crise des catégories légitimes et du programme institutionnel. Et si cette crise est objective, elle est aussi une crise de l‟objectivité dans la mesure où le défaut d‟adhésion des catégories officielles entraîne leur fragmentation et l‟émergence de la subjectivité et de catégorisations indigènes. Dans un tout autre registre, Berger et Luckmann, à travers l‟exemple des lépreux (2006, 275), mettent davantage l‟accent sur la structure stable que forment les adhérents à une contre- définition de la réalité. Autrement dit, une conception alternative d‟un monde social ne pourra exister de façon significative qu‟à partir du moment où il sera porté par des individus suffisament nombreux formant un groupe stable et capable de constituer une structure de plausibilité légitimant et diffusant cette conception. Pour les chômeurs, de nombreux obstacles existent à la construction de telles structures de plausibilité. La stigmatisation qui entraîne la culpabilité, le repli sur soi ou sur la sphère familiale, bref les vécus douloureux du chômage constituent indéniablemlent un premier rempart. « Le chômage total » (Schnapper, 1994) défini par Schnapper comme l‟expérience la plus douloureuse du chômage demeure, malgré la trentaine d‟années qui nous sépare de cette enquête (1981), l‟expérience la plus répandue. Par ailleurs, Demazière et Pignoni (1998) rappellent que la mobilisation collective des chômeurs est contraire à la définition officielle du chômage et aux prescriptions adressées aux chômeurs. De la même façon que

l‟identification catégorielle comme chômeur restreint les possibilités d‟investissement sportif « acceptables » du point de vue officiel, c'est-à-dire au regard de la codification du chômage, la mobilisation collective des chômeurs n‟est pas compatible avec la revendication d‟une vision alternative de la catégorie chômage. C‟est aussi la raison pour laquelle la (re)catégorisation indigène du chômage est difficilement accessible, hormis à travers les associations de chômeurs ou les temps de négociation au guichet des agences de placement. A ce titre, il est intéressant d‟essayer de repérer cette redéfinition de la catégorie de chômage par sa jonction avec une catégorie comme le sport qui généralement implique la mise en jeu du corps. Cela devrait permettre de confronter les mises en mots du sport construites dans l‟entretien et la mise en jeu du corps observée durant la pratique sportive. Il s‟agit en effet de comprendre le sens de l‟activité sportive et par là-même la définition conférée au sport par les chômeurs d‟une part et les liens qu‟ils établissent avec leur identification comme chômeur d‟autre part. Le croisement des deux mondes sociaux offre la possibilité d‟observer un jeu de miroir entre les deux catégories. Rendre compatibles les deux identifications suppose effectivement d‟attribuer un sens à la pratique sportive qui réfléchit le sens accordé au chômage. Notre problématique se dessine clairement, il est temps de conclure cette première partie pour la formuler.

Conclusion

 Sur la pente glissante du constructivisme

La première partie qui s‟achève peut être comprise rétrospectivement à plusieurs niveaux. L‟objectif principal est de conceptualiser la rencontre le sport et le chômage. Il s‟agit donc dans un premier temps de les considérer comme des catégories sociales incertaines, en mouvement permanent et plurielles ? Elles abritent de multiples propositions langagières qui renvoient à des conceptions particulières. Il n‟y a donc pas de frontières consensuelles et stables entre sportifs et non sportifs, comme il n‟y en a pas qui distinguent les chômeurs des non chômeurs. Plutôt qu‟une frontière, il y a selon Demazière « un domaine notionnel » (Demazière, 2003, 96) au sein duquel les conceptions institutionnelles et indigènes interagissent. Cette interaction est significative d‟un point de vue sociologique à partir du constat du déclin du programme institutionnel. Les catégories institutionnelles de sport et de chômage existent incontestablement et doivent être prises en compte mais leur prégnance cognitive sur les individus n‟est pas totale. Le décalage entre les expériences biographiques et cadres sociaux légitimes ouvre la voie à cette interaction entre points de vue indigène et institutionnel sur le monde.

Aussi, cette posture permet d‟éviter de se reposer sur les lauriers constructivistes. En effet, le discours qui relate la construction sociale de l‟objet étudié semble à ce point admis qu‟il paraît intervenir parfois comme une protection systématique pour le sociologue. Cela se traduit souvent par quelques formules du type « Il importe de ne pas faire du sport [ou autre] une catégorie a-historique et naturelle. Rappelons pour cela les étapes de sa construction sociale … ». Ce discours, nous l‟avons porté au cours de cette première partie. Mais nous souhaitons qu‟il soit clairement programmatique et non seulement une information quant à la posture théorique ou une anticipation de la critique sur l‟écueil essentialiste. Car rappeler la construction sociale du chômage et du sport ne suffit pas. Il importe davantage de rendre compte de la construction sociale en cours. Or, le rappel constructiviste tend paradoxalement à donner l‟impression d‟un aboutissement ou d‟un processus terminé. Comme si la réalité sociale s‟était longuement construite pour parvenir à une réalité avérée. Ici, le relativisme historique,

c'est-à-dire le fait que le chômage n‟ait pas toujours existé sous cette forme ou que le sport n‟ait pas toujours été synonyme d‟acte moteur, doit permettre de tenir compte de la précarité actuelle des catégories sociales. Le terme de précarité convient en ce qu‟il exprime la tension entre, d‟une part, un besoin permanent de stabilité et d‟objectivation d‟un univers symbolique à travers lequel chacun peut donner du sens à son expérience et, d‟autre part, la labilité des consciences individuelles et la subjectivité croissante qui est davantage l‟expression d‟une crise des catégories que l‟acquisition d‟une liberté.