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Inaptes, vulnérables sportifs : biopolitique des corps incertains

I. Consacrer les corps

1. D‟abord identifier les corps

En premier lieu, la convocation du sport dans le rapport assistanciel entre l‟État et l‟assisté apparaît comme un paradoxe au regard des prérogatives initiales de l‟assistance. Celle-ci est historiquement destinée à subvenir aux besoins de ceux que l‟on reconnaît comme inaptes à vivre de la peine corporelle. Le corps est en effet constamment au cœur de ce que Castel nomme le social-assistanciel. Il établit une distinction entre l‟assistance relevant d‟une « problématique de secours » et l‟assistance relevant « d‟une problématique du travail ». (Castel, 1995, p. 30). La première est conditionnée par la reconnaissance d‟un handicap corporel empêchant l‟individu de s‟auto-suffire. Bien que cette reconnaissance ne soit jamais totale et que le soupçon pèse constamment, cette population ne pose que des problèmes « techniques » et non des problèmes de principe dans la mesure où elle ne remet pas en cause l‟organisation sociale. En revanche, la population d‟indigents valides ne travaillant pas pose la question sociale de façon aiguë. Celle-ci est caractérisée par Castel comme « une inquiétude sur la capacité de maintenir la cohésion d‟une société. » (Ibid., 29). Cette inquiétude se fixe sur, et s‟incarne à travers, cette figure de l‟indigent valide qui ne peut bénéficier des dispositifs qui concernent ceux qui sont exonérés de l‟injonction au travail. « En défaut par rapport à l‟impératif du travail, il est aussi le plus souvent repoussé au dehors de la zone d‟assistance. » (Ibid., 30). L‟intégration des valides à la population relevant du social-assistanciel sonnerait dès lors comme une remise en cause de l‟organisation sociale.

Au fondement de ce principe d‟identification des individus par l‟identification des corps aptes et des corps inaptes, Castel croit reconnaitre un soubassement chrétien et note par ailleurs la caution apportée par l‟Église à cette conception anthropologique de l‟assistance :

« L‟Église a plutôt conforté que contredit les entreprises « raisonnables » de prise

en charge des indigents qui passaient par des classifications discriminatoires. Son impact s‟inscrit donc dans une conception anthropologique de l‟assistance. Dans toute société, sans doute, un système cohérent d‟assistance ne peut se structurer qu‟à partir d‟un clivage entre bons et mauvais pauvres. […]. En dépit des déclarations de principe sur l‟amour généralisé du prochain, l‟exaltation

chrétienne d‟un type de pauvre qui doit être accablé de maux pour être secouru et sa condamnation de l‟oisiveté « mère de tous les vices » ont gardé à ces critères un sens très restrictif » (Ibid., 63).

Les débats permanents au sujet du juste équilibre entre incitation au travail et accompagnement, entre la logique injonctive aux fondements méritocratiques et la logique d‟aide inconditionnelle, bref disons schématiquement entre l‟État-providence et l‟État social actif, illustrent encore l‟existence d‟une classification, voire d‟un tri entre bons pauvres et mauvais pauvres qui bien souvent s‟établit à partir d‟un critère corporel. Ne pas pouvoir mettre son corps en gage dédouane d‟une contribution sociale par le travail et légitime l‟assistance octroyée. L‟identification des individus par l‟identification de leurs corps semble presque une permanence dans l‟histoire des politiques sociales. Nous n‟en rendrons pas compte ici de façon détaillée, incapable de fournir un tel propos qui, de surcroît, serait inutile dans la trame de la thèse. Notons toutefois avec Castel que l‟enfermement sous Louis XIV constitue une mesure principalement adressé à ces individus aptes corporellement et ne travaillant pas que sont les indigents valides, et qui vise à rééduquer l‟individu en corrigeant un rapport au corps déviant. L‟enfermement « n‟a pas sa fin en lui-même. Il met en œuvre une stratégie de détour consistant dans un premier temps à opérer une coupure par rapport à l‟environnement afin de se donner les moyens, dans un second temps, de rééduquer le mendiant valide pour, dans un troisième temps, le réinsérer. » (Ibid., 58). Dans une certaine mesure, comme le sport aujourd‟hui, l‟enfermement, note Castel, se fonde sur une « une utopie pédagogique » (Idem.). La différence fondamentale entre l‟enfermement et le sport relève toutefois d‟une épistémè différente puisque le premier contraint le corps et exhibe cette contrainte en modèle alors que l‟activation sportive qui vise à rééduquer moralement l‟individu pour qu‟il rende son corps employable de façon autonome procède par « invisibilisation » du pouvoir exercé. Quoi qu‟il en soit de ces différences, le jugement porté par l‟institution sur l‟aptitude du corps de l‟individu est à la base du jugement porté sur l‟individu lui-même. Topalov relève en Angleterre, à une autre période (1834), le même distinguo opéré par les réformateurs anglais. En atteste la formule « able-bodied pauper » (indigent valide) qui remplaçait le terme de « pauvre » considéré comme dangereux. Les réformateurs anglais envisageaient de « dissuader ceux qui étaient capables de travailler d‟avoir recours aux secours publics, en instaurant une discipline de la faim qui contraigne les travailleurs potentiels à chercher sur le marché du travail, de toutes les manières possibles, les ressources nécessaires à leur

survie » (Topalov, 1994, 27). Là encore, c‟est l‟indigence associée à un corps valide qui est perçue comme une menace, qui est exclue de l‟assistance philanthropique mais qu‟il convient néanmoins de traiter afin de rendre productifs ces corps jugés aptes.

Ainsi, l‟assistance s‟établit historiquement sur cette condition de l‟inaptitude corporelle. Mais il peut être exagéré de faire de ce principe une matrice historique à la lumière de laquelle nous pourrions comprendre l‟actualité du social-assistanciel. Car, comment expliquer alors, dans la continuité de cette matrice historique, la convocation du sport comme dispositif de ce rapport d‟assistance ? En d‟autres termes, comment dénouer le paradoxe d‟une mise en jeu du corps des individus, à travers des pratiques sportives, dans le rapport d‟assistance alors que celui-ci semble être conditionné et même défini par l‟inaptitude corporelle ? Doit-on, tout simplement, en déduire une intention de correction corporelle visant à rendre aptes les corps inaptes ?

2. Le RMI, une vraie fausse rupture ?

 Du consensus mou …

L'hypothèse ne tient pas si l'on s'en tient à la rupture que constitue l‟instauration du RMI en 1988 avec cette approche conditionnelle. Son adoption est l‟un des rares moments de consensus de la vie politique française d‟après-guerre. Car c‟est dans une situation d‟urgence et face à une pauvreté soudainement massive que le gouvernement socialiste décide de sortir de cette logique conditionnelle afin d‟assurer un minimum vital à chacun, qu'il soit corporellement apte ou inapte. La paupérisation qui apparaît soudainement et sous de nouvelles formes, le chômage massif et de longue durée ainsi que le brouillage des frontières entre travail et non travail incitaient les responsables politiques à renverser la charge de la preuve. Il ne s‟agit plus de demander à l‟individu privé de travail de prouver sa bonne volonté mais il appartient désormais à la collectivité d‟assurer le droit à un revenu de subsistance. Si le niveau de l‟allocation ou son financement (centralisé ou décentralisé) a suscité quelques débats conflictuels avant le vote, c‟est bien la question de la conditionnalité et celle de la contrepartie qui risquait de rendre fébrile le consensus. Celui qui a été obtenu est d‟autant plus remarquable notent Cytermann et Dindar, mais « il n‟a pu être acquis qu‟au prix d‟un certain flou sur les droits et les obligations du bénéficiaire du RMI en matière d‟insertion » (Cytermann et Dindar, 2008, 33.). Globalement, la gauche s‟oppose fermement à la systématicité de la contrepartie alors que la droite la considère

comme un seuil à ne pas franchir pour éviter le dérèglement du système de protection sociale. Chacun s‟accorde à dire qu‟un équilibre est nécessaire. Aussi, le projet de loi suggère que le RMI doit être subordonné à l‟engagement de l‟allocataire à « participer aux actions d‟insertion sociale et professionnelle qui lui sont proposées »1

. Lors des discussions parlementaires, le caractère à la fois imprécis et potentiellement coercitif des actions d‟insertion est ciblé. Les débats produiront finalement une formulation permettant d‟apporter à la relation d‟assistance une dimension contractuelle à visée participative :

« Toute personne résidant en France dont les ressources, au sens des articles L.262-10 et L.262-2, n‟atteignent pas le montant du revenu minimum défini à l‟article L.262-2, qui est âgée de plus de vingt-cinq ans ou assume la charge d‟un ou plusieurs enfants nés ou à naître et qui s‟engage à participer aux actions ou activités définies avec elle, nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle, a droit, dans les conditions prévues par la présente section, à un revenu minimum d‟insertion. » (Article L.262-1 du code de l‟action sociale et des familles / avant le RSA)2

Si la visée participative est ainsi clairement exprimée, la formulation contient en germe la possibilité de son retournement. C‟est probablement la raison pour laquelle le consensus parvient à traverser les clivages politiques. Par cette formulation en effet, la gauche obtient que les actions d‟insertion ne soient pas imposées à l‟individu, souhaitant à la fois préserver les fondements humanistes du projet et plus trivialement éviter de salarier l‟exclusion, tandis que la droite y perçoit l‟accent mis sur l‟engagement de l‟individu et le caractère conditionnel de l‟aide. Ce volet implicitement conditionnel est d‟ailleurs relié à l‟éventualité de la sanction à propos de laquelle on retrouve l‟ambivalence qui met tout le monde d‟accord … selon des points de vue différents. Là encore, Belorgey s‟oppose au recours à la suppression du revenu qui consacrerait le principe de conditionnalité de l‟aide alors qu‟une partie des députés, à l‟instar d‟Evin (alors ministre des affaires sociales et de l‟emploi) y tient fermement. Finalement, la possibilité de suspendre les versements du revenu minimum ou de radier l‟individu des fichiers s‟inscrit clairement dans la loi bien

1 Extrait du projet de loi (article 1) avant sa version finale. 2

que le ministre assure de la rareté de son application. Le caractère contractuel du RMI fait donc consensus grâce à sa part d‟indéfinition laissant une marge d‟interprétation propre à rassurer les divers points de vue. En son fondement plutôt humaniste, le RMI est donc une aide dont on souhaite qu‟elle permette la participation de l‟individu. Mais son inscription dans la loi contient en son sein la possibilité d‟être retournée en un secours conditionnel contraignant l‟individu assisté.

Belorgey, conscient du risque, s‟était clairement positionné à ce sujet et n‟avait pas manqué de prévenir les députés en présentant le RMI selon deux volets. Le premier est celui du revenu minimum qui constitue un droit inconditionnel accordé à l‟individu par l‟État (ou plus largement la puissance publique). Le deuxième est celui de l‟insertion qui constitue un devoir de la collectivité envers l‟individu. Ces deux volets associés, selon Belorgey, doivent faire du RMI un filet temporaire de protection pour l‟individu passé entre les mailles du système de protection sociale. Sa fonction est donc supplétive. Le RMI ne doit pas être un moyen de coercition de l‟individu, ni un moyen de lutte contre la pauvreté1.

Dès 1992, le constat est pourtant irrécusable. Les moyens mis en place pour permettre ce volet « insertion » n‟ont pas permis d‟en faire un filet temporaire. Le RMI devient un outil permanent qui s‟étendra, au-delà des prévisions, à une population incessamment croissante2. L‟extension s‟explique par la massification du chômage et surtout par l‟augmentation des durées du chômage. A cela s‟ajoute « une série de réformes allant toutes dans le sens d‟un durcissement des conditions d‟indemnisation3

et d‟une diminution

1

Aujourd‟hui, en dépit des avertissements du rapporteur du RMI, force est de constater que le système d‟assistance est considéré aujourd‟hui, comme un moyen de lutte contre la pauvreté. Son importance croissante et son renouvellement sous la forme du RSA qui consacre le brouillage des frontières entre travail et assistance en atteste clairement. La nouveauté consiste en effet à indemniser des individus qui ont une activité professionnelle peu rémunératrice. Cela revient, en quelque sorte, à prendre acte d‟une nouvelle forme de travail (dite précaire) qui ne permet pas d‟accéder à un revenu minimum, et in fine à prendre acte d‟une incapacité à agir sur le plan structurel contre la pauvreté. Notre recherche sur le vécu des bénéficiaires du RMI et du RSA en expérimentation a permis de repérer quelques conséquences de cette méprise. Considérer l‟assistance comme le moyen de lutter contre la pauvreté confère aux assistés et aux travailleurs sociaux des responsabilités qu‟ils ne sont pas disposés à assumer et qui en deviennent particulièrement anxiogènes. (Le Yondre, 2009)

2 De 1989 à 2005, le nombre d‟allocataires du RMI a triplé.

3 Suppression de l‟allocation d‟insertion pour les jeunes et les femmes isolées au début de 1992, restrictions

des modalités de prise en charge des demandeurs d‟emploi (mise en place de l‟allocation unique dégressive en Juillet 1992 et resserrement des conditions d‟activité et de ressources fondant le droit à l‟ASS en Janvier

du nombre, du montant et de la durée des allocations » (Burgi, 2006, p. 65). L‟évolution du RMI réalise progressivement la crainte de ses concepteurs en devenant une espèce de déversoir du système de protection sociale. Dans ces conditions, le principe d‟inconditionnalité qui était intervenu comme une rupture historique par rapport à la condition de l‟inaptitude avérée au travail, est progressivement retourné. Malgré la reconnaissance des déterminants globaux à l‟origine de la réforme, l‟accroissement du soupçon de complaisance porté sur les allocataires de longue durée, se réalise dans la logique de la contrepartie et une application plus répressive du RMI.

Le constat, ici général, peut être nuancé ou appuyé selon les départements au regard de la décentralisation en matière de politique sociale. Mais d‟un point de vue national, Burgi (2006) n‟hésite pas à affirmer que le RMI n‟est plus à proprement parler un droit puisque le Conseil constitutionnel le définit comme une allocation d‟aide sociale répondant à une exigence de solidarité nationale. Ainsi il l‟érige en « une simple clause de sauvegarde, c‟est-à-dire un minimum vital, faveur accordée aux plus démunis par une société ne se reconnaissant plus collectivement de véritable obligation envers eux ». (Ibid., 67).

 … à la dure décentralisation

Les débats entre maintien du rôle actif de l‟État et décentralisation, qui ne se sont pas limités à une opposition droite / gauche, bascule du côté d‟un transfert des compétences vers les départements en raison du constat d‟échec du dispositif d‟insertion dans sa dimension professionnelle à l‟échelon national. Chirac fait de la décentralisation un des axes forts de son second mandat dont la communication sera principalement illustrée par le RMI. Celui-ci incarne en effet « une articulation vertueuse et équilibrée de la solidarité nationale et de l‟initiative locale » (Cytermann et Dindar, op.cit., 42). Concrètement le montant restera celui fixé par l‟État mais les conseils généraux (départements) récupèrent la responsabilité de la gestion et du pilotage du RMI.

Le projet de loi portant sur la décentralisation en matière de RMI en créant le Revenu Minimum d‟Activité est déposé au sénat le 7 Mai 2003 et sera définitivement adopté le 18 Décembre de la même année. Au-delà de ce transfert de compétences, la loi crée donc parallèlement le RMA qui fait l‟objet des débats bien plus vifs que ceux relatifs à la décentralisation proprement dite. Et pour cause, il met à nouveau la question de la réciprocité du rapport d‟assistance. Il reflète clairement une conception politique de

l‟insertion, loin du principe d‟inconditionnalité cher aux promoteurs initiaux du RMI. François Fillon, alors Ministre des Affaires Sociales, affirme clairement le renversement de perspective devant la commission des affaires sociales du Sénat : il s‟agit, pour lui, de « développer une offre d‟insertion dans un cadre plus incitatif et élargi tant au domaine public ou associatif qu‟au secteur des entreprises » (Fillon, cité par Cytermann et Dindar, op.cit., 43). Le terme incitatif est suffisamment explicite pour indiquer que ce virage est motivé par le constat d‟échec du volet « Insertion » du RMI et surtout du caractère contre- productif perçu par les réformateurs de l‟époque. Il est clairement un appel massif à l‟oisiveté, « l‟alibi de l‟inaction » ajoutera François Fillon. Étonnamment, alors qu‟à sa création, quinze ans plus tôt, les concepteurs du RMI ont pu s‟appuyer sur une opinion largement favorable, le renversement de ses fondements par le gouvernement en 2003 est tout autant cautionné. Le discours ambiant est donc largement cautionné par le discours politique : le traitement social de la pauvreté a créé la pauvreté.

Concrètement, le Contrat Insertion – Revenu Minimum d‟Activité (CI-RMA), selon l‟intitulé exact, transforme le rapport d‟assistance en un contrat de travail entre le conseil général et l‟allocataire. C‟est précisément la transformation de ce rapport qui suscite de vives réactions pointant le caractère obligatoire de la contrepartie, et assimilant ce nouveau RMI au « workfare » anglo-saxon (Morel, 2000). Le projet de loi prévoit, de surcroît, que tout contrat d‟insertion devra désormais comporter au moins une action d‟insertion professionnelle. Ce point du projet, ne tenant pas compte de la diversité des problématiques auxquelles sont confrontées les allocataires, sera critiqué pour le risque de sanction des allocataires ne parvenant pas à tenir un engagement d‟emblée irréalisabable qui se doublerait d‟une sanction psychologique contre-productive. Le caractère obligatoire est alors supprimé mais la notion de contrat demeure et avec elle l‟engagement à tenir. Pour Burgi, le RMI n‟est plus, dès ce revirement, un droit. « Il est défini par le Conseil constitutionnel comme une allocation d‟aide sociale répondant à une exigence de solidarité nationale » (Burgi, op.cit., p. 66).

 Un renversement néolibéraliste du RMI

La référence à une exigence de solidarité nationale présente une allure plutôt consensuelle mais relève en réalité d‟un véritable retournement du droit du RMI et d‟une conception politique particulière. Si la décentralisation définit le RMI comme une réponse à cette

sauvegarde, c‟est-à-dire un minimum vital, faveur accordée aux plus démunis par une société ne se reconnaissant plus collectivement de véritable obligation envers eux. » (Ibid., 67). L‟objet de la sauvegarde est ici le fonctionnement efficace de la concurrence permettant la libre régulation du marché et se rattache globalement à ce que Foucault définit comme une conception néolibérale du gouvernement (de l‟action de gouverner). Le libéralisme, selon lui, est avant tout une réaction ou une prévention à un « trop de gouvernement ». Gouverner revient dans ce cas à limiter au maximum l‟acte même de gouverner. Il s‟agit de rationnaliser l‟exercice de gouvernement afin de se préserver du risque permanent qui pèserait comme une chape de plomb de « l‟inévitable séquence : interventionnisme économique, inflation des appareils gouvernementaux, sur- administration, bureaucratie, rigidification des tous les mécanismes de pouvoir, en même temps que se produiraient de nouvelles distorsions économiques, inductrices de nouvelles interventions » (Foucault, 2001b, 824). Ce néolibéralisme s‟oppose clairement à ce type d‟interventionnisme qui serait dérégulateur mais ne peut être, pour autant, assimiler à du non-interventionnisme. Il s‟agit d‟une intervention minimale pour le marché, et non plus à cause de lui. Un tel fonctionnement nécessite une clause de sauvegarde. Ce néolibéralisme, pour fonctionner, doit s‟assurer qu‟un minimum vital soit bien garanti à chacun, non pas pour tendre vers une égalisation artificielle des conditions, mais pour des raisons essentiellement sécuritaires. On retrouve, sous une forme plus contemporaine, le principe énoncé par Simmel auquel nous nous référions pour mettre à distance les représentations laudatives de l‟assistance. Ce principe que nous qualifions d‟homéostasie sociale, rappelons-le, est celui d‟un minimum accordé à ceux que l‟on identifie comme les plus indigents, et ce dans la perspective d‟une conservation de l‟ordre inégalitaire.

 Les corps responsables

Si l‟on souhaite retracer à grands traits l‟évolution récente de la place du corps dans le rapport d‟assistance, nous aurions tort de décrire une régression vers la situation initiale. Celle-ci plaçait le corps au cœur de la catégorie d‟assistance, comme élément