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Catégories officielles et indigènes et construction sociale de la réalité : deux postures théoriques typiques

Crise de la catégorie du chômage et crise identitaire

B. Catégories officielles et indigènes et construction sociale de la réalité : deux postures théoriques typiques

La question théorique des rapports entre catégories officielles et catégories indigènes donne lieu à de multiples postures que nous pouvons néanmoins essayer de répartir selon deux modes distincts. Ces deux façons d‟envisager les rapports entre les catégories officielles et indigènes appartiennent plus largement aux deux pôles antagonistes des postures sociologiques par rapport à la catégorisation et encore plus généralement à deux orientations distinctes face à la question de la construction sociale de la réalité. Une première voie considère les catégories comme des schèmes de perception intériorisés voire incorporés au cours de la socialisation. Les catégories sont donc normatives et cette socialisation permet la formation d‟un consensus cognitif global donnant lieu à des institutions. Ainsi, la priorité est donnée aux catégories officielles dans les processus de catégorisation et de construction de la réalité. Les catégories sont données aux individus selon une logique descendante puisque ces derniers intériorisent des croyances préétablies. Dans cette perspective, les catégories indigènes ont un rôle mineur et marginal et ne révèlent qu‟un dysfonctionnement du processus de socialisation. A l‟inverse, une deuxième voie, qu‟il est possible de qualifier de pragmatique, accorde le primat aux catégories indigènes dans la construction de la réalité. La catégorisation résulte d‟un processus

intersubjectif prenant cours à l‟occasion d‟interactions au cours desquelles des conceptions du monde social se confrontent, s‟influencent, se négocient et s‟ajustent. Les processus de catégorisation et de construction sociale de la réalité répondent dans ce cas à une logique ascendante dans le sens où les acteurs qui interagissent les impulsent. Il faut bien reconnaître là deux postures typiques qu‟on ne saurait retrouver sous des formes aussi pures au sein des travaux sociologiques, mais qui dessinent plutôt un continuum de postures intermédiaires.

1. Première posture théorique

Dans cette perspective, l‟État fait usage de son monopole de la violence symbolique légitime et d‟une forme d‟autorité mentale en diffusant les catégories. Il s‟agit d‟instaurer une communauté de pensée prévenant la désagrégation sociale. Les processus d‟identification sont donc animés par les institutions selon une logique unilatérale et descendante. A ce titre, Demazière parle de « processus vertical par lequel des autorités diffusent des catégories établies » (Demazière, 2003, 116).

 L’anomie comme affaiblissement des catégories établies

Les postulats théoriques de Durkheim sont à l‟œuvre dans cette perspective. Le social contraint l‟individu à travers la socialisation qui permet l‟existence d‟un lien social. Les représentations collectives sont alors véhiculées par les institutions et profondément intégrées par les individus sur le mode coercitif. De cette façon, cette communauté de pensée permet de voir le monde et de le diviser d‟une façon homogène sans quoi aucun accord ni aucune communication ne serait possible. Elle oriente également les comportements et pensées des individus mus par les croyances intériorisées et par la crainte d‟être jugé comme déviant. Les représentations collectives sont donc relativement stables puisqu‟elles constituent le ciment d‟une société voire les outils de communication entre individus. A l‟inverse, les représentations individuelles sont d‟ordre sensible et sont soumis à une telle variabilité qu‟elles ne peuvent guère constituer la base d‟une vision commune du monde (Durkheim, 1898). Au mieux, les impressions sensibles des représentations individuelles ne constituent qu‟une partie infime d‟un ensemble qui

dépasse largement chaque individu qui, in fine, ne peut se saisir que d‟une partie infime des catégories légitimes tant le vocabulaire, adapté et produit par les institutions, est large. Par conséquent, la labilité des consciences individuelles est en mesure de mettre à mal l‟incorporation des catégories collectives. Nous l‟avons vu, elle est d‟abord incomplète car les expériences individuelles sont trop limitées pour être confrontées à la totalité du système cognitif commun. Mais elle est également « imparfaite » puisque la part sensible de l‟individu conditionne la réception des catégories collectives et stables. L‟incorporation peut alors déformer les catégories qui servent à la compréhension et au lien social. Cette forme d‟individualisation malheureuse des catégories collectives est considérée par Durkheim comme une menace pour l‟ordre social. De ce point de vue, les catégories indigènes se présentent comme la conséquence néfaste de la labilité des impressions sensibles des individus, grains de sable dans le rouage presque mécanique du processus de socialisation et de constitution d‟une société ordonnée. Ceci dit, Durkheim ne s‟est pas totalement désintéressé des divergences possibles entre les catégories collectives et les catégories privées et ni, par ailleurs, de la personne privée poursuivant ses désirs comme on aurait tendance à le croire (Douglas, 1986). A travers la distinction des deux formes historiques du social que sont la solidarité organique et la solidarité mécanique, il constate que la deuxième peine davantage à lier les individus entre eux : « Non seulement, d‟une manière générale, la solidarité mécanique lie moins fortement les hommes que la solidarité organique, mais encore, à mesure qu‟on avance dans l‟évolution sociale, elle va de plus en plus en se relâchant. » (Durkheim, 1994, 124). Et il s‟agit bien pour Durkheim d‟un défaut de conscience collective, une moindre intensité de celle-ci ou encore une détermination insuffisante des croyances communes mettant à mal ce qu‟il nomme « le consensus aussi parfait que possible » et qu‟il définit ainsi : « Plus les croyances et les pratiques sont définies, moins elles laissent de place aux divergences individuelles. Ce sont des moules uniformes dans lesquels nous coulons tous uniformément nos idées et nos actions ; le consensus est donc aussi parfait que possible ; toutes les consciences vibrent à l‟unisson » (Ibid., 125). A l‟inverse, reformulons ses développements sur l‟anomie avec les termes propres à la problématique de la catégorisation sociale. Les catégories indigènes apparaissent bien comme la conséquence d‟une prépondérance de la solidarité mécanique marquée par le relâchement de la conscience collective enserrée par des catégories collectives défaillantes ou mal véhiculées par les institutions. Elles révèlent un défaut de

cohésion sociale ; leur intensité révèle l‟intensité de l‟état d‟anomie d‟une société. Les catégories indigènes apparaitraient alors par défaut afin de se substituer aux catégories collectives imprécises ou multiformes. La communication et le lien social seraient alors entravés : « Plus les règles de la conduite et celles de la pensée sont générales et indéterminées, plus la réflexion individuelle doit intervenir pour les appliquer aux cas particuliers. Or elle ne peut s‟éveiller sans que les dissidences éclatent ; car, comme elle varie d‟un homme à l‟autre en qualité et en quantité, tout ce qu‟elle produit a le même caractère. Les tendances centrifuges vont donc en se multipliant aux dépens de la cohésion sociale et de l‟harmonie des mouvements. » (Idem.).

 La fabrication des personnes

De façon plus empirique mais selon les mêmes postulats théoriques fondamentaux que chez Durkheim, Douglas observe que loin de se desserrer, les catégories collectives, au contraire, se multiplient dans les sociétés modernes. Pour elle, les conséquences de cette évolution apparaissent non pas tant comme la croissance de l‟anomie mais plutôt comme l‟indétermination des frontières du normal et de l‟anormal. Il en résulte, pour les individus, une incertitude sur les modalités de réalisation de la conformité. Ce sont alors les catégories administratives très prescriptives qui définissent l‟individu et qui, surtout, orientent son comportement en vue d‟une conformité aux attentes. Donc « si les institutions produisent des catégories, il y a également un effet en retour, à la manière des prophéties auto-réalisatrices de Robert Merton. » (Douglas, 1986, 115). Douglas reprend en fait les propositions de Hacking pour qui ce processus peut se résumer par la formule de « fabrication des personnes » qui elle-même pourrait être resituée au cœur du principe de gouvernementalité de Foucault. La thèse de Hacking part également du constat de la prolifération des catégories au cours du XIXe siècle. Dès lors, le brouillage des frontières et l‟incertitude des individus les ont conduits à se rattacher à ces créations taxinomiques et à se conformer aux prescriptions comportementales liées aux identifications comme il en existe pour le chômage. Ainsi, la prégnance des catégories institutionnelles est telle qu‟elles revêtent un véritable caractère opératoire. Celui-ci est davantage prononcé que la générativité des mots énoncée par la philosophie nominaliste et selon laquelle nommer

génère une vision du monde. Dans ce cas, les individus s‟adaptent pour être conformes à l‟identification et modifient concrètement leurs comportements. Selon Douglas, il semble que la recherche de « tranquillité et de certains avantages » (Ibid., 117) soit la motivation principale des individus. Par tranquillité, il faut probablement comprendre une forme de sérénité acquise par le sentiment d‟une consistance du soi et suscitée par la croyance en un soi relativement stable et unifié. Mais, cette recherche identitaire pourrait aussi motiver l‟émergence de catégories indigènes. Or, à ce propos, Douglas estime que la marge d‟autonomie des individus se fixe sur des possibilités relatives de choisir parmi une constellation de catégories existantes. Mais les individus n‟en subissent pas moins le poids des classifications administratives et leurs conduites et pensées n‟en sont pas moins canalisées institutionnellement. Les catégories indigènes demeurent des manifestations marginales dans les processus de catégorisation et de construction sociale de la réalité. C‟est l‟activité langagière des institutions qui anime le processus cognitif de catégorisation du monde social, et non celle des individus qui dans cette perspective ne sont que l‟objet de cette construction. Le chômeur est donc un produit, parmi d‟autres, de la fabrication des personnes et les possibilités de réactions des individus, et donc de conflit sociocognitif, sont minimisées voire inexistantes. « À la limite, les catégories indigènes n‟existent pas, puisqu‟elles se réduisent à l‟intériorisation, plus ou moins aisée, ou accomplie, des catégories officielles. » (Demazière, op. cit., 132).

 Contrôle et domination par les catégories officielles

Toujours selon une perspective d‟inspiration durkheimienne accordant un primat aux catégories établies, il est possible d‟associer les postures de Foucault (1966) et de Bourdieu (1982) en les reliant à la problématique de la catégorisation sociale. Foucault n‟ignore guère l‟existence de catégories indigènes mais, pour lui, elles ne peuvent être situées au même niveau que les catégories officielles puisqu‟elles sont encadrées par ces catégories établies. Elles peuvent exister et s‟afficher comme contestataires mais elles demeurent tributaires des schémas de pensée diffusés par les institutions ; elles émergent dans des cadres cognitifs qui les orientent largement. De façon radicale, les catégories indigènes sont conformes aux « codes fondamentaux d‟une culture – ceux qui régissent son langage, ses schémas perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses

pratiques – fixent d‟entrée de jeu pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans lesquels il se retrouvera » (Foucault, op.cit., 11). Les débats contradictoires ne sont pas absents mais ils prennent cours dans un ensemble de croyances instituées et intériorisées. Cette conception limite considérablement le rôle des catégories indigènes dans le processus de catégorisation. Elles sont canalisées voire étouffées par les croyances établies. Non loin de ce constat, Bourdieu voit, dans ce rapport de coercition, un mécanisme de domination sociale. Pour lui, les individus sont constamment inscrits dans un rapport de soumission au monde social qui leur impose des croyances et des catégories cognitives. Ainsi, il devient difficile, voire impossible, pour les individus de surmonter cette soumission puisqu‟ils ne disposent que des croyances intériorisées qui fondent cette soumission. Par conséquent, les catégories indigènes sont effectivement indissociables des catégories établies. En d‟autres termes, les dominés usent des catégories établies, les mêmes qui les identifient comme dominés. Les catégories indigènes seraient-elles donc condamnées à demeurer indigènes ? En réalité, il existe, selon Bourdieu, des conditions sociales d‟efficacité du discours. Le pouvoir de chaque discours n‟est pas à chercher dans le langage lui-même : « Essayer de comprendre linguistiquement le pouvoir des manifestations linguistiques, chercher dans le langage le principe de la logique et de l‟efficacité du langage d‟institution, c‟est oublier que l‟autorité advient au langage du dehors (…) » (Bourdieu, op. cit., 105). C‟est donc aux caractéristiques sociales du locuteur, et notamment à son capital symbolique, qu‟il faut s‟intéresser pour mesurer la force, la position et finalement l‟efficacité d‟un discours. C‟est essentiellement à ce niveau que se distinguent les catégories indigènes et les catégories officielles. Celles-ci étant imposées puis intériorisées détiennent une force et une autorité difficilement contestables dans la mesure son extériorité n‟est pas perceptible. Les catégories indigènes représenteraient donc une parole dominée, dépourvue de pouvoir et d‟autorité alors que les catégories officielles apparaitraient comme les outils d‟une domination et d‟un contrôle des dominés. La catégorisation est alors un processus d‟inculcation de croyances, de vision du monde par des autorités légitimes en direction d‟individus dominés.

 Le processus d’institution du chômeur

L‟usage si fréquent du mot « institution » est périlleux tant les acceptions sont nombreuses d‟une part et tant la plus commune, identifiant les institutions aux organisations, est prégnante au point de déformer le propos escompté. Jusqu‟ici, l‟institution pouvait être entendue au sens anthropologique des codes et des mœurs régulant les croyances et comportements. Nous proposons maintenant de nous rapprocher davantage du sens étymologique du terme, en lui attribuant « un sens actif » (Ibid., 121), en définissant l‟institution par « la capacité à instituer des acteurs en les socialisant d‟une manière particulière ». (Dubet, 2007, 63). Plus exactement, l‟institution peut s‟entendre comme un processus instituant l‟individu ; c'est-à-dire le nommant selon une taxinomie établie, lui attribuant une identité, un ensemble de droits et devoirs plus ou moins explicites, un rôle, des croyances etc. Les devoirs attribués s‟incarnent essentiellement dans des réponses aux attentes normatives de comportement qui certifient l‟adhésion de l‟individu à son identification catégorielle. Nous avons relevé supra les attentes normatives implicitement ou explicitement adressées aux chômeurs. Mais il convient également de noter que l‟identification catégorielle qui institue l‟individu comme chômeur oriente aussi les regards d‟autrui sur cet individu ainsi que les croyances et comportements à son égard. Nommer comme chômeur revient donc, à la fois, à instituer un individu comme chômeur, à le construire en quelque sorte, et dans le même temps, à instituer les rapports sociaux du chômeur et des agents avec lesquels il interagit. Ainsi, la catégorisation institutionnelle (liée aux organisations légitimes) décline ses effets sur le réel en instituant les agents et leurs rapports sociaux. L‟identification comme chômeur est un acte de magie sociale comme le mariage, la circoncision ou la soutenance de thèse de Doctorat, un acte symbolique agissant sur le réel et sa représentation.

Une telle générativité de la catégorisation institutionnelle autorise à affirmer qu‟un individu est « institué en chômeur ». Car la formule indique aussi que ce processus d‟institution par la catégorisation officielle sert à créer la différence et à la consacrer comme une essence, une nature incontestable. « L‟institution est un acte de magie sociale qui peut créer la différence ex-nihilo. » (Bourdieu, op. cit., 125). Non loin de la fabrication des personnes, Bourdieu montre à travers les rites d‟institution des grandes écoles ou à travers la circoncision, qu‟il s‟agit d‟instituer une personne, une identité (stigmate ou

marque de noblesse), un rôle et finalement une essence. Et, pour que cette invention de la substance d‟un individu soit complète et effective, celui-ci doit réaliser cette essence. Le processus d‟institution revient donc à signifier à quelqu‟un ce qu‟il est et ce qu‟il doit faire pour être effectivement ce qu‟il est sensé être. Il peut, finalement, être résumé par la vieille injonction aporétique de Pindare reprise par Nietzsche, « deviens ce que tu es ». Car comme De Fornel le note à propos du mariage et de la fameuse formule « Je vous déclare unis par les liens du mariage », « Il ne suffit pas de dire pour faire : la formule explicite ou officialise un acte (qui ne pourra donc plus être nié), mais encore faut-il que l‟acte qui fait acte soit fait conventionnellement et de manière publique, et donc enregistrable et enregistré dans un registre officiel. » (De Fornel, 1983, 35). C‟est précisément le rôle endossé par l‟ANPE que celui d‟enregistrer la réalisation de l‟identification catégorielle par l‟individu. Ainsi, le renforcement des contrôles des chômeurs peut être interprété comme une réaction face à l‟effritement de la légitimité de la catégorie officielle de chômage et à la contestation de l‟autorité symbolique de l‟État. Les individus contestent le fondement naturel de l‟identification comme chômeur en dérogeant aux prescriptions normatives qu‟elle induit. A l‟inverse, la réalisation de son essence par l‟individu permettra de légitimer l‟institution et de faire oublier son caractère arbitraire car instituer, c‟est bien « consacrer ou légitimer, c'est-à-dire faire méconnaître en tant qu‟arbitraire et connaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire (…) » (Bourdieu, op. cit., 122).

Dans ce cadre coercitif, les catégories indigènes ont une place restreinte. Faire d‟une identification catégorielle et de l‟institution en chômeur, un processus de substantialisation de l‟identité, c'est-à-dire de fabrication d‟une haeccéité incontestable permet également de faire obstacle à des catégorisations contraires à l‟ordre établis comme naturel. C‟est d‟ailleurs aussi pour cette raison, selon Bourdieu, que le corps est tant sollicité dans ce processus d‟institution par l‟identification catégorielle, notamment à travers les rites. Car inscrire la différence dans le corps est assurément le meilleur moyen de légitimer son fondement naturel. Les rites d‟institution sollicitent souvent le corps pour consacrer l‟identité et, moins directement, l‟incorporation sous forme d‟habitus participe également de ce processus de légitimation. Aussi, peut-on, à travers ce cadre interprétatif, et au-delà du poids de l‟inactivité, expliquer le rapport au corps des chômeurs voire l‟obésité de la majorité des bénéficiaires du RMI que nous avons rencontrés, comme la réalisation d‟une

identité assignée, instituée selon les croyances puis incorporée. L‟inscription corporelle des catégories officielles indique l‟exercice d‟un pouvoir efficace sur l‟individu.

Cependant, l‟exercice de ce pouvoir symbolique (qui n‟est pas sans atteindre la matière corporelle pour autant) ne peut étouffer de façon systématique les réactions divergentes et catégorisations indigènes. Au-delà du primat des catégories officielles et de la logique verticale du processus de catégorisation, il n‟en demeure pas moins une pluralité des points de vue sur le monde, et au niveau théorique, un relativisme ; Bourdieu se revendique par ailleurs (plus tard qu‟en 1982, année de publication de « Ce que parler veut dire ») d‟un « perspectivisme qui n‟a rien d‟un relativisme subjectiviste, qui conduirait à une forme de cynisme ou de nihilisme ». (Bourdieu, 1993, 14). En effet, cette posture théorique n‟exclue pas les luttes pour la légitimité des conceptions du monde social ; les luttes pour l‟orthodoxie. « Les classifications établies sont le produit cristallisé d‟un état antérieur du rapport entre les forces engagées dans la lutte pour la définition légitime de la réalité et le contrôle du sens commun. » (Demazière, 2003, 145). En théorie, un groupe peut donc suppléer aux autorités reconnues comme légitimes, en imposant sa propre conception du monde social, ses propres croyances, sa propre définition de la réalité en rendant marginale la définition jusqu‟ici dominante. En pratique, les obstacles à la normalisation des catégorisations indigènes sont nombreux. D‟abord, parce qu‟il semble improbable de contester les contenus incorporés. « La subversion politique présuppose une subversion cognitive, une conversion de la vision du monde. » (Bourdieu, 1982, 150). Mais surtout, en ce qui concerne les chômeurs, il faut que ce groupe engage un travail de conviction, autrement dit, une action collective et publique. Pour cela, il faut que ce groupe affiche une identité cohérente et unifiée pour pouvoir imposer ses catégories de perception. A ce niveau, Demazière et Pignoni (1998) ont noté les difficultés des chômeurs à constituer un